I. En fait
A. Sous le titre «Les connaissez-vous?», les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont publié dans la Tribune de Genève du 13-14 septembre 2003 un avis de recherche. Cet avis fait état de deux personnes décédées dont l’hôpital recherche les «parents, amis ou connaissances».
B. Le 14 septembre 2003, la famille d’une des personnes mentionnées dans cet avis écrit aux HUG pour signaler qu’une erreur a été commise. Loin d’être abandonné, leur parent «était entouré de son épouse, ses enfants, ses petits-enfants ainsi que de ses frères et sœurs.» Son corps est resté à l’hôpital, car le défunt en avait fait don à la médecine.
C. En date du 17 septembre 2003, «Le Matin» publie un article intitulé «Morts dans l’oubli». L’article se fonde sur l’encart des HUG, et la journaliste s’est intéressée aux personnes décédées dont personne ne réclame le corps. Les HUG font savoir par deux fois au Matin (courriels du 16 septembre 2003) qu’ils s’opposent à la diffusion de l’article sans toutefois faire état de l’erreur qui a été commise. «Le Matin» décide de publier l’article, car l’annonce des HUG, dès lors qu’elle a été publiée dans la Tribune, «tombe dans le domaine public».
D. Le 30 septembre 2003, X. porte plainte auprès du Conseil suisse de la Presse contre «Le Matin». Fille d’une des personnes ayant fait l’objet de l’avis de recherche, elle a été «choquée et affectée» de l’article qui laissait entendre que le défunt était mort abandonné par sa famille. Elle joint à sa plainte un avis de décès paru le 2 septembre 2003 dans la Tribune, indiquant que le défunt «s’est endormi entouré de l’affection de tous les siens». X. reproche à la journaliste de «ne pas avoir cherché à prendre contact avec la famille pour s’assurer de l’authenticité de ses informations».
Selon la plaignante, les points suivants de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» ont été violés: 1 (recherche de la vérité), 3.1 (traitement des sources), 3.8 (audition lors de reproches graves), 5 (devoir de rectification), 7.2 (situation de détresse), 8.1 (respect de la dignité humaine), 8.3 (protection des victimes).
E. Le 23 octobre 2003, «Le Matin» réplique et soutient pleinement sa journaliste qui «a fait sont travail correctement». Si l’on veut parler de fautes professionnelles, souligne le quotidien, «c’est du côté de l’hôpital de Genève qu’on peut les trouver». En effet, le journal fait valoir que l’hôpital a simplement exigé du «Matin» qu’il renonce à son article, mais sans jamais mentionner que l’avis de recherche était en fait le résultat d’une erreur administrative.
F. La plainte a été confiée à la 2ème chambre du Conseil de la Presse, composée de Mmes Sylvie Arsever et Nadia Braendle et de MM Dominique von Burg, Daniel Cornu (président) Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger. M. Michel Zendali («Le Matin dimanche») s’est récusé.
G. Le 1er janvier 2004 Daniel Cornu et Ueli Leuenberger ont été remplacés par Pascal Fleury et Charles Ridoré. Sylvie Arsever a remplacé Daniel Cornu à la présidence.
H. La plainte a été examinée lors des séances du 13 décembre 2003 et du 6 février 2004.
II. Considérants
1. Les points soulevés par la plaignante concernent principalement le respect de la vérité et les méthodes mises en œuvre pour y parvenir (chiffres 1, 3 et 5 de la «Déclaration»), ainsi que le respect de la personne, la protection des victimes et de la dignité humaine (chiffres 7 et 8).
2. a) Selon la directive 1.1 relative à la «Déclaration» «la recherche de la vérité est au fondement de l’acte d’informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles, le respect de l’intégrité des documents (textes, sons et images), la vérification, la rectification». La directive 3.1 (traitement des sources) statue que «l’acte premier de la diligence journalistique consiste à s’assurer de l’origine d’une information et de son authenticité. La mention de la source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public; sous réserve d’un intérêt prépondérant au respect du secret de la source, celle-ci doit être mentionnée chaque fois qu’elle constitue un élément important de l’information.
b) La journaliste du «Matin» s’est fondée pour son article sur l’avis publié par les HUG, et a enquêté pour savoir si ces situations étaient fréquentes et ce qui se passe si personne ne réclame les dépouilles. L’autorité morale des HUG est telle qu’on ne peut reprocher à la journaliste d’avoir pris au sérieux l’information contenue dans l’avis de recherche. La journaliste a pris contact avec un grand nombre d’interlocuteurs à l’hôpital pour vérifier l’information. A deux reprises, l’hôpital a fait savoir qu’il s’opposait à la publication de l’article. Seule argumentation: «la mention de la personne décédée – à des fins d’illustration d’un article grand public – en dénature l’objet et en multiplie l’impact».
Les HUG n’ont jamais porté à la connaissance de la journaliste qu’ils ont commis une erreur en publiant un avis de recherche concernant Monsieur Metry. L’hôpital n’a pas mentionné non plus que la famille avait réagi devant «une telle énormité». Une omission d’autant plus étonnante, que les HUG, dans une lettre d’excuses adressée à la famille le 14 septembre 2003, reconnaissent qu’à la suite d’ «une erreur d’un collaborateur des HUG», la dépouille de Monsieur Metry «a été enregistrée comme non réclamée». On ne peut dès lors pas reprocher à la journaliste de ne pas avoir trouvé une information qui lui a été délibérément cachée.
3. a) Selon la directive 3.8 (Audition lors de reproches graves) «les journalistes ont pour devoir d’entendre avant publication une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article ou la même émission.»
b) On peut se demander si la journaliste n’aurait pas dû rechercher la famille. Celle-ci se plaint en effet de ne pas avoir été entendue. Cependant, il faut relever que la journaliste, faisant confiance aux HUG, est partie du principe qu’il n’y avait pas de famille. Et même si elle avait eu un doute, la démarche consistant à téléphoner à tous les Metry de Suisse pour leur demander si l’avis de recherche concernait un de leurs proches était délicate, voire impossible à réaliser.
4. Une fois l’erreur des HUG connue, «Le Matin» aurait dû corriger l’information parue le 17 septembre 2003. La rédaction est en effet tenue après la publication, de rectifier «spontanément» toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte (chiffre 5 de la Déclaration et directive 5.1).
5. Une autre question déontologique se pose encore. La mention, dans l’article du «Matin», du nom de la personne décédée et la reproduction de l’avis de recherche, étaient-elles justifiée? La mention du nom du défunt porte atteinte à la protection de la personnalité. Par respect de la dignité humaine, l’anonymat de la personne concernée aurait pu être préservé, ainsi que le recommande la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste»: «la protection de la sphère privée d’une personne concernée par un compte rendu médiatique (…) exige la plus grande retenue dans l’usage des éléments permettant une identification». La publication du nom du défunt reste néanmoins défendable, car ce nom était entré dans le domaine public à la suite de l’avis des HUG. En outre, l’article reste factuel et il n’exploite pas de manière excessive les données personnelles. Dès lors les directives 7.2 , 8.1 et 8.3 n’ont pas été violées.
III. Conclusions
1. La plainte est partiellement acceptée.
2. «Le M
atin» a violé le chiffre 5 de la «Déclaration» en ne rectifiant pas l’information erronée selon laquelle la famille n’aurait pas réclamé la dépouille du défunt
3. Pour le reste, la plainte est rejetée. La journaliste a fait correctement son devoir de vérification des informations et la mention du nom était défendable.