Nr. 1/1994
Limitation de la liberté de la presse au moyen de mesures provisionnelles

(Tornare/Télévision Suisse romande), du 24 janvier 1994

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Stellungnahme

Beschränkung der Pressefreiheit durch vorsorgliche Massnahmen

Die Informationspflicht der Journalisten umfasst auch die Berichterstattung über hängige Strafverfahren. Die anerkannte Kritik- und Kontrollfunktion der Medien kann nicht erst bei der Hauptverhandlung oder nach der Urteilsfällung einsetzen. Medienberichte, welche in die Privatsphäre des Betroffenen eingreifen, sind dann durch ein überwiegendes öffentliches Interesse i.S. von Ziff. 7 der „Erklärung der Pflichten und Rechte des Journalisten » gerechtfertigt, wenn es sich beim Betroffenen um eine Person des öffentlichen Lebens handelt und die zu veröffentlichenden Informationen für deren Stellung in der Öffentlichkeit von Bedeutung sind. Der Grundsatz der Unschuldsvermutung richtet sich direkt nur an die staatlichen Behörden. Zwischen Privaten und damit für Medien ist er lediglich im Rahmen der verfassungskonformen Auslegung des Persönlichkeitsschutzes zu berücksichtigen.

Die heutige Gerichtspraxis auf dem Gebiet der vorsorglichen Massnahmen gegenüber Medien führt dazu, dass es für Private relativ einfach ist, Medienberichte vor ihrer Drucklegung durch eine staatliche Behörde auf ihre Vereinbarkeit mit dem Persönlichkeitsschutz überprüfen zu lassen. Der Presserat ist insbesondere über die Zunahme der mittels vorsorglicher Massnahmen und superprovisorischer Verfügungen erlassenen Publikationsverbote beunruhigt. Der Erlass eines Publikationsverbots vor Anhörung des betroffenen Mediums ist nur in besonders krassen, aussergewöhnlichen Fällen gerechtfertigt. In jedem Fall ist vom Gericht umgehend eine Gegenüberstellung der Parteien zu veranlassen. Unter dem Gesichtspunkt des Verbots der Vorzensur dürfen zudem Journalistinnen und Journalisten nicht gezwungen werden, eine Vorvisionierung gegen ihren Willen zuzulassen. Schliesslich ist ein generelles Verbot, über ein Massnahmeverfahren zu berichten, äusserst bedenklich, da dadurch einer Geheimjustiz Vorschub geleistet wird.

An einer identifizierenden Berichterstattung über den Fall Tornare war unter Berücksichtigung aller massgebenden Gesichtspunkte ein überwiegendes öffentliches Interesse grundsätzlich gegeben. Da der Télévision suisse romande noch andere Mittel zur Verfügung standen, um den Gerichtsentscheid zu bekämpfen, und zudem der Zeitpunkt der Ausstrahlung hätte verschoben werden können, erachtet der Presserat die qualifizierten Voraussetzungen, die es rechtfertigen, einen Gerichtsentscheid zu missachten, vorliegend nicht als gegeben. In anderen Fällen könnte es jedoch durchaus gerechtfertigt sein, die Anordnung einer staatlichen Behörde zu missachten, dies jedoch erst dann, wenn ein Widerspruch von grundsätzlicher Tragweite zwischen Recht und Berufsethik so gross wird, dass er mit legalen Mitteln nicht mehr gelöst werden kann.

Prise de position

Limitation de la liberté de la presse au moyen de mesures provisionnelles

Le devoir d’informer inclut l’information sur des procédures judiciaires en cours. La fonction de critique et de contrôle reconnue aux médias ne peut pas s’exercer uniquement lors des audiences d’un procès ou même lorsque le jugement a été rendu.

Les informations des médias qui portent atteinte à la sphère privée de l’intéressé sont toujours justifiées par un intérêt public prépondérant, au sens du chiffre 7 DDD, lorsqu’il s’agit de personnes appartenant à la vie publique et que les informations qu’on se propose de publier ont une importance à cet égard. La règle de la présomption d’innocence ne s’applique de manière directe qu’aux organes de la puissance publique. S’agissant de personnes privées, et donc des médias, elle ne relève que d’une interprétation du droit à la protection de la personnalité conforme à la Constitution.

La jurisprudence actuelle en matière de mesures provisionnelles contre les médias aboutit à ce qu’il est relativement facile à des personnes privées de faire examiner par un juge si des informations non encore publiées sont conformes aux règles en matière de protection de la personnalité. Le Conseil de la presse est inquiet de constater l’augmentation du nombre des interdictions de publication prononcées par des juges, suite à des requêtes de mesures provisionnelles et, plus fréquemment encore, de mesures d’extrême urgence (super-provisoires). Le fait que de telles ordonnances soient rendues avant toute audition du média en cause ne saurait se justifier que dans des cas particulièrement flagrants et extraordinaires. Dans tous les cas, il incombe au juge de confronter sans délai les parties. Au nom de l’interdiction de la censure préalable, les journalistes ne doivent, en outre, pas être contraints d’accorder contre leur volonté un accès préalable au texte ou à l’émission incriminés. Enfin, il est particulièrement déplorable qu’une interdiction générale de rendre compte d’une mesure provisionnelle puisse être prononcée car, de ce fait, on s’achemine vers une justice secrète.

Dans le cas Tornare, une information laissant apparaître le nom de l’ex-notaire genevois répondait à un intérêt public prépondérant, même si on prend en considération l’ensemble des circonstances déterminantes. Du fait que la Télévision romande disposait encore d’autres voies lui permettant d’attaquer la décision de justice et que la diffusion de l’émission aurait pu être reportée, le Conseil de la presse considère que les conditions précises qui peuvent justifier de passer outre à une décision de justice n’étaient pas remplies. Dans d’autres circonstances toutefois, il pourrait être tout à fait justifié d’ignorer l’ordonnance d’un juge. Il faudrait alors qu’il y ait une contradiction fondamentale entre les règles de droit et celles de l’éthique professionnelle, au point qu’il ne soit plus possible de sortir du dilemme par les voies légales.

Presa di posizione

Restrizioni della libertà di stampa come conseguenza di provvedimenti cautelari

Il dovere di informare riguarda anche le procedure giudiziarie. La funzione di critica e di controllo riconosciuta agli organi d’informazione non può essere esercitata solo all’atto del processo o addirittura solo a sentenza pronunciata.

Le informazioni che toccano la sfera privata dell’interessato sono giustificate da un interesse pubblico preponderante, secondo l’cifra 7 della „Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista », quando riguardano persone che appartengono alla vita pubblica e quando l’informazione è in rapporto con tale loro funzione. Il principio della presunzione d’innocenza si applica direttamente solo agli organi del pubblico potere; nei confronti di privati, e perciò anche dei media, esso va assunto come un’esplicitazione del diritto alla protezione della personalità secondo la Costituzione.

L’attuale giurisprudenza in materia di provvedimenti cautelari nei riguardi dei mass media consente con relativa facilità a privati di far esaminare da un giudice se informazioni non ancora pubblicate sono conformi alle regole in materia di protezione della personalità. Il Consiglio della stampa constata con inquietudine l’aumento del numero dei divieti di pubblicazione pronunciati su richiesta di provvedimento cautelare e l’ancor maggiore frequenza delle misure super-provvisionali adottate in via d’urgenza. Solo in casi eccezionali, di clamorosa flagranza di reato, si giustifica l’adozione di provvedimenti giudiziari senza previa audizione della redazione interessata. In tutti gli altri casi il giudice ha il dovere di mettere rapidamente a confronto le parti. Per escludere ogni censura preventiva, nessun giornalista dev’essere costretto a mostrare il testo o la trasmissione sotto accusa. É specialmente deplorevole, infine, il divieto di render nota la misura provvisionale, in quanto configura un sistema di giustizia segreta.

Nel caso Tornare, che l’informazione comprendesse il nome dell’ex-notaio ginevrino rispondeva a un interesse pubblico preponderante, pur considerando i concomitanti legittimi interessi. In quanto la Televisione romanda disponeva di altri mezzi legali per ricorrere contro la decisione del giudice, e tenuto conto pure del fatto che la trasmissione poteva venir rinviata, il Consiglio della Stampa ritiene che le condizioni restrittive che avrebbero giustificato la decisione di non rispettare una sentenza giudiziaria non erano date. In altre circostanze, tuttavia, non ottemperare a una decisione giudiziaria può essere del tutto giustificato. Occorre per questo caso constatare una contraddizione di fondo tra le norme del diritto e l’etica professionale, che non possa venir risolta per via legale.

I. En Fait

En novembre 1992, un juge genevois a fait droit à une requête de l’ex-notaire genevois et ancien président du FC Servette, Didier Tornare, qui lui demandait par voie de mesures provisionnelles d’interdire à la Télévision suisse romande la diffusion de l’ émission „Tell Quel » , alors en préparation, au motif que celle-ci portait atteinte à sa personnalité. L’interdiction portait à titre provisoire sur la diffusion de toute émission en rapport direct ou indirect avec la procédure pénale ouverte contre Tornare.

Le directeur de la Télévision suisse romande, Guillaume Chenevière, décida de passer outre à cette interdiction, et ce „Tell Quel » fut diffusé sous le titre „Grandeur et décadence du notaire T. ». Il en résulta une vive controverse publique et le Congrès de la Fédération suisse des journalistes, qui se tint peu après à Genève, chargea le Conseil de la presse de prendre position au sujet de ce jugement.

En décembre 1992, la Cour de Justice de Genève limita quelque peu la portée des mesures provisionnelles. En novembre 1993, en procédure ordinaire cette fois-ci, la justice genevoise estima que la TV romande avait, par la diffusion de cette émission, violé la présomption d’innocence. Ce jugement n’est pas encore exécutoire; en outre, une procédure est toujours pendante devant l’Autorité indépendante d’examen des plaintes (AIEP).

II. Considérants

1. Dans sa prise de position sur ce cas, le Conseil de la presse entend s’exprimer au sujet de trois problèmes:

a) les exigences que posent le droit à un procès équitable et le respect de la personnalité de l’intéressé, lorsque les médias diffusent une information à propos d’une procédure en cours;

b) Les dangers qu’une application par trop extensive des mesures provisionnelles par les tribunaux fait courir aux médias, dans le cadre de la protection de la personnalité en droit civil;

c) Les conditions précises qui peuvent justifier, du point de vue de l’éthique journalistique, la transgression d’une décision judiciaire. 2. a) Un droit constitutionnel non écrit et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) garantissent la liberté d’exprimer son opinion. Il en résulte qu’il doit être possible de rendre compte d’une procédure judiciaire en cours et de parler de son contexte. Sous l’angle de l’éthique professionnelle, c’est en particulier le chiffre 2 de la Déclaration des devoirs et des droits du journaliste (DDD) (« Défendre la liberté d’information et les droits qu’elle implique, la liberté du commentaire et de la critique, etc. ») qui est déterminant. On peut en déduire un devoir du journaliste de rendre compte des procédures judiciaires en cours qui sont d’intérêt public. En effet, l’opinion a le droit d’être renseignée sur le fonctionnement de la justice.

b) Toutefois, la loi soumet à des restrictions les informations relatives à des procédures judiciaires en cours. C’est ainsi, notamment, que la personnalité des personnes en cause doit être respectée, de même que le droit d’un accusé à bénéficier d’un procès équitable.

c) La mention des noms dans les informations relatives à une procédure en cours ou dans les informations qui ont trait au contexte d’une telle procédure, constitue une atteinte à la personnalité des intéressés. Elle n’est licite que s’il existe un motif justificatif. Dans le domaine des médias on retient en général comm un tel motif un intérêt public prépondérant. D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, en matière d’information par la voie des médias, il y a intérêt public prépondérant dans la mesure où il s’agit d’une personnalité publique et pour autant que les informations qu’on se propose de publier soient en rapport avec cette qualité. Les principes correspondants figurent aussi au chiffre 7 DDD, qui fait obligation au journaliste de respecter la sphère privée des individus pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire. d) En vertu de l’article 6, chiffre 2 CEDH, quiconque fait l’objet d’une procédure pénale est tenu pour innocent aussi longtemps que la preuve de sa culpabilité n’a pas été rapportée conformément à la loi. Ni la doctrine juridique, ni la jurisprudence du Tribunal fédéral ne partent du principe qu’est exclue une information portant sur une procédure pénale en cours . Néanmoins, il y a unanimité sur le fait que la présomption d’innocence doit être respectée. Le Conseil de la presse souligne expressément, à cet égard, que cette dernière règle ne s’impose directement qu’aux seuls organes de l’Etat. Les personnes privées, et donc les médias, doivent seulement en tenir compte dans le cadre d’une interprétation du droit à la protection de la personnalité conforme à la Constitution. En outre, il résulte du chiffre 3 DDD (« … ne pas supprimer des éléments d’information essentiels… ») une obligation de mentionner clairement, dans des articles reprochant à un individu des faits pénalement répréhensibles qu’il s’agit d’un soupçon, aussi longtemps que ces faits sont contestés par l’intéressé.

e) L’article 6, chiffre 1 CEDH et l’article 58, 1er alinéa de la Constitution fédérale garantissent le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial. La doctrine juridique et la jurisprudence admettent qu’une campagne de presse virulente peut nuire à l’indépendance de juges laïcs. Or ceux-ci ne peuvent être totalement mis à l’abri de toutes influence sociale, économique et politique. Au contraire, ils doivent être conscients de ces influences, afin de rendre un jugement aussi impartial que possible. Si les informations de presse sur un procès en cours respectent les principes posés aux chiffres 3 et 7 DDD, l’influence des médias ne sera pas plus grande que celle d’autres facteurs auxquels le juge est exposé dans la vie quotidienne.

f) Le Conseil de la presse, appliquant ces principes dans l’affaire Tornare, constate qu’il y avait un intérêt public à ce qu’il soit fait état du contexte de celle-ci, à savoir de la spéculation immobilière à Genève dans les années quatre-vingt. Tornare devait également accepter qu’un jugement critique fût porté sur sa carrière professionnelle, lui qui n’avait pas craint les projecteurs de l’actualité dans ses années fastes. Il y avait donc un rapport entre le sujet de l’information et le rôle que le notaire avait joué dans la vie publique. Si la Télévision suisse romande s’était limitée à donner une information sans citer de nom – à supposer que cela eût été possible – elle n’aurait pu renseigner son public que sur l’ascension et la chute d’un spéculateur immobilier. Elle n’aurait pas pu l’informer sur l’ascension et la chute sociales de Tornare, étroitement liées aux précédentes. Tornare n’avait pas seulement revêtu des fonctions officielles en sa qualité de notaire. Il avait également participé à titre personnel à la vie publique. Pour ces motifs, une information faisant état de son nom était licite, dans la mesure où la TSR s’en serait tenue aux principes énoncés ci-dessus. C’est toutefois un point sur lequel le Conseil de la presse n’
a pas été en mesure de se prononcer car, en raison de la procédure pendante, il n’a pu avoir accès à l’ensemble du dossier.

3. a) En vertu de l’article 28 alinéa 1er du Code civil suisse (CCS), celui qui rend vraisemblable qu’il est atteint dans sa personnalité de manière illicite ou qui craint de l’être, peut requérir des mesures provisionnelles pour autant qu’il soit menacé d’un dommage difficlement réparable. En vertu de l’alinéa 2 du même article, le juge peut notamment interdire l’atteinte ou la faire asser à titre provisionnel, ou prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation des preuves. D’après l’alinéa 3, lorsqu’il s’agit d’un média à caractère périodique, le juge ne peut cependant prendre de telles mesures que si l’atteinte qui menace de se produire entraînerait un dommage particulièrement grave, s’il n’y a manifestement aucun motif justificatif et si les mesures ne paraissent pas disproportionnées.

b) Dans ses considérants, le Conseil de la presse se réfère au message du Conseil fédéral, à la doctrine juridique, à de nombreux jugements ainsi qu’à l’initiative parlementaire du conseiller national Charles Poncet, du 14 décembre 1993, au sujet de la révision de l’article 28 c CCS. Le Conseil constate qu’il est, à l’heure actuelle, relativement facile d’obtenir par voie de mesures super-provisoires l’interdiction d’une publication. Il suffit d’introduire en temps utile une requête bien rédigée. On aboutit alors à ce que l’autorité judiciaire, à la demande d’une personne privée, soumette à son contrôle le contenu d’informations de presse et vérifie si leur diffusion est compatible avec la protection de la personnalité. Ce mécanisme correspond à ce que l’on entend par censure préalable, qui porte atteinte au coeur même de la liberté de la presse. C’est précisément ce que le législateur a voulu éviter en prévoyant une disposition spéciale pour les médias. Du fait que, de part et d’autre, des intérêts fondamentaux sont en jeu, les mesures super-provisoires ne devraient être accordées que dans des cas particulièrement choquants, inhabituels et de grande urgence. Dans tous les cas, le média visé doit être entendu sans délai et non pas des semaines plus tard seulement. Car sinon, une ordonnance de mesures super-provisoires dépourvue de justification aura atteint depuis longtemps le but poursuivi par le demandeur.

c) Le Conseil de la presse constate en outre que les tribunaux ne tiennent pas suffisamment compte en pratique des conditions restrictives fixées par le législateur:

aa) Tout d’abord, la diffusion par le média ne constitue pas nécessairement une atteinte grave à la personnalité; sinon, la première des conditions mentionnées à l’article 28 c, 3e alinéa CCS serait d’emblée sans objet. C’est bien plutôt à la nature de cette atteinte à la personnalité, en particulier à la façon dont l’information est donnée, qu’il faut prêter attention.

bb) Ensuite, l’absence de motif justificatif doit être manifeste. Tel sera le cas pour une information indiquant les noms lorsque l’intéressé, à l’évidence, n’ est pas une personnalité publique; ou si, dans un tel cas, il est évident au premier coup d’oeil qu’il n’y a aucun rapport entre les faits rapportés et cette qualité de personnalité publique. En cas de doute, l’absence de motif justificatif n’est pas manifeste, au sens de l’article 28 c, 3e alinéa CCS.

cc) Enfin, le respect de la règle de proportionnalité entraîne l’obligation de choisir la limitation minimale de la liberté de la presse qui est compatible avec le droit de l’intéressé au respect de sa personnalité. Du point de vue de la censure préalable, le Conseil de la presse considère comme particulièrement grave qu’un juge puisse ordonner le visionnement d’une émission contre la volonté des journalistes concernés, car le requérant a ainsi la possibilité de prendre connaissance d’un article ou, dans le cas particulier, d’une émission avant leur publication ou leur diffusion. C’est très précisément ce que l’interdiction constitutionnelle de la censure préalable vise à empêcher.

dd) Si les tribunaux, à l’avenir, interprétaient les conditions posées par l’article 28 c, 3e alinéa CCS conformément au sens qui lui est donné ici, le conflit entre droit de la personnalité et liberté d’opinion serait atténué de manière décisive. Sinon, le législateur n’échappera pas à l’obligation d’entreprendre la révision de cette disposition, afin de répondre aux inquiétudes justifiées des médias.

e) Du point de vue de la liberté d’opinion, il apparaît enfin particulièrement regrettable que des médias se voient non seulement interdire, à titre provisionnel, de parler d’une personne d’une manière ou d’une autre, mais qu’il leur soit encore interdit, de manière générale, de renseigner l’opinion au sujet d’une procédure en cours contre cette personne. Ici également, des solutions plus nuancées doivent être trouvées, au nom du respect du principe de proportionnalité, faute de quoi la justice risque de devenir une justice secrète.

f) S’agissant du cas Tornare, le Conseil de la presse est parvenu à la conviction qu’il y a à tout le moins de bons arguments pour justifier par un intérêt public prépondérant l’atteinte à la personnalité de l’intéressé. En tout cas, l’absence de motif justificatif ne sautait pas aux yeux. En outre, l’ordonnance du juge de première instance ne respectait pas le principe de proportionnalité, dans la mesure où elle comportait l’interdiction générale de toute diffusion d’informations, directes ou indirectes, en rapport avec la procédure contre l’ex-notaire. Si on suivait le juge genevois jusqu’au bout, il en résulterait la quasi impossibilité d’informer le public sur des faits d’une actualité brûlante. Car les journalistes devraient toujours compter avec l’éventualité d’une procédure judiciaire et que dès lors, leurs informations auraient déjà influencé l’opinion publique de façon illicite.

4. a) Guillaume Chenevière a fondé sa décision de passer outre à l’ordonnance du juge et de diffuser l’émission en recourant à l’argument selon lequel la Télévision suisse romande respecte les droits de la personnalité et la présomption d’innocence, mais ne peut en revanche faire abstraction du droit de l’opinion à être informée sans qu’il y ait censure préalable. L’attitude de la Télévision suisse romande a fait l’objet par la suite d’une large discussion aussi bien de la part des intéressés que de tiers, dans la presse et sur les ondes. Le Procureur général de Genève, M. Bertossa, a violemment critiqué l’attitude de la TSR. Selon lui, ce qui était en jeu, ce n’était pas la liberté de l’information, mais bien le respect dû aux institutions démocratiques de notre pays. En se plaçant au-dessus de juges élus par le peuple, les responsables de la TSR auraient donné un exemple particulièrement malvenu de désobéissance civique. Leur provocation était également déplacée dans la mesure où la décision judiciaire n’avait pas encore de caractère définitif et où la diffusion de l’émission n’était pas urgente.

b) Si l’on se réfère à la définition de la désobéissance civique qu’a donnée le philosophe américain John Rawls, le Conseil de la presse estime que les responsables de la TSR ont agi de façon tout à fait consciente. Ils ont voulu en appeler à l’opinion publique et la rendre attentive à la manière dont les mesures provisionnelles sont utilisées contre les médias. Cependant, il n’était pas certain d’avance que la procédure qui pouvait être mise en oeuvre (et qui l’a été effectivement) n’ait aucune chance de succès. Dès lors, l’attitude de la TSR, considérée sous l’angle de la théorie de la désobéissance civique, n’était pour ce motif pas justifiée. A la décharge de la TSR, il faut toutefois ajouter qu’elle n’a nullement agi par pure arrogance, mais bien avec l’intention de démontrer publiquement le caractère douteux
de la décision prise par l’autorité judiciaire.

c) Conformément au paragraphe 3 du préambule de la DDD, la responsabilité du journaliste à l’ègard de l’opinion publique prime celle qu’il a à l’égard des organes de l’Etat. Conformément au dernier paragraphe de la „Déclaration des devoirs », il est de son devoir de n’accepter en matière professionnelle que le jugement de ses collègues, tout en reconnaissant la législation en vigueur dans son pays. A ce titre il doit en particulier, rejeter toute immixtion d’un organe d’Etat ou de tout autre tiers dans les questions de déontologie.

Si on prend cette règle d’éthique professionnelle au pied de la lettre, aucune ordonnance du pouvoir judiciaire, ni aucun jugement ne devrait être respecté dès lors qu’il y aurait le moindre intérêt public à ce que les faits soient connus de l’opinion. Une telle manière de voir irait à l’encontre du devoir des journalistes de reconnaître la législation du pays et donc, de s’y conformer en principe. En cas de contradiction entre droit et éthique, les jugements et les ordonnances émanant des autorités démocratiquement légitimées doivent prendre le pas sur les règles de l’éthique professionnelle. Quand la contradiction entre droit et éthique professionnelle est trop grande et qu’il n’y a plus de moyens légaux à disposition pour résoudre le dilemme, il peut alors se justifier, sous l’angle de l’éthique professionnelle, de passer outre à une décision d’un organe étatique.

III. Conclusions

Pour ces motifs, le Conseil de la presse constate:

1. Du fait que le Conseil de la presse n’a été saisi d’aucune plainte, il peut, conformément à sa pratique constante, se prononcer sur l’affaire Tornare en dépit du fait que la procédure judiciaire est encore en cours.

2. Le chiffre 2 DDD fait un devoir aux journalistes de défendre la liberté de l’information et les droits qui en résultent, de même que celle du commentaire et de la critique. Ce devoir inclut l’information sur des procédures judiciaires en cours. La fonction de critique et de contrôle reconnue aux médias ne saurait s’exercer uniquement lors des audiences d’un procès ou même lorsque le jugement a été rendu. Une telle information doit cependant prendre en compte le chiffre 7 DDD, ainsi que les limitations stipulées par la loi, en particulier en matière de protection de la personnalité et de droit de l’accusé à un procès équitable.

3. Les informations diffusés par les médias qui portent atteinte à la sphère privée de l’intéressé sont justifiées par un intérêt public prépondérant, au sens du chiffre 7 DDD, lorsqu’il s’agit de personnes appartenant à la vie publique et que les informations qu’on se propose de publier ont un lieu avec cette position publique.

4. La règle de la présomption d’innocence n’est imposée de manière directe qu’aux organes de’l’Etat. S’agissant de personnes privées, et donc des médias, elle ne relève que d’une interprétation du droit à la protection de la personnalité qui soit conforme à la Constitution. Dans la mesure où une information porte sur une procédure pénale, il résulte du chiffre 3 DDD l’obligation de faire clairement apparaître qu’il ne s’agit que de simples soupçons, aussi longtemps en tout cas que les faits demeurent contestés par l’accusé.

5. Le droit d’être jugé par un magistrat indépendant et impartial implique que celui-ci, de même que l’accusé de manière indirecte, soient soustraits à l’influence illicite des médias. Dans la mesure où les informations diffusées par ceux-ci au sujet d’une procédure en cours sont conformes aux chiffres 3 et 7 DDD, leur influence n’est pas plus grande que celle d’autres facteurs auxquels le juge est exposé dans sa vie quotidienne.

6. Selon la jurisprudence actuelle en matière de mesures provisionnelles contre les médias, il est relativement aisé à des personnes privées de faire examiner par un juge si des informations non encore publiées sont conformes aux règles en matière de protection de la personnalité. Il s’agit là, de facto, d’une censure préalable, de caractère privé, qui porte atteinte au coeur même de la liberté de la presse. Conscient des dangers, le législateur a adopté pour les médias à caractère périodique une règlementation spéciale. Celle-ci n’autorise les mesures provisionelles que dans des cas exceptionnels, en les soumettant à des conditions extrêmement restrictives.

7. Le Conseil de la presse est inquiet de constater l’augmentation du nombre des interdictions de publication prononcées par des juges, suite à des requêtes de mesures provisionnelles et, plus fréquemment encore, de mesures d’extrême urgence (super-provisoires). Le fait que de telles ordonnances soient rendues avant toute audition du média en cause ne saurait se justifier que dans des cas particulièrement flagrants et extraordinaires. Dans tous les cas, il incombe au juge de confronter sans délai les parties. Au nom de l’interdiction de la censure préalable, on ne peut contraindre de surcroît les journalistes à accorder contre leur volonté un accès préalable au texte ou à l’émission incriminés. Enfin, il est particulièrement déplorable qu’une interdiction générale de rendre compte d’une procédure puisse être prononcée car, par ce biais, on s’achemine vers une justice secrète. 8. Les conditions limitatives édictées en faveur des médias doivent, à l’avenir, conduire à une application beaucoup plus restrictive des mesures provisionnelles et super-provisoires. A défaut, le législateur n’échapperait pas au devoir de réviser l’article 28 c, 3e alinéa CCS, afin d’empêcher toute limitation intolérable de la liberté de la presse.

9. Dans le cas Tornare, une information laissant apparaître le nom de l’ex-notaire genevois répondait à un intérêt public prépondérant, même si on prend en considération l’ensemble des circonstances déterminantes. Les mesures provisionnelles ordonnées par le juge étaient, déjà injustifiées en elles-mêmes, car les arguments invoqués ne permettaient aucunement d’exclure d’emblée l’existence d’un motif justificatif; en outre, les mesures allaient largement au-delà de ce qui était nécessaire; elles étaient donc disproportionnées.

10. Du fait que la Télévision suisse romande disposait encore de voies lui permettant d’attaquer la décision de justice et que la diffusion de l’émission aurait pu être reportée, le Conseil de la presse considère que les conditions précises permettant de passer outre à une décision de justice n’étaient pas remplies. Dans d’autres circonstances toutefois, il pourrait être tout à fait justifié d’ignorer l’ordonnance d’un juge. Il faudrait qu’il y ait contradiction fondamentale entre les règles de droit et celles de l’éthique professionnelle, au point qu’il ne soit plus possible de sortir du dilemme le problème des voies légales.