Nr. 54/2012
Vérité / Dénaturation des informations / Audition en cas de reproche grave

(Barbier-Mueller c. «20 Minutes») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 31 août 2012

Drucken

Zusammenfassung

Anhörung: schwere Vorwürfe präzis benennen
Journalisten müssen die schweren Vorwürfe präzis benennen, wenn sie den Betroffenen kontaktieren. Daran erinnert der Schweizer Presserat in seiner Stellungnahme Nr. 54/2012 i.S. Barbier-Mueller c. «20 Minutes» zu einen Bericht vom 14. Februar 2012 mit dem Titel «Freunde von Mark Muller bereichern sich mit Hilfe des Staats».

«20 Minutes» wirft im Medienbericht die Frage auf, ob eine von der Gratiszeitung enthüllte Transaktion zwischen dem Kanton Genf und dem Beschwerdeführer, Thierry Barbier-Mueller, auf einem «Austausch gegenseitiger Gefälligkeiten» beruhe. Dieser Vorwurf wiegt schwer, da er den Verdacht einer «Verfilzung» zwischen einem wichtigen Immobilien-Promotor und dem damaligen Regierungsrat, Mark Mueller, in den Raum stellt. Der Autor des Berichts hätte die Betroffenen deshalb vor der Publikation mit dem Verdacht konfrontieren müssen. Vorliegend hat der Journalist zwar den Immobilienpromotor kontaktiert, ohne ihn jedoch auf den konkreten Vorwurf anzusprechen. Der Presserat sieht deshalb die Ziffer 3 der «Erklärung der Pflichten und Rechte der Journalistinnen und Journalisten» (Anhörung bei schweren Vorwürfen) verletzt.

Nicht verletzt sieht der Presserat entgegen der Auffassung des Beschwerdeführers hingegen die Ziffern 1 (Wahrheit), 4 (Lauterkeit der Recherche), 5 (Berichtigung) und 7 (Privatsphäre) der «Erklärung». Der Beschwerdeführer sah durch den Titel des beanstandeten Medienberichts «Freunde von Mark Muller bereichern sich mit Hilfe des Staats» seine Ehre verletzt. Für den Presserat ist diese Umschreibung zwar negativ konnotiert. Sie unterstelle aber weder ein illegales noch sonst ein besonders gravierendes Verhalten. Eine Ehrverletzung falle deshalb ausser Betracht und entsprechend sei auch die «Erklärung» nicht verletzt.

Résumé

Audition en cas de reproches graves: le journaliste doit être précis et rigoureux dans ses questions
Le journaliste doit être précis et rigoureux lorsqu’il confronte une personne à des reproches graves. Le Conseil suisse de la presse le rappelle dans sa prise de position n. 54/2012 Barbier-Mueller c. «20 Minutes» concernant un article publié le 14 février 2012 et intitulé «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat».

Dans cet article, le journaliste se demande si une transaction qu’il révèle entre l’Etat de Genève et le plaignant Thierry Barbier-Mueller est le fruit d’un «échange de bons procédés». Le reproche est grave, puisqu’il pose la question de relations de copinage entre un important promoteur immobilier et un conseiller d’Etat, à l’époque Mark Muller. Avant publication, le journaliste doit clairement confronter la partie concernée avec ce soupçon grave. Dans le cas présent, le journaliste a bien contacté le promoteur immobilier, mais il ne l’a pas interrogé clairement et de façon explicite sur un éventuel échange de bons procédés. Le Conseil suisse de la presse estime en conséquent que c’est une violation du chiffre 3 (audition lors de reproches graves) de la «Déclaration des devoirs et droit du/de la journaliste.»

Le plaignant a également affirmé qu’il y avait violation des chiffres 1 (vérité), 4 (loyauté de la recherche), 5 (rectification) et 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration». Le Conseil suisse de la presse n’a pas constaté de violation en la matière. Concernant le chiffre 7 en particulier, le plaignant affirme que le titre de l’article incriminé – «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat» – porte atteinte à son honneur. Le Conseil de la presse relève qu’un tel titre est bien connoté négativement, mais qu’il ne dénonce pas d’action grave ou illégale. Il ne peut donc y avoir diffamation, et par conséquent violation de la «Déclaration».

Riassunto

Dovere di ascolto in caso di addebiti gravi: Le domande devono essere precise!

Il giornalista dev’essere preciso e rigoroso quando interpella una persona oggetto di addebiti gravi. Lo ricorda il Consiglio della stampa nella Presa di posizione n. 54/2012 (Barbier-Muller c. «20 Minutes»), circa un articolo pubblicato il 14 febbraio 2012 e intitolato «Gli amici di Mark Muller si ingrassano a spese dello Stato».

Nell’articolo, l’autore si chiedeva se una transazione di cui era venuto a conoscenza, tra il Canton Ginevra e Thierry Barbier-Muller – l’autore del reclamo – non configurasse un tipico «scambio di favori». Il rimprovero era certamente grave, perché metteva in causa la relazione di amicizia tra un importante promotore immobilare e un consigliere di Stato, appunto Mark Muller. Dovere del giornalista, in un caso come questo, è quello di cercare il contatto, prima della pubblicazione, con la parte oggetto di un sospetto così grave. Nella fattispecie, il contatto c’era stato ma il sospetto scambio di favori non era stato dal giornalista esplicitamente evocato. Il Consiglio della stampa ritiene che il giornalista abbia commesso una violazione della «Dichiarazione dei doveri», alla cifra 3 (Dovere di ascolto in caso di addebiti gravi).

Il reclamante chiedeva pure che fosse dichiarata la violazione delle cifre 1 (ricerca della verità), 4 (ricerca leale), 5 (rettifica) e 7 (rispetto della vita privata). Su questi punti il Consiglio della stampa non ha dato seguito al reclamo. Muller prendeva di mira anche il titolo («Amici di Mark Muller si ingrassano a spese dello Stato»). Il Consiglio non lo ritiene invece lesivo dell’onore, in quanto non si riferisce a un’azione specifica grave o illegale. Non essendovi diffamazione, non è data neppure la violazione del codice professionale.


I. En fait

A. Le 14 février 2012, le quotidien gratuit «20 Minutes» publie un article intitulé «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat», signé DTI – à savoir Didier Tischler, journaliste. Le quotidien y traite de la location à l’Etat de Genève d’un immeuble neuf, dit Saint-Georges Center et construit au centre de Genève. On y lit que c’est une société immobilière (SI Saint-Georges Center SA – SGC), présidée par Thierry Barbier-Mueller, qui donnera à louer ce bâtiment pendant 10 ans pour une somme de 52 millions de francs.

Le quotidien affirme que Thierry Barbier-Mueller est un «soutien du conseiller d’Etat Mark Muller», et qu’il a «participé au financement de la campagne électorale 2009 du ministre chargé de l’immobilier». Le journaliste se demande si la location de l’immeuble, «à des loyers deux fois plus élevés que le bâtiment voisin» est un «échange de bons procédés». Il indique que «l’entrepreneur n’a pas souhaité commenter ce qu’il considère relever de la sphère privée». Le conseiller d’Etat Mark Muller pour sa part est cité dans l’article: il «admet que les promoteurs font ‹une bonne affaire› mais réfute l’idée de copinage».

Toujours dans son édition du 14 février 2012, «20 Minutes» publie deux encadrés à côté de l’article.
– Le premier est titré: «Loyers qui passent du simple au double». On y lit qu’à côté du nouvel immeuble décrit dans l’article principal, l’Etat de Genève loue un autre immeuble pour «quelque 2,2 millions de francs par an», ce qui «revient à 300 francs le mètre carré». Le quotidien conclut que les loyers demandés à l’Etat pour le Saint-Georges Center – «600 francs» pour la même surface – représentent le «double».
– Dans un deuxième encart, titré «Prom
oteur muet sur le coût de l’opération», le quotidien dit chercher les raisons de ces loyers. Il cite le bureau d’architectes berlinois Sauerbruch Hutton qui précise que «le coût de l’immeuble est de 27,3 millions d’euros», soit 33 millions de francs à l’époque. «20 Minutes» y affirme aussi qu’en incluant l’achat des parcelles, l’investissement «serait donc de 41,1 millions». Sollicité, Thierry Barbier-Mueller affirme que «le chiffre réel est bien supérieur». Le journaliste indique encore que le promoteur n’articule «aucun montant précis».

B. Le matin même de la publication de l’article, les informations qui y sont révélées sont reprises par plusieurs quotidiens romands sur leur site internet. La «Tribune de Genève», «Le Matin» et «24 Heures» titrent leur article ainsi: «Nouvelle accusation de copinage contre Mark Muller»; «Le Temps» en fait une brève, sous l’intitulé: «Nouvelle affaire embarrassante pour Mark Muller».

C. Dans la foulée, toujours le 14 février 2012, Thierry Barbier-Mueller fait parvenir un e-mail au journaliste Didier Tischler, intitulé «mise au point» et dans lequel il exige un «droit de réponse». Il y conteste le coût de l’opération, estimé à 33 millions dans l’article, et réaffirme qu’il est «bien supérieur» à cette somme. Il affirme aussi que le prix de location se situe à «570.–/m2, ce qui est absolument en ligne avec les prix du marché pour un immeuble neuf». Il estime «biaisée» la comparaison faite par le journaliste entre le loyer de l’immeuble Saint-Georges et celui de l’immeuble voisin. Il réfute indirectement l’accusation de «copinage» en donnant l’exemple d’une autre transaction avec l’Etat de Genève, conclue en 2003 «du temps de Mme Calmy-Rey et M.Moutinot», deux conseillers d’Etat qui selon lui ne «sont clairement pas des ‹copains›». Il demande à Didier Tischler de publier sa lettre sur Internet et dans la prochaine édition de «20 Minutes». Il envoie également le même e-mail aux rédactions en chef de la «Tribune de Genève», de «24 Heures» et du «Matin».

D. Didier Tischler refuse de publier cette «mise au point», notamment parce qu’elle est «plus longue» que son article et qu’elle contient des «erreurs manifestes» quant au coût de l’opération immobilière et des imprécisions quant aux prix de la location. Il estime que son article ne vise pas une société privée, mais qu’il se veut un éclairage sur la manière dont l’Etat gère les deniers publics. En revanche, la «mise au point» demandée par Thierry Barbier-Mueller est publiée dans les heures qui suivent sur les sites de la «Tribune de Genève», de «24 Heures» et du «Matin», par le biais du portail internet d’Edipresse, Newsnet.

E. Le 14 février 2012 en fin de journée, l’avocat de Thierry Barbier-Mueller et de la société Saint-Georges Center somme Didier Tischler de publier la réponse de ses mandants sur le site internet et dans l’édition du lendemain et invoque pour cela l’article 28g CC (atteinte à la personnalité). Il affirme que l’article reprend des «éléments de faits totalement inexacts», malgré des précisions données par ses mandants. Il estime que «ce procédé journalistique est parfaitement inadmissible et contraire à toute éthique professionnelle». Selon lui, l’article présente «une version des faits parfaitement tendancieuse portant clairement atteinte à l’honneur de Thierry Barbier-Mueller».

F. Suit la réponse du rédacteur en chef de «20 Minutes» Philippe Favre: il refuse le droit de réponse tel qu’exigé, estimant que l’atteinte à la personnalité de Thierry Barbier-Mueller ne «semble pas réalisée». Il propose néanmoins la publication du «point de vue» de Thierry Barbier-Mueller qui reprend l’essentiel des arguments du promoteur.

G. Le 15 février 2012, «20 Minutes» publie un nouvel article sur l’affaire, titré «Polémique autour des loyers de l’Etat», signé DTI (Didier Tischler), accompagné de la version courte de la mise au point de Thierry Barbier-Mueller. Ces deux textes ont été publiés la veille au soir sur le site internet du quotidien. Suite à cette publication, l’avocat de Thierry Barbier-Mueller demande à «20 Minutes» de retirer l’article du 14 février de son site internet.

H. Le 20 mars 2012, Thierry Barbier-Mueller et la société SI Saint-Georges Center SA portent plainte devant le Conseil suisse de la presse par le biais de leur avocat. Ils estiment que l’article du 14 février viole les chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (ne pas dénaturer l’information, suppression d’informations importantes, audition lors de reproches graves), 4 (méthodes déloyales), 5 (rectification), 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après la «Déclaration»), et ils demandent au Conseil suisse de la presse d’ordonner le retrait de l’article du 14 février du site Internet de «20 Minutes».

Les plaignants estiment que le journaliste, aidé par un de ses confères de «20 Minutes», a usé de méthodes déloyales pour se procurer ses informations sur le coût de l’immeuble (33 millions de francs) auprès des architectes berlinois en ne précisant pas le sujet de l’article de 14 février. Ils estiment que le journaliste a failli à son devoir de diligence en matière de recherche de la vérité en n’enquêtant pas en détail sur le coût total du projet immobilier, négligeant de contacter toutes les sources et omettant les informations qu’ils lui avaient données. Ils reprochent aussi au journaliste d’avoir porté atteinte à l’honneur de Barbier-Mueller en raison du titre de l’article «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat», associé au nom de Barbier-Mueller, ce qui, selon eux, amènerait les lecteurs à penser que Thierry Barbier-Mueller «profiterait abusivement» de l’opération. Ils estiment ce titre «insultant et diffamatoire».

I. Le 25 avril 2012, le rédacteur en chef de «20 Minutes» répond seul à cette plainte (il indique que le journaliste Didier Tischler ne travaille plus pour le quotidien). En préambule, il demande au Conseil suisse de la presse de considérer comme irrecevable la demande de retrait de l’article incriminé, adressée par les plaignants au Conseil de la presse, au motif que le Conseil n’a pas de pouvoir de sanction. Et il conteste les violations des chiffres 1, 3, 4, 5 et 7 de la «Déclaration» telles qu’imputées par les plaignants.

Il estime que le journaliste a cherché les informations nécessaires, notamment sur le prix de l’immeuble. D’après lui, les journalistes «20 Minutes» qui ont enquêté sur ce coût n’ont pas cherché à dissimuler leurs intentions, puisqu’ils ont seulement demandé le coût de l’immeuble pour faire un article au moment de l’inauguration du bâtiment. En contactant Thierry Barbier-Mueller avant publication, le journaliste a donné à celui-ci le moyen d’exposer son point de vue. Le rédacteur en chef de «20 Minutes» indique aussi que l’article publié le 15 février, accompagné de la prise de position de Thierry Barbier-Mueller a permis à celui-ci de s’exprimer sur le sujet. Enfin, il estime que «20 Minutes» n’a en aucune façon insinué ni sous-entendu que le plaignant eût été mêlé à une affaire de corruption», et que le fait que le nom de Thierry Barbier-Mueller apparaisse n’est pas une violation de sa sphère privée. Pour le rédacteur en chef, il existe un «intérêt public manifeste à la publication d’informations relatives à la politique immobilière de l’Etat de Genève et des agissements de Mark Muller, alors conseiller d’Etat à Genève».

J. La plainte est traitée lors de sa séance du 31 août 2012 et par voie de correspondance par la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

II. Considérants

1. a) Les plaignants demandent au Conseil suisse de la presse d’ordonner le retrait de l’article du 14 février intitulé «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat» de la version numérique de quotidien «20 Minutes».

b) Le Conseil suisse de la presse se prononce sur les pratiques journalistiques en référence à la déontologie professionnelle énoncée dans la «Déclaration» ainsi qu’aux Directives qui lui sont jointes. Ses avis ne prennent pas la forme de sanctions ou de décisions au sens judiciaire (prise de position 5/2001). En conséquence, le Conseil suisse de la presse ne peut pas imposer à un média le retrait d’un article sur son site Internet (prises de position 38/2003 et 13/2011).

2. Les plaignants reprochent à «20 Minutes» d’avoir violé les chiffres 1, 3, 4, 5 et 7 de la «Déclaration». En particulier, ils estiment que le journal a donné une version partiale des faits et qu’il a manqué à son devoir de vérification de l’information. En préambule de sa discussion, le Conseil suisse de la presse relève que l’article publié le 14 février est effectivement un article à charge contre les plaignants, mais il rappelle qu’il ne découle de la «Déclaration» aucune obligation de rendre compte de manière objective. Ainsi, le Conseil a toujours statué que le libre choix des informations qui sont publiées constitue une partie essentielle du travail journalistique et de la liberté de l’information. Sous réserve de l’obligation d’entendre une personne faisant l’objet de reproches graves, il est admissible de prendre parti dans un conflit (prises de position 37/2008, 10/2010 et 15/2011).

3. Le Conseil de la presse note que l’article du 14 février 2012 titré «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat» relate une transaction immobilière qui, selon les faits rapportés par le journaliste et selon les propos d’Etat Mark Muller, est une «bonne affaire» pour les promoteurs, à savoir les deux plaignants. Pour appuyer ses dires, le journaliste révèle un chiffre – 33 millions de francs – qui lui a été communiqué par le bureau d’architectes berlinois, en charge d’une partie du projet immobilier dont il est question. Il compare ce chiffre aux 52 millions de francs que rapportera la location de l’immeuble Saint-Georges à l’Etat de Genève. Le Conseil suisse de la presse relève qu’il aurait été plus judicieux d’utiliser, pour cette comparaison, le chiffre total de l’investissement avancé par «20 Minutes» dans l’un des encadrés accompagnant l’article – soit 41,1 millions de francs. Cependant, étant donné que «20 Minutes» mentionne tous les chiffres disponibles au moment de la publication et que l’article indique que selon Thierry Barbier Muller «le chiffre réel est bien supérieur» – le journal n’a pas violé le chiffre 1 de la «Déclaration».

Le Conseil de la presse estime par ailleurs que la comparaison de loyers entre le nouvel immeuble Saint-Georges et un immeuble plus ancien également loué par l’Etat vise à informer le lecteur sur les loyers en cours à Genève. Selon lui, il n’y a pas d’interprétation abusive des informations, comme l’affirment les plaignants. Certes, le Conseil suisse de la presse estime qu’une enquête plus poussée aurait été bienvenue, mais qu’il n’y a pas non plus sur ce point violation du chiffre 1 de la «Déclaration».

4. Du moment que le Conseil de la presse nie une violation du chiffre 1 de la «Déclaration», «20 Minutes» n’était pas obligé de publier une rectification (chiffre 5 de la «Déclaration»). D’ailleurs, le 15 février, «20 Minutes» a publié un deuxième article sous la plume de Didier Tischler, accompagné d’une version abrégée de la «mise au point» envoyée la veille par Thierry Barbier-Mueller. Le plaignant a ainsi eu l’occasion de faire valoir son point de vue.

5. Le propos principal de l’article concerne la nature de la transaction immobilière entre les plaignants et l’Etat de Genève. Après avoir exposé les termes de la transaction, le journaliste se demande rapidement s’il s’agit d’un «échange de bons procédés». Pour le Conseil de la presse, il s’agit indubitablement d’un reproche grave, auquel il faut confronter la personne concernée de manière explicite. Il l’a rappelé plusieurs fois dans ses précédentes prises de position: le chiffre 3.8 des directives relatives à la «Déclaration» (audition lors de reproches graves) stipule qu’«en vertu du principe d’équité (fairness) et du principe éthique général consistant à entendre les deux parties dans un conflit, les journalistes ont pour devoir d’entendre avant publication une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article ou la même émission» (prise de position 15/2011). Selon la jurisprudence du Conseil, lorsqu’un journaliste formule des reproches graves à l’égard d’une personne, il ne suffit pas de la contacter avant publication avec des questions vagues. Il est au contraire obligé de confronter la personne avec les reproches concrets (prise de position 38/2010).

Dans le cas présent, le journaliste a bien contacté le promoteur du projet, à savoir l’un des plaignants, Thierry Barbier-Mueller, un jour avant publication de son article. Il lui a notamment demandé de confirmer le coût de l’opération, de lui dire s’il avait la «certitude de pouvoir louer à l’Etat» avant de commencer la construction et s’il avait participé au financement de la dernière campagne électorale du conseiller d’Etat Mark Muller. Le 13 février 2012, Thierry Barbier-Mueller a renvoyé une réponse, disant qu’il n’a pas «pour habitude de commenter des transactions» qui relèvent de sa «sphère privée» ou de celle de ses clients. Il indique toutefois que le coût de construction réel «est bien supérieur» à ce qu’avance le journaliste. Dans son article du 14 février, le journaliste de «20 Minutes» a résumé cette réponse en deux endroits, mais il n’a pas explicitement confronté le plaignant avec le soupçon «d’échange de bons procédés». Les questions ont sous-entendu ces liens, mais elles ne les ont pas nommés précisément. Le plaignant n’a donc pas pu répondre directement à la gravité du reproche. Le Conseil suisse de la presse conclut qu’il y a violation du chiffre 3 de la «Déclaration».

6. Peut-on reprocher à «20 Minutes» d’avoir usé de méthodes déloyales pour obtenir le coût de l’opération? En contactant le bureau d’architectes, Rafael Leroy, journaliste travaillant également au sein de la rédaction de «20 Minutes», n’a pas masqué son identité de journaliste. Il n’a toutefois donné aucune précision sur l’objet de l’article en préparation, laissant plutôt croire que le journal s’intéressait à l’architecture du bâtiment. Un tel procédé relève d’une ruse discutable, note le Conseil, mais n’a pas le poids d’un procédé déloyal condamnable. Cela d’autant moins qu’il s’agissait d’obtenir une information d’intérêt public.

7. Les plaignants demandent aussi au Conseil de la presse de constater la violation du chiffre 7 de la «Déclaration». Cela concerne en particulier le titre de l’article («Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat») qui porterait atteinte à l’honneur de Thierry Barbier-Mueller. Le Conseil suisse de la presse est d’avis que l’emploi du verbe «engraisser», même s’il est connoté négativement, exprime en langage populaire la nature de la transaction, qui selon l’aveu même du conseiller d’Etat Mark Muller est une «bonne affaire» pour les promoteurs, à savoir les plaignants. Mais ni le titre ni l’article ne dénoncent d’action grave ou illégale. De ce fait, le Conseil suisse de la presse estime qu’il n’y a pas diffamation et, par conséquent, que le chiffre 7 de la «Déclaration» n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. «20 Minutes» a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (audition lors de reproches graves) en ne confrontant pas directement les plaignants avec le reproche grave contenu dans l’article «Des amis de Mark Muller s’engraissent grâce à l’Etat», publié le 14 février 2012.

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.

4. «20 Minutes» n’a pas contrevenu aux chiffres 1 (vérité), 4 (loyauté de la recherche), 5 (rectification) et 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration».<