I. En fait
A. Le 26 novembre 2011, le quotidien «24 Heures» publie un article intitulé «Les écoles ‹Swiss made› sont pleines», signé Martine Clerc. Ce texte met en évidence le succès des écoles suisses, notamment auprès des étudiants chinois et de leurs parents. Dans un encadré intitulé «Etudiants chinois grugés en Suisse», la journaliste relève que plusieurs scandales ont néanmoins secoué l’enseignement privé suisse dès 2003, en particulier au détriment d’étudiants chinois. Elle mentionne quelques exemples et termine sa liste comme suit: «L’an dernier, c’est L’Institut Universitaire Kurt Bösch (IUKB) et l’Ecole Lemania, associés pour délivrer certains diplômes, qui ont fait carrément l’objet d’une plainte pénale. Un étudiant chinois dénonce le ‹flou› académique qui entoure leurs diplômes en ‹business administration› et le fait qu’ils ne sont pas reconnus par les Universités suisses.»
B. Par courriel du 28 novembre 2011, le directeur de l’IUKB, Philip D. Jaffé, prend contact avec Martine Clerc, pour lui indiquer que la plainte pénale dont elle parle dans son article a fait l’objet d’un non-lieu. La journaliste répond le même jour qu’il a «raison de rappeler que la plainte fait l’objet d’un non-lieu. Je ne l’ai pas mentionné dans l’article car un recours s’en est suivi au tribunal cantonal valaisan.» Elle précise en outre qu’elle attend le résultat du traitement de ce recours. Tout en admettant que la journaliste cite cette affaire, le directeur de l’IUKB lui répond que «d’informer de manière complète en indiquant le non-lieu et le recours change beaucoup la perception de l’affaire».
C. Le 30 novembre 2011, le quotidien «24 Heures», sous la plume de Judith Mayencourt, publie un article intitulé «Le tribunal déboute un étudiant chinois». Celui-ci avait déposé en août 2010 une plainte pénale contre Claude Roch, chef du Département de l’Instruction Publique valaisan, ainsi que contre des dirigeants de l’IUKB pour violation de la loi sur la concurrence déloyale et abus d’autorité. En effet, bien que détenteur d’un bachelor en Business Administration de l’IUKB, portant la mention «IUKB recognized by the Swiss government» et signé par Claude Roch, il s’était vu refuser l’admission aux Universités de Lausanne et de Fribourg, son diplôme n’étant pas reconnu par ces institutions. Après une première décision de non-entrée en matière du procureur valaisan, contre laquelle l’étudiant chinois a recouru, la Chambre pénale du Tribunal cantonal valaisan a confirmé cette décision, la plainte pénale étant tardive.
D. Le 9 décembre 2011, Martine Clerc envoie par courrier électronique l’article du 30 novembre 2011 à Philip D. Jaffé. Celui-ci lui répond que ce second article ne modifie pas le fait que la journaliste a exprimé dans son premier article «de manière tendancieuse des informations partielles», alors qu’elle disposait de l’information complète. Il annonce qu’il va saisir le Conseil suisse de la presse.
E. Le 13 janvier 2012, le directeur de l’IUKB porte en effet plainte contre l’article paru le 26 novembre 2011 dans le quotidien «24 Heures». Il estime qu’il contrevient à la Directive 1.1 (Recherche de la vérité) relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», la journaliste n’ayant pas indiqué que la plainte pénale déposée par un étudiant chinois avait fait l’objet d’un non-lieu. Il regrette également que l’auteure de l’article n’ait pas pris contact avec l’IUKB pour mieux comprendre la situation dans laquelle cet institut universitaire se trouve. Il invoque en outre une violation de la Directive 2.3 (Distinction entre l’information et le commentaire). Selon lui, en indiquant seulement que l’IUKB et l’Ecole Lemania ont «carrément» fait l’objet d’une plainte pénale, après avoir décrit d’autres exemples problématiques, le journal donne l’impression au lecteur que cette dernière affaire est «d’une gravité supplémentaire», mélangeant ainsi des faits incomplets et «un glissement vers le commentaire». Enfin, le plaignant fait valoir une violation de la Directive 5.1 (Rectification), Martine Clerc n’ayant pas spontanément proposé de rectification.
F. «24 Heures» prend position le 24 février 2012, sous la plume de Thierry Meyer, rédacteur en chef, et de Martine Clerc. Ils demandent au Conseil suisse de la presse de rejeter la plainte de l’IUKB. D’après eux, le fait de ne pas indiquer que la plainte pénale de l’étudiant chinois avait fait l’objet d’un non-lieu ne viole pas la Directive 1.1. Ils reconnaissent néanmoins que la journaliste savait au moment de la rédaction de l’article du 26 novembre 2011 que cette plainte pénale avait fait l’objet d’un non-lieu et que le jugement du Tribunal cantonal était sur le point d’être rendu. (Le Tribunal cantonal valaisan a confirmé le non-lieu dans un jugement du 29 novembre 2011.) Ils estiment toutefois que ces éléments n’avaient pas à être mentionnés, l’encadré incriminé n’ayant eu pour objectif «que de lister les problèmes et affaires judiciaires impliquant des écoles privées suisses, en marge d’un article relatant la popularité de celles-ci». D’autre part, la journaliste n’a fait ni commentaire, ni critique dans l’encadré, qui ne mentionne que des faits. Il n’y a donc pas violation de la Directive 2.3. Enfin, les informations relatives à l’IUKB dans l’article du 26 novembre 2011 étant «conformes à la vérité», il n’y avait pas de devoir de rectification. A ce sujet, il est relevé que dans l’échange de courriels qui a eu lieu le 28 novembre 2011 entre Martine Clerc et Philip D. Jaffé, ce dernier n’a pas demandé de rectification, ce que la rédaction aurait accepté.
G. La plainte est traitée lors de sa séance du 20 février 2012 et par correspondance par la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.
II. Considérants
1. a) Le plaignant invoque principalement une violation de la Directive 1.1 (Recherche de la vérité) relative à la «Déclaration», la journaliste de «24 Heures» n’ayant pas informé le public que la plainte pénale de l’étudiant chinois avait fait l’objet d’un non-lieu, contre lequel un recours avait été interjeté et sur lequel le Tribunal cantonal valaisan allait bientôt se prononcer.
b) Selon la Directive 1.1, la recherche de la vérité suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles, le respect de l’intégrité des documents, la vérification, la rectification. En l’espèce, la journaliste reconnaît avoir eu connaissance du fait que la plainte pénale déposée par l’étudiant chinois avait fait l’objet d’un non-lieu, suivi d’un recours du plaignant. Elle estime cependant qu’elle n’avait pas à en faire état, puisqu’elle se contentait de mentionner l’existence d’une plainte pénale. Mais pour le Conseil de la presse, elle aurait dû se rendre compte qu’il s’agissait là de faits importants pour la réputation et l’image de l’IUKB. Même si une procédure de recours est pendante, la situation n’est pas la même s’il y a un non-lieu en première instance ou s’il y a une condamnation pénale. Il était donc nécessaire de préciser de manière complète la situation judiciaire. Il y a donc bien violation du Chiffre 1 de la «Déclaration».
2. Le directeur de
l’IUKB estime par ailleurs que l’encadré paru dans l’article du 26 novembre 2011 viole la Directive 2.3 (Distinction entre l’information et le commentaire). Le Conseil suisse de la presse ne partage pas cet avis. En effet, dans ce texte, Martine Clerc énonce une série de cas de manière factuelle, sans émettre de commentaire particulier. L’utilisation de l’adverbe «carrément», pas nécessairement idoine, n’y change rien.
3. Le plaignant fait enfin valoir que la journaliste aurait dû lui proposer spontanément une rectification. La rédaction de «24 Heures» relève que bien que l’article du 30 novembre 2011 ne soit pas un article rectificatif, «par sa longueur, son objet unique et son emplacement, l’impact de ce second article auprès de notre lectorat ne peut être que plus fort que la publication litigieuse». Le Conseil de la presse partage ce raisonnement et il estime qu’il n’y a pas violation du Chiffre 5 des la «Déclaration» (Rectification).
III. Conclusions
1. La plainte contre «24 Heures» est partiellement admise.
2. En publiant l’encadré intitulé «Etudiants chinois grugés en Suisse» dans son édition du 26 novembre 2011, «24 Heures» a enfreint le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (vérité). Le journal aurait dû mentionner que la plainte de l’étudiant chinois avait fait l’objet d’un non-lieu en 1ère instance et qu’une procédure de recours était pendante.
3. Pour le reste, la plainte est rejetée.
4. «24 Heures n’a pas violé le chiffre 2 (Distinction entre l’information et le commentaire) et 5 (Rectification) de la «Déclaration».