Nr. 9/2012
Vérité / Distinction entre l’information et les appréciations / Audition lors de reproches graves / Suppression d’informations importantes

(Bonhôte c. «L’Express»/«L’Impartial»)Prise de position du Conseil suisse de la presse du 17 février 2012

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I. En fait

A. Le 14 septembre 2011 les quotidiens «L’Express» et «L’Impartial» publient un article intitulé «Il revendique sa pension», signé Florence Veya. Ce texte évoque le fait que Pierre Bonhôte, élu au Conseil communal de la Ville de Neuchâtel en 2000 et non réélu en 2004, a saisi la Cour cantonale de droit public pour réclamer la continuation du versement de la pension d’ancien conseiller communal qu’il touchait depuis sa non-réélection. En effet, la caisse de pension avait cessé de verser cette rente en août 2008, après 49 mois, conformément à un arrêté du Conseil général de 1979.

L’article relève que M. Bonhôte, qui occupe la fonction de chimiste cantonal depuis le 1er juillet 2011, juge «pourtant» «discriminatoire et arbitraire» le fait de ne plus recevoir sa pension d’ancien conseiller communal, d’un montant mensuel de CHF 2’255.20, depuis 2008. Après avoir expliqué le déroulement des procédures suivies, la journaliste conclut en écrivant que bien que la Cour de droit public ait rejeté toutes ses conclusions, «le chimiste cantonal persiste et signe, puisqu’il a déposé un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral».

B. Dans un article du 30 septembre 2011 intitulé «Le PLR fâché contre le Conseil d’Etat», signé DAD et publié dans les quotidiens précités, le journaliste relate les propos de Jean-Bernard Wälti, député PLR au Grand Conseil neuchâtelois, s’exprimant après une séance dudit parlement. Revenant sur la fusion avortée des compagnies de transports publics TN et TNR et sur le refus du Grand Conseil de rouvrir la discussion sur ce thème, M. Wälti estime que «son parti n’a aucune leçon à recevoir du PS lorsque celui-ci évoque un prétendu népotisme». Il évoque alors le cas «d’un ancien président du PS qui n’a pas tous les papiers et se voit confier la tâche de chimiste cantonal». Le journaliste précise alors qu’«en l’occurrence, il s’agit de l’ancien élu, notamment au Grand Conseil, Pierre Bonhôte».

C. Le 14 octobre 2011, M. Bonhôte porte plainte contre «L’Express» et «L’Impartial» pour les articles parus les 14 et 30 septembre 2011.

S’agissant du premier texte, le plaignant estime qu’il a été rédigé de manière partiale, sans rendre perceptible pour le lecteur la distinction entre l’énoncé des faits et les appréciations relevant du commentaire ou de la critique. La journaliste aurait ainsi violé la Directive 2.3 relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (distinction entre l’information et les appréciations). M. Bonhôte fait une analyse de l’article qui tend à démontrer que celui-ci «ne procède pas à un exposé équitable des faits, mais sert une thèse hostile à une action en justice, (…), tout en évitant de solliciter l’avis de l’auteur de l’action». Il allègue également la violation de la Directive 3.8 (audition lors de reproches graves). Il regrette enfin que l’auteur du texte n’ait pas mentionné le fait que Valérie Garbani, ancienne conseillère communale démissionnaire à l’âge de 43 ans, bénéficie d’une pension à vie.

En ce qui concerne le second article, le plaignant estime qu’il porte une accusation grave à son encontre, puisqu’il laisse entendre qu’il ne remplissait pas toutes les conditions légales posées pour la fonction de chimiste cantonal au moment de sa nomination. Selon lui, ce texte contrevient au chiffre 1 de la «Déclaration» (recherche de la vérité), de même qu’à la Directive 3.8 (audition lors de reproches graves).

D. Dans sa réplique du 26 octobre 2011, le rédacteur en chef des deux quotidiens incriminés rejette la plainte de M. Bonhôte.

D’une part, l’article du 14 septembre 2011 est un article d’information et n’est pas rédigé de manière partiale. Il n’affirme en particulier d’aucune manière que l’action en justice du plaignant est «illégitime» et a été déposée «ès fonction».

D’autre part, l’article du 30 septembre 2011 ne fait que citer les propos d’un député en marge d’une séance du Grand Conseil neuchâtelois. Selon le rédacteur en chef, il n’est d’ailleurs «pas possible de solliciter des prises de position contradictoires à l’occasion de la couverture d’un législatif». Enfin, «la désignation de M. Bonhôte en 2008 comme futur chimiste cantonal a été effectuée alors que M. Bonhôte n’avait pas les documents nécessaires et il devait les acquérir d’ici 2010 en suivant des cours financés par l’Etat».

E. La plainte de M. Bonhôte est traitée lors de sa séance du 17 février 2012 et par correspondance par la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

 
II. Considérants

1. a) Le plaignant invoque une violation des Directives 2.3 (distinction entre l’information et les appréciations) et 3.8 (audition lors de reproches graves) en ce qui concerne l’article paru le 14 septembre 2011.

b) Le Conseil suisse de la presse estime que la Directive 2.3 n’a pas été enfreint. En effet, le texte en question relate les motifs avancés par M. Bonhôte à l’appui des procédures judiciaires qu’il a engagées pour obtenir le paiement à titre viager de sa pension de retraite d’ancien conseiller communal de la Ville de Neuchâtel. Même si on sent poindre une certaine incompréhension de la part de la journaliste à l’égard de ces actions en justice, le Conseil de la presse estime que le public est parfaitement à même de faire la distinction entre l’information donnée et les appréciations critiques de l’auteur du texte. Le Conseil pense également qu’il n’y a pas de violation de la Directive 3.8. En effet, M. Bonhôte n’avait pas à être entendu avant la parution de l’article, car celui-ci rend compte d’un jugement, donc d’une décision officielle qui ne requiert pas d’audition (prise de position 57/2010). Le plaignant occupe la fonction de chimiste cantonal depuis le 1er juillet 2011; c’est un haut fonctionnaire du canton de Neuchâtel et une personnalité publique de par les nombreux mandats qu’il s’est vu confier. Il est donc normal de mentionner sa fonction.

2. a) Par ailleurs, M. Bonhôte invoque une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» (vérité) et de la Directive 3.8 s’agissant de l’article publié le 30 septembre 2011.

b) Le Conseil suisse de la presse relève tout d’abord qu’il ne s’agit pas dans ce cas d’un compte rendu d’une séance plénière du Grand Conseil neuchâtelois, mais de déclarations faites par un député après la session parlementaire. Il ne s’agit donc pas d’une source officielle. Ensuite, il ressort d’un communiqué de presse du Conseil d’Etat neuchâtelois que celui-ci a nommé lors de sa séance du 20 avril 2011 M. Bonhôte en qualité de chimiste cantonal avec entrée en fonctions le 1er juillet 2011 (communiqué du Bureau de la communication du 21 avril 2011). Le Conseil d’Etat y mentionne que M. Bonhôte «achève actuellement une formation postgrade de MAS en sécurité alimentaire». Le Conseil suisse de la presse en conclut qu’au moment de son entrée en fonctions, le plaignant était bien en possession des documents nécessaires pour remplir ses tâches. Les déclarations de M. Wälti, reproduites dans l’article du 30 septembre, ne sont donc pas exactes. Or, le journaliste s’est contenté de préciser que le député PLR parle de M. Bo
nhôte, sans juger utile de rectifier et de compléter les affirmations incorrectes faites par M. Wälti, quand bien même le communiqué de presse du Conseil d’Etat était facilement accessible.

Le devoir d’audition lors de reproches graves tombe si le média a déjà publié une accusation auparavant. Mais il convient toutefois de republier le démenti d’alors (prises de position 10 et 23/2008). L’audition de M. Bonhôte n’était certes pas indispensable, puisque les faits étaient connus, mais le journaliste aurait dû les rappeler. A savoir que M. Bonhôte avait acquis la formation exigée au moment de son entrée en fonction. Le Conseil de la presse estime donc qu’il y a violation du chiffre 3 de la «Déclaration» sous l’aspect de l’omission d’informations importantes.

III. Conclusions

1. La plainte contre «L’Express» et «L’Impartial» est partiellement admise.

2. En publiant l’article «Le PLR fâché contre le Conseil d’Etat» dans leur édition du 30 septembre 2011, «L’Express» et «L’Impartial» contreviennent au chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droit du/de la journaliste» (omission d’informations importantes).

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.

4. «L’Express» et «L’Impartial» n’ont pas violé les chiffres 1 (vérité), 2 (distinction entre l’information et les appréciations) et 3 (sous l’aspect de l’audition lors de reproches graves) de la «Déclaration».