Nr. 15/2013
Respect de la dignité humaine / Discrimination

(CRAN c. «Genève Home Information») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 12 avril 2013

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I. En fait

A. A la une de son édition du 5-6 décembre 2012 et dans un article de pleine page intitulé «Champs-Dollon: 92% des détenus sont étrangers» l’hebdomadaire gratuit «Genève Home Informations» (GHI) fait état des problèmes actuels de la prison genevoise, qui selon le journal «détient le record de Suisse des détenus étrangers». A coté de l’article principal se trouvent plusieurs encadrés:

– «Multirécidivistes. Qui sont-ils? A Genève, la majorité des prévenus étrangers sont principalement des voleurs à la tire, trafiquants de drogue de rue. Il s’agit de ces zizous d’Afrique du Nord, inexpulsables faut d’accord de réadmission avec leur pays d’origine qui narguaient la police en n’étant condamnés qu’à des jours-amende. Ceci notamment à cause d’une faille du nouveau Code de procédure pénale leur donnant dix jours pour faire opposition à leur condamnation. Or, durant ce laps de temps, près de 300 de ces multirécidivistes ne se rendaient pas à la justice et se retrouvaient libre comme l’air.»

– «Plus de cent nationalités. A Champ-Dollon, près de 12% des détenus sont européens, 30% sont originaires des pays de l’Est, 40% d’Afrique (20% du Nord et 20% du reste de l’Afrique), 6,5% du Moyen-Orient et 7,7% de Suisse: ‹Ce mélange d’ethnies représente au total 105 nationalités différentes›, détaille Constantin Franziskakis, directeur de Champ-Dollon.»

B. Le 4 janvier 2013, le CRAN (Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme anti-noir – Observatoire du racisme anti-noir en Suisse) saisit le Conseil suisse de la presse. Le plaignant fait remarquer que l’article «porte manifestement attente à l’honneur des communautés étrangères, notamment africaines» et viole les Directives 8.1 (Respect de la dignité humaine) et 8.2 (Discrimination) relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

Selon le plaignant, «GHI met en exergue une espèce d’individus si excréables qu’ils ne mériteraient plus le nom de ‹ressortissants d’Afrique du Nord› mais de ‹ces zizous d’Afrique du Nord›». Par une telle expression «humiliante» GHI «a abandonné tout éthique journalistique, en particulier, le respect de la dignité humaine».

De même, à travers ses paragraphes et ses encadrés l’article chercherait avant tour à «dresser un profil ‹ethnique› des criminels de Genève. Particulièrement intolérable est la distinction faite entre ces dits étrangers, certains passables, d’autres voués au crime.» En outre, CRAN critique «la distinction pseudo scientifique faite dans l’encadré ‹Plus de cent nationalités› entre le détenus ‹européens› (12% du total) et les détenus d’‹Europe de l’Est› (donc non ‹européens???›), entre les détenus d’‹Afrique du Nord› et ceux ‹du reste de l’Afrique›». Selon le CRAN, ‹plutôt que d’utiliser des terminologies correctes, GHI a préféré englober chaque ressortissant étranger dans un fourre-tout-lexical visant à la stigmatisation. Enfin, pour le plaignant, GHI viole le principe de la proportionnalité «en se focalisant uniquement sur des délits où les étrangers se retrouvent majoritairement».

C.
Selon l’art. 12, alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence traite les plaintes sur lesquelles le Conseil n’entre pas en matière.

D.
La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 12 avril 2013 par voie de correspondance.


II. Considérants

1. Selon l’article 10, alinéa 1 de son règlement, le Conseil suisse n’entre pas en matière si une plainte est manifestement infondée.

2.
Le chiffre 8 de la «Déclaration» précise: «Respecter la dignité humaine; le/la journaliste doit éviter toute allusion, par le texte, l’image et le son, à l’appartenance ethnique ou nationale d’une personne, à sa religion, à son sexe ou à l’orientation de ses mœurs sexuelles, ainsi qu’à toute maladie ou handicap d’ordre physique ou mental, qui aurait un caractère discriminatoire.» Selon la directive 8.1, «le respect de la dignité humaine est une orientation fondamentale de l’activité d’informer. Il doit être mis constamment en balance avec le droit du public à l’information. Le respect doit être observé aussi bien envers les personnes directement concernées ou touchées par l’information qu’envers le public dans son ensemble.» La directive 8.2 statue que «la désignation de l’appartenance ethnique ou nationale, de l’origine, de la religion, de l’orientation sexuelle et/ou de la couleur de peau peut avoir un effet discriminatoire, en particulier lorsqu’elle généralise des jugements de valeur négatifs et qu’elle renforce ainsi des préjugés à l’encontre de minorités. C’est pourquoi les journalistes font une pesée des intérêts entre la valeur informative et le danger d’une discrimination. Ils respectent le principe de la proportionnalité.»

3.
Dans ses prises de position sur l’interdiction de la discrimination et sur la dignité humaine (voir en dernier lieu les prises de position 37/2009 et 7/2010), le Conseil de la presse a constamment rappelé que toute déclaration dépréciative à l’égard d’un groupe ou d’un individu ne peut automatiquement être considérée comme avilissante ou discriminatoire. Le Conseil de la presse ne se comprend pas comme gardien du «politiquement correct». Il constate une discrimination quand un groupe – le plus souvent déjà disqualifié – est dévalorisé collectivement. Le jugement de valeur négatif doit avoir une certaine gravité pour qu’il viole le respect de la dignité humaine.

4. En ce qui concerne le terme «zizou», le Conseil de la presse constate, qu’il n’existe pas dans les dictionnaires. Une définition trouvée sur l’Internet est la suivante: Petite frappe marseillaise, souvent mineure, toujours dangereuse. Spécialiste en arrachage de sac et petite délinquance. L’origine du mot vient probablement du footballeur Zinédine Zidane, dit Zizou, dont ces délinquants utiliseraient les passements de jambe, voire les coups de boule. A Genève, ce terme est devenu un surnom plus ou moins courant pour désigner justement ces petits délinquants algériens qu’on ne peut pas expulser Ce terme est-il dépréciatif? On pourrait le prendre comme tel, mais il n’atteint certainement pas un degré de gravité suffisant pour que l’on condamne son utilisation. De plus, le Conseil de la presse ne voit pas pourquoi l’utilisation de ce terme serait discriminatoire, dans la mesure où GHI n’affirme nullement que tous les Algériens seraient des zizous.

Enfin, pour le Conseil de la presse, la démarche journalistique consistant à détailler la composition ethnique d’une population carcérale, en se basant sur une statistique officielle et en utilisant des catégories géographiques courantes n’est pas sans pertinence en l’état. Et elle n’est certainement pas discriminatoire.

III. Conclusion

L’entrée en matière est refusée.