Nr. 9/2008
Respect de la vie privée de personnalités / Publication de rumeurs

(X. / Sarkozy c. «Le Matin») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 27 février 2008

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Zusammenfassung

Resumé

Riassunto

I. En fait

A. Le quotidien «Le Matin» a publié, en date du 4 décembre 2007, un article intitulé «Jeudi, Cécilia Sarkozy était à Genève», où il évoque «deux rumeurs» courant sur les raisons de ce déplacement. L’article est annoncé par une affichette posant la question: «Mais que fait Cécilia Sarkozy à Genève?» L’une des rumeurs rapportées par le quotidien porte sur la possible scolarisation de Louis, fils du président Nicolas Sarkozy et de son ex-femme Cécilia, à l’Institut genevois Florimont. Selon le quotidien, cette «hypothèse Florimont» n’est pas confirmée. L’autre rumeur évoque la possibilité d’une rencontre entre Cécilia Sarkozy et son «ancien amant», X.. Ce publicitaire aurait engagé Mme Sarkozy dans sa société Y. Une rumeur que X. dément «formellement» dans l’article. Le sujet est illustré par une grande photo de Cécilia Sarkozy et de son fils ainsi que par une petite photo-médaillon de X..

B. Le 7 décembre 2007, X. dépose une plainte contre «Le Matin» auprès du Conseil suisse de la presse, par l’intermédiaire d’un avocat. Le plaignant estime qu’en publiant des rumeurs, l’article transgresse le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après: «Déclaration»), en particulier le devoir de recherche de la vérité (Directive 1.1), de même que le chiffre 3 de la «Déclaration» prévoyant qu’un journaliste ne publie que des informations dont l’origine est connue de lui. X. reproche aussi au «Matin» la publication de l’intertitre «L’‹amant› nous appelle» qui «ne correspond pas au contenu de l’article» et contreviendrait aux chiffres 1 (recherche de la vérité) et 3 (ne dénaturer aucun texte) de la «Déclaration». La plainte porte enfin sur le chiffre 7 de la «Déclaration», qui impose le respect de la vie privée des personnes. Selon elle, publier le nom et la photo de X. en indiquant qu’il s’agit de l’«ancien amant» de Cécilia Sarkozy est une information «qui relève de la sphère intime de X.» et n’a «aucun intérêt public».

C. Le 12 décembre 2007, Mme Cécilia Sarkozy, représentée par un avocat, dépose également plainte contre l’article du «Matin». Elle invoque les mêmes chiffres 1 3, et 7 de la «Déclaration». Concernant le respect de sa vie privée (chiffre 7), elle affirme «ne plus avoir aucune responsabilité politique, même indirecte, puisqu’elle n’est plus mariée au Président de la République française», et qu’elle «peut donc prétendre à un respect complet de sa vie personnelle». De même, elle dénonce un non-respect de la vie privée de son fils Louis Sarkozy, invoquant en particulier la Directive 7.4 relative à la «Déclaration», qui précise que «les enfants sont dignes d’une protection particulière».

D. Le 9 janvier 2008, X. dépose une plainte complémentaire contre «Le Matin» concernant un article publié le même jour sous le titre «Cécilia bientôt remariée?» et annoncé en première page du journal par le titre «Cécilia ex-Sarkozy – Nicolas Sarkozy: Qui se remariera en premier?» La plainte invoque à nouveau les chiffres 1, 3 et 7 de la «Déclaration». Elle relève que l’article publie des «rumeurs fausses et infondées relatives à un mariage, en se basant sur un seul article publié par ‹Le Parisien›, sans même donner la possibilité à X. de se prononcer préalablement». Elle dénonce aussi une violation de la vie privée des personnes, par la publication du nom de X. et d’«éléments relatifs à sa vie intime, qui remontent partiellement à 2005».

E. Le 10 janvier 2008, Mme Cécilia Sarkozy fait également parvenir l’article du 9 janvier 2008 du «Matin» au Conseil suisse de la presse pour qu’il soit ajouté à sa plainte initiale. Elle renvoie aux arguments de sa première plainte.

F. Le 25 janvier 2008, «Le Matin» prend position sur ces deux plaintes dans un courrier adressé au Conseil suisse de la presse. Pour le quotidien, qui reconnaît une «maladresse de l’auteur» dans un intertitre, il n’y a pas eu violation des chiffres 1, 3 et 7 de la «Déclaration». Concernant la plainte de Mme Sarkozy, «Le Matin» signale qu’une procédure judiciaire contre Edipresse Publications SA est ouverte en France dans le même cadre. Il demande que le Conseil suisse de la presse n’entre pas en matière et sursoie à statuer jusqu’à droit jugé en France, en vertu de l’article 15 alinéa 4 du Règlement du Conseil suisse de la presse («Le Conseil suisse de la presse n’entre pas en matière lorsque la plaignante/le plaignant veut exploiter le Conseil suisse de la presse pour obtenir des éléments de preuve qui ne pourraient être obtenus par une autre voie»).

G. Les plaintes ont été transmises à la 2ème Chambre du Conseil de la presse, qui est composée de Dominique von Burg (président), Nadia Braendle, Michel Bührer, Pascal Fleury, Charles Ridoré, Anne Seydoux et Michel Zendali. Ce dernier, ancien rédacteur en chef du «Matin Dimanche», s’est récusé.

H. La 2ème Chambre a traité les deux plaintes de Mme Sarkozy et X. simultanément dans ses séances du 1er et du 27 février 2008.

II. Considérants

1. Le Conseil suisse de la presse refuse la requête du «Matin» demandant de surseoir à statuer concernant la plainte de Mme Cécilia Sarkozy jusqu’à ce que la procédure judiciaire française ouverte par Mme Sarkozy soit achevée (art. 15 alinéa 4 du Règlement du Conseil suisse de la presse). Il estime qu’une prise de position du Conseil suisse de la presse dans cette affaire ne pourrait être exploitée par la plaignante comme «élément de preuve qui ne pourrait être obtenu par une autre voie». Elle estime en revanche que les plaignants soulèvent des questions de fond concernant le journalisme «people» qui méritent d’être traitées, nonobstant la procédure judiciaire française.

2. Les deux plaintes de Mme Sarkozy et de X., portant sur des articles du «Matin» publiés le 4 décembre 2007 et le 9 janvier 2008, soumettent deux problématiques principales: d’une part la question de la publication de rumeurs concernant des personnalités, d’autre part, le respect de la vie privée de personnalités et de leurs enfants.

3. a) La directive 7.3 relative à la «Déclaration» (Personnalités) statue que les personnalités de la vie publique ont aussi un droit à la protection de leur vie privée. Elles ne peuvent cependant pas exiger qu’on ne parle d’elles que dans un contexte qui leur convient (prise de position 20/1999). Selon la directive 7.6 (Mention des noms) un compte rendu touchant la sphère privée ou même la sphère intime d’une personne est admissible si la personne a donné son consentement explicitement ou par son attitude, ou s’il y a une relation entre l’information relevant de la sphère privée et la fonction publique de la personne.

b) Les plaignants estiment que la publication de rumeurs les concernant ne respecte pas leur vie privée (chiffre 7 de la «Déclaration»). Pour eux, ces allégations n’ont pas d’intérêt public, et n’ont donc pas à être diffusées. «Le Matin» rétorque que ces deux personnalités ne sont pas des inconnus. X. est un homme d’affaires actif notamment au WEF de Davos, dont la relation avec Mme Sarkozy a été étalée au grand jour par «Paris Match» en 2005. Quant à Mme Sarkozy, ex-épouse du président de la République française, elle s’est retrouvée par la force des choses sous les feux des projecteurs. Pour le quotidien romand, l’intérêt général du public l’emporte en l’espèce sur le respect de la vie privée.

c) Pour le Conseil suisse de la presse, le cas de ces deux personnalités ne se présente pas de la même manière.

S’agissant de X., le fait qu’il soit actif au WEF de Davos et qu’il a
it fait l’objet d’un article dans «Paris Match» en 2005 ne libère aucunement «Le Matin» de son devoir de respect de la vie privée et intime.

Concernant Mme Sarkozy, c’est différent: l’ex-épouse du président Nicolas Sarkozy ne peut exiger du jour au lendemain qu’on oublie son existence. Surtout, Mme Sarkozy s’est prêtée, même après son divorce, à des interviews dans des journaux et dans des livres traitant notamment de sa vie privée.

d) Concernant la rumeur de l’inscription du fils Louis Sarkozy à l’Institut Florimont, les plaignants invoquent encore la Directive 7.4, qui dit: «Les enfants sont dignes d’une protection particulière; cette disposition vaut aussi pour les enfants de personnalités publiques ou de personnalités qui sont l’objet de l’attention des médias.» Pour «Le Matin», faire état d’une éventuelle scolarisation de Louis Sarkozy auprès de l’Institut Florimont «ne dévoile rien de la sphère intime de cet enfant qui pourrait lui être préjudiciable». Le quotidien souligne encore que «c’est bien la plaignante et son ex-mari qui ont initié la médiatisation de leur fils Louis, durant la campagne présidentielle de 2007».

Pour le Conseil suisse de la presse, une information sur le lieu d’études éventuel de l’enfant Sarkozy reste du domaine de la sphère privée. La curiosité du public ne l’emporte donc pas sur le respect de sa vie privée, sans compter les questions liées à sa sécurité. Enfin, dans le cas présent, la publication d’une photo de l’enfant n’était de toute façon pas admissible.

4. a) Concernant la publication de rumeurs, le Conseil suisse de la presse rappelle quelques règles fondamentales, inscrites comme «devoirs» dans la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Il s’agit du devoir de recherche de la vérité, en raison du droit qu’a le public de la connaître (chiffre 1). Il s’agit aussi du devoir de ne publier que les informations dont l’origine est connue du/de la journaliste, de ne dénaturer aucun texte ou document et de donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées (chiffre 3). La Directive 3.1 relative à la «Déclaration» précise, concernant le traitement des sources, que «l’acte premier de la diligence journalistique consiste à s’assurer de l’origine d’une information et de son authenticité». Dans une prise de position de 2003, le Conseil suisse de la presse souligne d’autre part: «La nécessité de démentir une rumeur répandue peut justifier le fait de la rendre publique. Cela doit toutefois être fait avec retenue, de manière à ne pas donner un écho immérité à une rumeur infondée.» (prise de position 12/2003). En 1996, le Conseil suisse de la presse affirme aussi que «la publication de faits qualifiés de rumeurs contrevient à l’obligation de publier une information complète dans la mesure où les personnes concernées n’ont pas été consultées avant publication» (prise de position 4/1996).

b) Dans la présente affaire, le premier article du 4 décembre 2007 évoque deux rumeurs sur les raisons possibles de la présence de Mme Sarkozy à Genève, à savoir qu’«elle songerait à inscrire son fils Louis» à l’Institut Florimont, et que son «ancien amant» X. l’«aurait engagé» dans sa société publicitaire. Le second article du 9 janvier 2008 répercute une rumeur publiée par le journal français «Le Parisien» sur le possible mariage de Mme Sarkozy avec X.

c) Les plaignants estiment que ces allégations transgressent les chiffres 1 et 3 de la Déclaration. Pour eux, le journaliste a bien procédé à des vérifications, mais sans pouvoir confirmer les rumeurs. «Il apparaît en définitive qu’il a néanmoins publié deux informations qu’il savait fausses, en se bornant à les qualifier de rumeurs», commente Mme Sarkozy. Quant à X., il a pu démentir la rumeur le concernant, mais dénonce le fait qu’elle ait tout de même été publiée: «La publication de cette rumeur avait pour seul but de faire les gros titres du «Matin», avec la publication d’un article people en pages 4 et 5 du quotidien, sans aucune recherche approfondie ou minutieuse.» X. estime d’autre part que l’information a été dénaturée dans l’intertitre «L’‹amant› nous appelle». Selon lui, le mot «amant» ne correspond pas à la réalité. De plus, ce n’est pas lui qui a joint le journaliste par téléphone, mais bien le journaliste qui l’a appelé. Concernant le second article incriminé, les plaignants relèvent également une violation des chiffres 1 et 3 de la «Déclaration», le journaliste s’étant contenté de répercuter une rumeur publiée en France en indiquant «‹Le Parisien› croit savoir…»

d) «Le Matin» rétorque, concernant la rumeur de l’intégration du fils Louis Sarkozy à l’Institut Florimont, que le journaliste a fait son travail d’enquête: il a pris langue avec le directeur de l’école et avec deux professeurs. Selon le quotidien, «la rumeur relative à Louis Sarkozy était suffisamment forte pour que deux professeurs en l’Institut en parlent avec leurs élèves. Partant, elle était digne d’intérêt public et devait être publiée.» Concernant la rumeur relative à l’embauche de Mme Sarkozy par la société de X., «Le Matin» souligne qu’elle a été démentie dans l’article par X., ce qui montre bien qu’il y a eu recherche de la part du journaliste. Le quotidien reconnaît en revanche une «double maladresse» de l’auteur concernant l’intertitre publié, qui «crée une confusion avec les informations qui ressortent du texte». «Le Matin» ne s’exprime pas sur la double plainte complémentaire dans sa réplique.

e) Pour le Conseil suisse de la presse, la publication d’une simple rumeur ne satisfait pas au devoir de recherche de la vérité (chiffre 1 de la «Déclaration»). Un journaliste doit vérifier ses informations avant de les publier. Après enquête, la rumeur peut s’avérer. Elle devient alors une véritable information. Si la rumeur ne s’avère pas, il peut être justifié d’en faire état pour la démentir. Si enfin le doute persiste, une publication n’est admissible qu’à deux conditions: que le sujet visé par la rumeur ait pu prendre position, et que le journaliste informe le lecteur sur l’origine de la rumeur et sur ses recherches.

f) Dans le cas de la scolarisation du fils Sarkozy à Florimont, «Le Matin» a bien mené une enquête sur place, mais sans obtenir de confirmation claire. Selon la plaignante, le journaliste a également appelé son avocat-conseil la veille de la publication. Celui-ci lui a affirmé – ce que «Le Matin» ne dément pas dans sa réplique – qu’il n’y avait aucun projet d’inscription de l’enfant ni à Florimont, ni dans une autre école genevoise. Le journaliste a tu cette information, alors qu’elle lui aurait permis de démentir clairement la rumeur. Telle qu’elle a été relatée, la rumeur n’avait pas à être publiée.

g) Concernant la rumeur relative à l’embauche de Mme Sarkozy par la société Y. «Le Matin» cite effectivement X., qui dément formellement la rumeur. En revanche, l’origine de la rumeur reste floue («Il se murmure…»). En l’état, s’il choisissait d’en faire état, le journal devait se contenter de démentir la rumeur en évitant les gros titres et photos, et en se gardant d’entretenir la confusion avec un intertitre pour le moins «maladroit».

h) Quant à la rumeur de mariage publiée dans le second article, il s’agit là d’un pur colportage d’une rumeur de la presse française, sans recherche de la vérité. La publication d’une rumeur par un média ne légitime pas un autre média à la répercuter sans autre.

III. Conclusions

1. Les plaintes de X. sont admises.

2. «Le Matin» a violé les chiffres 1 (vérité), 3 (publication des rumeurs) et 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» en publiant des rumeurs touchant la sphère privée de X.

3. La plainte de Cécilia Sarkozy est admise partiellement.

4. La protec
tion de la sphère privée du fils d’un président de la République l’emporte sur la curiosité du public.

5. L’ex-épouse du président de la République, dans la mesure où elle expose elle-même sa vie privée dans les médias, ne peut revendiquer un respect absolu de sa sphère privée.

6. La publication de rumeurs, ne satisfait en principe pas au devoir de recherche de la vérité des journalistes. De même la publication d’une rumeur par un média ne légitime pas un autre média à la répercuter sans autre. Si après enquête une rumeur garde de la substance, sa publication est licite pour autant que l’origine de la rumeur soit explicitée et qu’une réaction de la personne conernée soit sollicitée et qu’un démenti soit publié le cas échéant.

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