Nr. 6/2003
Mention du nom et identification par l’image ; prise de position du 31 janvier 2003

Drucken

I.En fait

A. Le 21 août 2002, vers midi, les polices du canton et de la ville de Berne publiaient un communiqué disant qu’elles avaient procédé la veille au soir à l’arrestation d’un homme à Köniz. Celui-ci était fortement soupçonné d’avoir «quelque chose à faire» avec les retentissants crimes commis au début d’août à Berne-Bümpliz et à Niederwangen (tentative d’homicide). Dès son premier interrogatoire, il aurait avoué les deux délits. «L’homme, un célibataire de 27 ans – il s’agit de X., cuisinier – s’apprêtait à déménager dans le canton d’Argovie». X. aurait dit qu’il «y avait en lui une veine psychologiquement malade. Il décrivait ses problèmes avec les femmes». De lourdes présomptions pesaient sur lui et rien n’indiquait qu’il pourrait y avoir un autre coupable.

B. L’après-midi du même jour, le procureur, la juge d’instruction et les fonctionnaires de police tenaient une conférence de presse. Ils ajoutaient notamment que X. n’avait pas avoué d’autres délits, mais que l’enquête se poursuivait sur la base d’indices. Le porte-parole de la police Markus Schneider espérait obtenir «davantage d’indications concernant des femmes qui auraient pu avoir été en contact avec X., raison pour laquelle l’identité de l’homme aurait été divulguée». La publication du portrait robot et les exemples d’écriture auraient déclenché plus de 600 mandats d’éclaircissement («Berner Zeitung» du 22 août 2002). Plus de 100 hommes auraient fait l’objet d’un examen («Der Bund» du 22 août 2002).

C. Les médias ont traité les informations reçues de façon très diverse. Quelques positions typiques adoptées dans les premières éditions suivant la conférence de presse:

– nouvelle brève sans mention des nom et prénom, sans illustration: Agence télégraphique suisse, NZZ, Tribune de Genève, Radio suisse DRS (premier sujet de «Echo der Zeit» du soir); – grands comptes rendus à la «Une» et en page(s) intérieure(s): «Blick», «Berner Zeitung», «Mittellandzeitung», «Tages-Anzeiger» (petite illustration à côté d’un petit portrait robot au revers de la page);

– articles importants mentionnant le nom, mais sans illustration: «Bund», «Schaffhauser Nachrichten», «St.Galler Tagblatt».

– Télévision SFDRS, Telé Züri: les initiales du nom, image retouchée.

L’agence Associated Press semble avoir joué un rôle-clé: l’après-midi elle faisait une recherche sur X. par le biais de la banque de données Google et trouva «X., vainqueur de plusieurs courses militaires»; elle obtint une confirmation officielle «off-the-record» et se décida à mentionner le nom, ajoutant «adepte de courses militaires». Peu après, l’agence Keystone livrait par internet les images correspondantes, tirées des archives sportives; ce n’est que tard dans la soirée qu’elle priait de bien vouloir masquer le visage d’un bandeau sur les yeux.

Par la suite, divers médias abandonnnait leur réserve, tout particulièrement la «NZZ am Sonntag» comparée avec l’édition en semaine qui continuait à ne pas mentionner le nom. SFDRS également abandonnait les initiales le deuxième jour pour donner le nom entier.

D. Outre le grand intérêt du public à une arrestation de X. et à ce que les crimes qui lui étaient reprochés soient tirés au clair, une large discussion et une controverse a eu lieu dans la presse pour établir si la mention du nom, suite aux informations livrées par les autorités de police judiciaire, était justifiée sur le plan déontologique ou non. Cela a incité le Conseil de la presse, sur décision prise le 4 octobre 2002 par voie de consultation de tous les membres, de se saisir de cet état de faits de sa propre initiative et d’en confier le traitement à la première Chambre. Celle-ci était composée de Peter Studer, président, ainsi que de Marie-Louise Barben, Luisa Ghiringhelli Mazza, Silvana Iannetta, Philip Kübler, Kathrin Lüthi et Edy Salmina. Silvana Ianetta a été remplacée en date du 1er janvier 2003 par Pia Horlacher. La première Chambre a traité le cas lors de sa séance du 22 novembre 2002 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» commande au chiffre 7 de respecter la sphère privée, «pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire». La directive 7.6 (mention des noms) relative à la «Déclaration» dit que «le/la journaliste ne publiera en principe pas le nom ni tout autre élément permettant d’établir l’identité d’une personne mêlée à une procédure judiciaire, de manière à ce que cette personne ne puisse être identifiée hors de son cercle familial, social ou professionnel, informé indépendamment des médias.» La directive, cependant, mentionne aussi les exceptions à cette règle fondamentale:

– lorsqu’il existe un intérêt public prépondérant (clause générale sans contenu déterminé) ; – lorsqu’il s’agit d’une personne exerçant une fonction politique ou officielle pour autant que le délit ait un rapport avec cette fonction; – lorsqu’il existe un danger de confusion si le nom n’est pas mentionné; – lorsque la personne jouit déjà d’une notoriété générale – à quoi les médias ont dans les faits le plus souvent contribué eux-mêmes, raison pour laquelle cette exception doit être appliquée avec une retenue particulière; – lorsqu’une autorisation formelle est donnée par la personne concernée.

Enfin la directive 7.5 se rapportant à la «Déclaration» souligne que lors de comptes rendus judiciaires il doit être tenu compte de la présomption d’innocence. «Après une éventuelle condamnation, les journalistes tiendront compte de la famille et des proches du condamné, ainsi que de ses chances futures d’une réinsertion sociale».

2. Le Conseil de la presse a fréquemment été amené par le passé à s’occuper du problème de la mention des noms et de comptes rendus permettant d’identifier une personne:

Dans la prise de position fondamentale 7/94 concernant la mention des noms, le Conseil de la presse constatait: «La protection de la sphère privée d’un accusé et des membres de sa fa-mille exige une grande retenue en matière de mention des noms dans les comptes rendus relatifs à une procédure judiciaire, cela jusqu’au jugement y compris. Le nom d’un prévenu ou d’un condamné ne doit pas – sauf exception – faire l’objet d’une publication; en outre, les dé-tails donnés par l’auteur de l’article ne doivent pas permettre une identification. En dérogation au principe selon lequel l’anonymat doit être garanti, le nom de l’intéressé peut être donné lorsqu’il y a à cela un intérêt public prépondérant. Un tel intérêt existe en particulier lorsque la personne en cause exerce un mandat politique ou une fonction d’Etat et lorsqu’il est accusé d’avoir agi de manière incompatible avec cette qualité. Un tel inté-rêt existe également lorsqu’une personne est bien connue de l’opinion pu-blique (toutefois, cette exception doit être consentie avec retenue) ou en-core lorsque l’intéressé a lui-même fait connaître son nom en rapport avec la procédure en cours; il en est de même s’il a expressément donné son accord à la publication, et lorsque la mention du nom est indis-pensable afin d’éviter une confusion qui serait préjudiciable à un tiers.»

Dans la prise de position suivante 8/94, le Conseil de la presse complète: «Il est dans l’intérêt public de faire savoir qu’un crime a été élucidé et que l’auteur a été arrêté. Si abject et répugnant que soit un acte, son auteur, de même que ses proches indirectement touchés, ont droit à la protection de leur sphère privée. Même si les autorités pénales dans un cas particulier livrent un nom pour publication, les collaborateurs des médias ne sont pas dispensés de l’obligation d’examiner s
i la mention du nom se justifie selon les critères déontologiques. » Cette primauté des réflexions éthiques nonobstant la pratique de l’information par les autorités a été confirmée par le Conseil de la presse dans une prise de position (7/99 / affaire L.) traitant des comptes rendus sur une affaire d’enlèvement qui a connu un grand retentissement en Suisse romande. Cependant, les circonstances dans lesquelles l’identité d’un suspect a été dévoilée par les autorités peut pratiquement rendre inutile toute retenue de la part des médias. Dans le cas concret, les noms des participants au crime ont été mentionnés lors de la transmission télévisée en direct de la conférence de presse.

En ce qui concerne la mention du nom dans les comptes rendus concernant des personnalités publiques, le Conseil de la presse réaffirme sa pratique constante:

Il existe un intérêt public prépondérant à ce que soit dévoilé le nom, notamment lorsqu’il s’agit d’une personnalité publique et que les informations à publier revêtent une importance pour sa situation dans la vie publique. (1/94 / T. / Télévision suisse romande; 1/95 / M. c. «L’Hebdo»). Ainsi, il serait admis de mentionner le nom lorsque des griefs sérieux et concrets relevant du domaine pénal sont formulés contre un haut fonctionnaire de la justice, que ceux-ci ont un lien direct avec sa position et qu’ils mettent en cause le bon fonctionnement et l’indépendance de la justice. (prise de position 6/99 X. c. «Blick»/ «SonntagsZeitung»). La prise de position 14/97 X. c. «SonntagsBlick» établissait que la mention du nom pouvait se justifier exceptionnellement non seulement s’agissant de fonctions d’Etat et de mandats politiques mais plus généralement d’importantes fonctions sociales. La prise de position 36/01 M. / «Blick» / «SonntagsBlick» aussi était d’une importance capitale: rendre compte de la vie privée de femmes et d’hommes politiques est d’autant plus admissible que la fonction en question est plus importante et que la notoriété de la personne est plus grande. Un compte rendu sur des questions privées ne saurait se justifier sans l’accord de la personne intéressée dès lors qu’il n’existe aucune sorte de rapport avec le mandat politique.

3. Pourquoi la police et le juge d’instruction ont-ils divulgué le nom? Dans son entretien avec le président du Conseil de la presse, le chef de l’information de la police cantonale Markus Schneider a donné les raisons suivantes:

La procédure pénale bernoise en tant que base légale autorise exceptionnellement, en cas de crime grave, la divulgation du nom par le magistrat instructeur lorsque cela favorise l’appréhension de personnes hautement suspectes. L’accord du procureur est indispensable. Par appréhension, il faut entendre la conclusion de l’enquête suite aux recherches opérées avec l’aide de victimes et de témoins. Dans le cas concret, des indices pouvaient conduire à la découverte d’actes autres que ceux qui ont fait l’objet des aveux. De plus, la sphère privée de X. aurait déjà été égratignée par la publication du portrait robot. En raison des centaines d’indications fournies par le public, on a tenu à centrer les recherches sur X.; des lettres portant la signature de X. ont été trouvées dans la zone ciblée, écrites par X. à des femmes avec lesquelles il était entré en contact. La précision apportée par le communiqué et les médias était dès lors adéquate. Sinon, la police aurait dû contacter un grand nombre d’hommes correspondant aux renseignements fournis. Par le biais du communiqué et des médias, il avait été possible de les informer tous de l’arrestation, ainsi que les dénonciateurs, pratiquement sans risque de confusions.

a) La discussion dans les médias fit surgir les arguments principaux suivants en faveur d’une publication du nom et des images: La police a dévoilé le nom et demandait implicitement la diffusion du nom. X. était une «personnalité sportive connue». L’enquête se poursuivait. La population, saisie de crainte et de terreur et participant très activement aux recherches en fournissant des indications, méritait d’être pleinement informée, celle de la région en premier lieu. Le criminel avait aussitôt avoué les deux délits d’homicide, de sorte que la présomption d’innocence n’était pratiquement plus assurée.

b) A l’opposé, les défenseurs d’une réserve motivée par la déontologie faisaient valoir les arguments suivants: Il n’y avait pas d’intérêt public prépondérant à donner l’identité de l’auteur du crime. La notoriété du spécialiste des courses militaires ne justifiait pas la divulgation de son nom, car il n’existait aucun lien avec le délit commis. En outre, il n’y avait pas le danger d’une confusion. D’autres suspects n’ont pas été exposés publiquement. La présomption d’innocence et la protection des proches devaient prévaloir. Les collaborateurs des médias doivent s’orienter aux standards éthiques de la profession et non aux informations données par les autorités.

5. Le Conseil de la presse ne voit pas de raison de déroger, sur la base du cas X., à sa pratique restrictive en matière de mention du nom adoptée dans le passé. Il s’ensuit que la publication du nom de personnes n’appartenant pas à la vie publique ne peut guère se justifier. Dans le cas présent, on ne saurait d’emblée tirer la conclusion inverse, selon laquelle la divulgation du nom de X. n’était légitime sur le plan de la déontologie que s’il y avait eu une relation étroite entre les délits qui lui sont reprochés et son activité de participant aux courses militaires. Au contraire, la discussion menée dans les médias indique à tout le moins qu’il s’agit là d’un cas limite auquel la déontologie ne peut sans autre apporter une réponse univoque.

C’est pourquoi le Conseil de la presse procède ci-dessous d’abord à la pesée soigneuse de l’interdiction de divulguer des noms formulée dans la directive 7.6 face aux exceptions expressément stipulées, puis à la clause générale de «l’intérêt public prépondérant». Cela permet d’examiner si l’identification d’une personne par le compte rendu était justifiée dans le cas concret ou non.

6. a) Parmi les exceptions expressément mentionnées dans la directive 7.6, celle demandant l’accord de X. (au moment de l’arrestation) ou celle d’une notoriété générale sortant du cercle restreint des amateurs des courses militaires n’entraient à l’évidence pas en ligne de compte.

b) Il reste donc à examiner de plus près deux autres exceptions: celle d’une notoriété relative de l’adepte des courses militaires X.; et celle destinée à éviter le danger d’une confusion avec un autre suspect. Un examen approfondi montre que les conditions pour ces deux exceptions ne sont pas davantage remplies. A l’évidence, il n’y a aucun lien entre les délits dont est accusé X. et son activité sportive, L’argument du risque de confusion a été soulevé avant tout par la police et non par l’une des rédactions favorables à la divulgation du nom. La police prétendait que grâce au communiqué et aux médias, un nombre important d’hommes inclus dans les recherches à la suite de dénonciations, ainsi que les dénonciateurs respectifs, ont pu être informés sans délai et sans possibilité de méprise. Même si cette argumentation peut s’expliquer selon le point de vue des autorités d’instruction judiciaire, il convient de lui opposer, du point de vue de l’éthique des médias: un «danger de confusion» signifie, au sens de la directive 7.6, qu’il y a un danger de confusion directement créé par le compte rendu médiatique auprès d’un large public et non la possibilité de malentendus dans l’environnement immédiat de l’enquête policière. Ces derniers doivent être résolus, en principe, par la communication directe de la police. Comme indiqué plus haut, il n’y avait pas d’autres personnes susceptibles d’être soupçonnées par le seul fait de l’absence, dans un compte rendu médiatique, du nom de X.

7. Il ne restait donc qu’une dernière question à élucider: la divulgation du nom, en dehors des cas d’exception spécifiés dans la directive 7.6, peut elle se justifier après coup au nom de la clause générale de l’intérêt public prépondérant?

a) Selon les termes du préambule de la «Déclaration», les journalistes garantissent l’indispensable discussion au sein de la société. Leurs droits et devoirs découlent de cet engagement. La responsabilité des journalistes envers le public prévaut sur toutes les autres, en particulier leur responsabilité envers les organes de l’Etat. Dans cet esprit, l’attitude du Conseil de la presse mentionnée ci-dessus au chiffre 2 signifie que les collaborateurs des médias, nonobstant les informations reçues d’une autorité, doivent effectuer une pesée fondée sur les critères de l’éthique journalistique pour établir s’il y a lieu de mentionner un nom (pour ce qui est de l’indépendance des journalistes à l’égard des autorités, comparer avec la prise de position 23/00). Certes, l’intérêt public, en l’espèce l’intérêt de la police à l’élucidation d’autres délits n’est nullement sans importance pour les médias. Mais considéré en soi, son poids n’est pas tel qu’il prévaut sur les intérêts opposés que sont la protection de la sphère privée d’un suspect et de ses proches ainsi que la présomption d’innocence. Ce d’autant moins que sous l’angle de la proportionnalité il aurait suffi des initiales pour les besoins de recherches ultérieures et aussi pour éviter le danger de confusion évoqué plus haut.

b) Un intérêt public prépondérant de nature à justifier exceptionnellement la mention du nom dans un compte rendu pourrait éventuellement se fonder sur le fait que la population de la région bernoise était vivement concernée, voire en partie saisie de peur à la veille de l’interpellation et de l’arrestation de X. Il peut être du devoir des journalistes de mettre en garde le public contre un danger (prises de position X. c. «Berner Zeitung» et A. c. «Schweizer Illustrierte», les deux du 20 février 1991). De même, il peut y avoir dans certaines circonstances un intérêt public tel qu’il peut être conforme à l’éthique journalistique d’aviser le public qu’un danger est passé. C’est pourquoi le souci d’apaiser la population en donnant concrètement le nom de l’auteur des délits parlait, en principe, en faveur de la mention de son identité, en particulier dans les médias bernois. Là encore, il résulte d’une pesée de cette intention en soi digne de protection contre les intérêts opposés, notamment ceux des proches du suspect, que du point de vue de la proportionnalité la seule mention des initiales de la personne appréhendée aurait contribué à restaurer le calme.

c) On pourrait enfin argumenter qu’une mention du nom pourrait se justifier à titre exceptionnel lors de crimes particulièrement graves et lorsqu’une personne soupçonnée de crime est déjà devenue une figure incarnant le type même du tueur en série psychopathe décrit par le cinéma (exemple: «Le silence des agneaux»). Le Conseil de la presse allemand a, dans ce sens, rejeté une plainte contre la mention du nom, avançant le fait qu’il s’était agi d’un crime grave dont l’éclaircissement avait rencontré un grand intérêt dans le public (Jahrbuch 2001, p.270). Cette pesée n’est pas convaincante du seul fait que l’intérêt manifesté par une grande partie du public ne saurait être confondu avec un intérêt public (prise de position 62/02 Borer-Fielding / «Blick» / «SonntagsBlick»).

Une autre réflexion mérite davantage de considération: plus une violation de l’ordre (pénal) public est jugé grave, plus une atteinte à la sphère privée d’un criminel présomptif paraît justifiée. Cette réflexion, encore, ne mène pas à un autre résultat car, en règle générale, l’attention publique est d’autant plus grande qu’il s’agit de crimes graves; dès lors, l’atteinte à la sphère privée de la personne concernée – tout particulièrement de sa parenté – que constitue un compte rendu permettant d’identifier l’auteur est également grave. Par conséquent – et même dans le compte rendu sur un crime grave – la retenue s’impose lorsque le suspect et sa parenté vivent dans la zone de diffusion d’un média. A l’inverse, l’observation d’une réserve paraît peu opportune lorsque des médias suisses parlent de crimes graves alors que les noms des suspects ont déjà été étalés par des médias étrangers répandus en Suisse.

8. Quand bien même le Conseil de la presse, après une pesée d’ensemble des intérêts opposés dans le cas limite délicat de X., arrive à la conclusion que les médias auraient, dans le doute, mieux fait de renoncer à mentionner le nom immédiatement après l’arrestation, il apparaît comme hors de toute réalité, de garder cette position pour les comptes rendus ultérieurs. Une partie importante des médias ayant divulgué son nom, X. avait atteint un tel degré de notoriété qu’aucun nouveau récit l’identifiant ne pouvait causer un tort supplémentaire. Le Conseil de la presse s’abstient ici d’examiner si et dans quelle mesure la manière de développer le sujet (séries biographiques, «interviews exclusives» en prison, etc.) violait des principes éthiques.

9. En ce qui concerne la directive 7.5, le Conseil de la presse ajoute en définitive que sous l’angle de l’éthique des médias il ne saurait être déterminant, pour ce qui est de la mention du nom, que X. renonce sur le plan pénal à la présomption d’innocence en avouant d’emblée deux crimes principaux. Du point de vue de la directive 7.5 les journalistes ont l’obligation – même si un suspect a passé aux aveux – de ne pas détériorer sa situation sur le plan pénal par un compte rendu inéquitable. Cela ne saurait cependant les empêcher de mentionner des facteurs essentiels (p.ex. des aveux) pour autant que le public soit au courant de l’état de la procédure (prise de position 6/00 G. c. «Cash»).

III. Conclusions

1. La notoriété toute relative d’un adepte des courses militaires au sein de la portion du public formée d’amateurs de ce sport ne permet pas de justifier la mention de son nom dans un compte rendu s’il n’existe aucun lien entre l’objet du compte rendu et la raison de la relative notoriété.

2. La mention du nom d’un suspect est justifiée à titre exceptionnel lorsqu’elle permet d’éviter au sein d’un large public des confusions et de faux soupçons provoqués éventuellement par des récits médiatiques antérieurs. Les conditions pour mentionner un nom ne sont, en revanche, pas remplies lorsque des confusions menacent de se produire dans le seul environnement direct des personnes concernées par de larges recherches policières.

3. La directive 7.6 relative à la «Déclaration» ne contient pas une énumération exhaustive des raisons qui peuvent justifier exceptionnellement la mention du nom dans un compte rendu. Dans la mesure où aucune des exceptions ne s’applique à un cas concret, il convient de procéder à une pesée globale des intérêts opposés pour établir si néanmoins il y a un intérêt public prépondérant à ce que le nom soit mentionné.

4. Dans un cas particulier, l’intérêt public prépondérant peut aussi, selon les circonstances, se fonder sur le fait qu’un compte rendu mentionnant le nom peut servir à éclaircir d’autres crimes et/ou contribuer à apaiser la population. La gravité d’un crime, par contre, ne constitue pas à elle seule un critère pour justifier la mention du nom dans un compte rendu. Devant l’intérêt accru du public pour des récits relatant des crimes graves, la sphère privée du suspect et de sa parenté se trouve régulièrement touchée de façon plus intensive. Une retenue quant à la mention du nom dans des récits concernant des crimes graves n’a pas grand sens lorsque les noms ont été largement étalés par des médias étrangers répandus en Suisse aussi.

5. Les médias auraient mieux
fait de renoncer à mentionner le nom de X. immédiatement après son arrestation et de se contenter des initiales. La mention du nom n’était absolument nécessaire ni pour éviter des méprises, ni pour apaiser la population. Le suspect ne jouissait que d’une notoriété relative en tant que spécialiste des courses militaires et les faits qui lui étaient reprochés n’avaient aucun rapport avec les raisons de sa notoriété. De même, l’intérêt public à l’élucidation d’autres délits ne l’emportait pas sur l’intérêt du suspect et de sa parenté à voir protégée leur sphère privée. Cependant, une partie importante des médias ayant déjà répandu son identité, le nom de X. avait atteint un degré tel de notoriété publique que tout autre compte rendu mentionnant le nom – sous réserve de la forme et de la manière – ne pouvait guère causer de graves dommages additionnels.