Nr. 32/2003
Mention d’une condamnation

(X. c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 18 juin 2003

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I. En fait

A. En date du 26 mars 2003, la «Tribune de Genève» a fait paraître un article signé Bertrand Stämpfli qui révèle que X., conseiller municipal libéral et candidat à un nouveau mandat électif, a caché à son parti une condamnation pénale. Datant de mai 2002, cette dernière, prononcée par le procureur, a puni X. de la peine de 15 jours d’emprisonnement avec sursis pour dommages à la propriété. L’article précise dans quelles circonstances X. a commis des actes délictueux, dresse un rapide portrait du personnage, à qui il donne la parole. M. Ding estime que ces révélations à la veille d’une élection, constituent une cabale, destinée à lui nuire. On y apprend aussi qu’un ancien président et chargé des candidatures du Parti libéral auquel est affilié M. Ding n’était pas au courant de la condamnation et qu’il s’en étonne, réservant sa décision sur le maintien de M. Ding sur la liste de son parti à plus tard.

B. Le 10 avril 2003, X. fait parvenir à la «Tribune de Genève» un droit de réponse que la rédaction refuse de publier au motif qu’il est trop long. Cette démarche est réitérée le 17 avril.

C. Le 29 avril 2003, X. fait parvenir au Conseil suisse de la Presse une plainte dûment argumentée. Il considère que l’article a violé plusieurs chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» ainsi que certaines directives relatives à cette «Déclaration». Il invoque d’abord le chiffre 7 de la «Déclaration» qui prescrit aux journalistes le «respect de la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire». Selon lui, la condamnation qui l’a frappé n’était que de peu d’importance et ne méritait par conséquent pas d’être révélée. Il invoque ensuite la directive 7.5 sur la présomption d’innocence. La mention de cette condamnation, explique-t-il, a nui à ses proches ainsi qu’à l’obtention de son brevet d’avocat. X. en appelle ensuite à la Directive 7.6 qui prescrit au journaliste de ne pas donner le nom d’une personne mêlée à une affaire judiciaire. Selon lui, son cas ne relève d’aucune des exceptions prévues à ce principe.

Pour X., l’auteur de l’article aurait usé de méthodes déloyales pour obtenir l’information, ce qu’interdit le chiffre 4 de la Déclaration. De même, l’auteur de l’article aurait violé la directive a.1 qui indique à quelles conditions un journaliste peut faire usage d’indiscrétions. Enfin, le plaignant invoque la Directive 2.3 sur la distinction entre information et appréciations, jugeant que l’article fait à son propos des appréciations peu flatteuses sur sa méconnaissance des règles internes de son parti et sur d’autres affaires auxquelles il a été mêlé.

D. Le 29 mai 2003, la «Tribune de Genève», contrainte par la justice, publie un droit de réponse mais annonce son intention de recourir au Tribunal fédéral.

E. Le 10 juin 2003, Dominique von Burg, rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», fait parvenir au Conseil de la presse une réponse qui conclut au rejet de tous les griefs du plaignant.

F. La plainte est examinée par la 2ème Chambre lors de sa séance du 18 juin 2003 et par voie de correspondance. La Chambre se compose de Mmes Sylvie Arsever et Nadia Braendle et de MM. Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali. MM. Daniel Cornu (président de la Chambre et médiateur de la «Tribune de Genève») et Dominique von Burg (rédacteur en Chef de la «Tribune de Genève») se sont récusés. Saisie par le plaignant d’une demande de récusation pour Michel Zendali au prétexte qu’il est employé du «Matin-dimanche» qui appartient au même groupe de presse que la Tribune, la 2ème Chambre rejette cette demande, comme elle l’a déjà fait pour des cas similaires (prises de position 8/2001, 12/2003).

II. Considérants

1. Le Conseil suisse de la presse l’a rappelé à maintes reprises: une personne qui sollicite le suffrage universel ne peut se réclamer, sans conditions, du respect de sa vie privée (prises de position 4/93, 1/94, 20/99, 39/01) quand il s’agit de la publication des informations qui ont une relation étroite avec le mandat politique. En l’occurrence, l’intérêt public et celui, plus général, de la démocratie, exige d’un candidat, une certaine transparence. Le fait de révéler l’existence d’une condamnation est à l’évidence d’intérêt public. Cela vaut de plus si un représentant d’un parti politique promet, lors d’une conférence de presse, une tolérance zero pour les squattters et les auteurs d’incivilités en tout genre et si un journaliste apprend qu’ un candidat du même parti récemment a été condamné pour des faits de dommages à la propriété et de violation de domicile. Et peu importe qu’en omettant cette condamnation, le plaignant ait ou non violé les règles internes de son parti, ce que le président de ce dernier laisse cependant entendre. En plus le plaignant a été interrogé par le journal, qui a reproduit sa version des faits.

2. Le plaignant ne peut invoquer, comme il le fait, les dommages pour ses proches que constitue la révélation de sa condamnation et celle de son nom. Même si on a peine à croire que ceux-ci n’aient pas été au courant, on peut dire qu’après tout, c’était sans doute à lui de les tenir au courant. La mention du nom de X., écrit ce dernier, hypothèque son avenir professionnel alors qu’il tente d’obtention son brevet d’avocat. Ce risque, bien réel, ne saurait cependant suffire à taire un fait de cette importance. Au surplus, on ajoutera qu’avant de commettre des actes pénalement répréhensibles, le plaignant était à l’évidence informé du risque qu’il encourrait quant à la suite de sa carrière professionnelle. De même le plaignant ne peut invoquer la présomption d’innocence s’agissant précisément d’un jugement exécutoire.

3. Le plaignant considère que l’information qui le concerne a été obtenue de manière déloyale sans en apporter le moindre début de preuve. On ne peut donc faire à la «Tribune de Genève» le reproche d’avoir usé de pareilles méthodes. Au surplus en publiant cette information, le journal a rempli plusieurs des conditions requises dans la directive a.1 concernant la publication des informations confidentielles (indiscrétions).

4. A lire la réaction de l’ancien président du Y., il ne semble exister formellement au sein de ce parti aucune obligation réglementaire d’annoncer les condamnations qu’un candidat peut avoir subies. On comprend cependant qu’existe dans son esprit une obligation morale. Ecrire donc, comme le fait la «Tribune de Genève» que X. était «peut-être mal averti des exigences imposées à ceux qui briguent un mandat électoral» ne relève pas du commentaire. Il s’agit d’un éclairage, d’une mise en contexte, expliquant au lecteur la raison pour laquelle X. a mal agi. Quant aux antécédents de X., brièvement rappelés dans l’article, ils ne tombent pas davantage sous le coup de la Directive 2.3 (Liberté de commenter). Le rappel d’autres faits ne sert ici qu’à dresser le portrait du plaignant à propos d’une affaire qui apparaît comme particulièrement touffue.

III. Conclusion

1. La plainte est rejetée.

2. Un candidat à un mandat électif ne peut se prévaloir d’une protection de sa sphère privée au même titre qu’un citoyen ordinaire, en particulier pendant les périodes électorales. Cela vaut au moins pour des informations rélévant de la sphère qui ont une relation étroite avec la fonction politique.