I. En fait
A. Le 28 décembre 2022, «heidi.news» publie sous la signature de Sarah Zeines un article intitulé «Comment une société pyramidale vend du rêve aux mamans de mon quartier à Genève». Elle y raconte comment une enseignante genevoise est devenue la vendeuse no 1 en Suisse d’une société américaine à structure pyramidale.
Le 22 février 2023, la même journaliste signe un nouvel article dans «heidi.news»: «Marketing pyramidal: la prof-vendeuse de rêves poussée vers la sortie par des parents furieux». Des parents se sont plaints auprès du Département de l’Instruction publique (DIP) que ladite enseignante n’est plus préoccupée en classe que par ses ventes.
B. Le 19 mai 2023, X., par l’entremise d’un avocat, saisit le Conseil suisse de la presse à propos de l’article du 22 février 2023 (et, sans le préciser, celui du 28 décembre 2022). Dans le premier article, la phrase suivante notamment serait contraire à la vérité, violant le chiffre 1 de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»): elle a «recruté des femmes désœuvrées et vulnérables, en quête de revenus, qui ont parfois investi plusieurs milliers de francs». Par ailleurs, en publiant un texte placé sur Facebook par la plaignante, la journaliste permettrait de l’identifier facilement, violant ainsi le chiffre 7 de la Déclaration. Dans le second article, la plaignante estime que plusieurs éléments sont contraires à la vérité (chiffre 1): la journaliste écrit en effet que l’activité de cette société pyramidale est illégale, alors qu’elle disait le contraire dans son premier article. Seraient également contraire à la vérité l’affirmation qu’une dizaine de parents ont écrit au DIP; que l’enseignante s’occuperait de son activité annexe pendant les heures de cours; qu’elle aurait été remplacée, alors qu’elle est simplement en arrêt de travail. Enfin la plaignante juge que d’être comparée à un prédicateur musulman intégriste et une complotiste est une atteinte à son honneur et contraire à la vérité.
C. Le 1er octobre 2023, sous le plume de son rédacteur en chef Serge Michel, «heidi.news» prend position. Concernant le reproche d’identification de la plaignante au-delà de son cercle immédiat, le rédacteur en chef fait d’abord valoir que le nom de la plaignante ainsi que son quartier et son école ont été modifiés. En ce qui concerne la phrase tirée du compte Facebook de la plaignante, Serge Michel explique avoir essayé de l’utiliser pour remonter vers le compte, sans succès. Mais il admet que ces essais ont eu lieu après la réception de la plainte, donc que peut-être le compte Facebook d’où la phrase avait été tiré a été supprimé. Cependant, il estime que la phrase était nécessaire à la bonne compréhension du sujet. En tout cas, résume-t-il, ce n’est pas par l’article, mais bien par les plaintes des parents, que le DIP a été mis au courant des activités de la plaignante.
Concernant les reproches de violation du devoir de vérité, Serge Michel détaille l’enquête de sa journaliste, qui s’est étendue sur plusieurs années. Il réfute les reproches de manquement à la recherche de la vérité contenus dans la plainte, et souligne que ces articles «ont mis en lumière les pratiques discutables d’une fonctionnaire de l’Etat de Genève». Que donc ils étaient d’un intérêt public prépondérant.
Concernant la question de savoir si l’activité de la plaignante était légale ou non, il relève que la question est sujette à différentes appréciations. En effet, la vente pyramidale est illégale, alors que le marketing de réseau ne l’est pas.
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil de la presse, composé de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président), et Ursina Wey (directrice) a traité la présente prise de position le 27 mai 2024 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Pour le Conseil de la presse, on est bien en présence d’une vente pyramidale, donc illégale. L’obligation de rechercher la vérité n’est donc pas violée sur ce point central. Quant aux autres reproches formulés par la plaignante (qu’elle ait «recruté des femmes désœuvrées et vulnérables, en quête de revenus, qui ont parfois investi plusieurs milliers de francs») ils manquent soit de précision soit d’importance. Le chiffre 1 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.
2. En ce qui concerne l’obligation de protéger l’identité de la plaignante, le Conseil de la presse estime que «heidi.news» a pris des mesures suffisantes (changement du nom et du quartier de l’école). Pour ce qui est du reproche d’avoir cité une phrase du compte Facebook de la plaignante, qui aurait permis de remonter à elle, le Conseil de la presse estime que ce point n’est pas établi. En effet, tant les parents que le Département de l’Instruction publique n’ont pas été informés de cette manière. Quant à l’éventualité que quelqu’un d’autre l’aurait été, la plainte ne donne aucune indication à ce propos. Le chiffre 7 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant les articles intitulés «Comment une société pyramidale vend du rêve aux mamans de mon quartier à Genève» et «Marketing pyramidal: la prof-vendeuse de rêves poussée vers la sortie par des parents furieux», «heidi.news» n’a pas violé les chiffres 1 (vérité) et 7 (identification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».