Nr. 11/2004
Liberté du commentaire

(X. c. «Le Temps») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 16 mars 2004

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I. En fait

A. Le 8 novembre 2003 «Le Temps» a publié un article de Nicolas Merckling sous le titre «La reconquête valaisanne du ÐRacletteð». L’article traitait de la décision de l’Office fédéral de l’agriculture d’inscrire le «Raclette du Valais» dans le registre suisse des appellations d’origines contrôlée (AOC). Cette décision a été contestée par les fromagers des autres cantons. L’article était accompagné par un commentaire de Daniel Audétat sous le titre «La Logique paradoxale du racleur valaisan». En résumé, l’auteur accusait le Valais d’être toujours prêt à profiter de la solidarité nationale quand il s’agit de redistribuer une part de la richesse nationale entre les régions du pays mais de se désintéresser des paysans et fromagers qui vivent au delà de ses monts.

B. Le même jour, X. s’est adressé au Conseil de la presse pour se plaindre de ce que le commentaire de Daniel Audétat contenait «des accusations gratuites et des atteintes graves à la personallité des Valaisans moyens» et violait le devoir de s’abstenir des discriminations (chiffres 7 et 8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste»). Le plaignant conteste notamment les passages suivants du commentaire: «A ce jeu, le Valais est passé maître. Il sait jongler avec les différent paramètres qui interviennent dans la Ðpéréquation intercantonaleð. Crédit LIM, crédits hôteliers, bénéfices de la BNS, aides post-catastrophes: il n’y a pas un puits confédéral où magistrats, élus et lobbyistes du canton n’excellent dans l’art de puiser. (…) Poser la question classique à un Valaisan du Valais ou à un Valaisan expatrié: ÐVous sentez-vous d’abord citoyen du monde, de l’Europe, de la Suisse ou du Valais?» Il vous répondra qu’il est d’abord de Réchy, de Chamoson ou de Saxon, selon sa commune d’origine. Ce serait très bien comme cela si cet enracinement primordial n’entrait pas trop souvent en conflit avec les intérêts de la collectivité supérieure dont le Valaisan moyen tire ses aises. (…) Et trouveront enfin la confiance nécessaire pour imaginer leur salut autrement qu’en raclant les fonds de tiroir confédéraux.

E. Conformément à l’art.9 al. 3 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence doit refuser des plaintes manifestement infondées.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président) et Esther Diener-Morscher (vice-présidente) a liquidé la présente prise de position le 16 mars 2004 par voie de correspondance. ). Sylvie Arsever (vice-présidente; «Le Temps») s’est récusé.

II. Considérants

1. De manière constante, le Conseil suisse de la presse a souligné l’importance de la liberté du commentaire, précisant qu’ «il doit jouir d’une large liberté quant au ton adopté» (prise de position 4/92, Sch. c. «L’Impartial»). La liberté de commenter n’est toutefois pas sans limite. Les journalistes doivent respecter la sphère privée sans intérêt public prépondérant et ont l’obligation de ne faire état que de faits vérifiés. En outre, dans un avis du 20 février 1998 (S. c. NZZ, 3/98), le Conseil de la Presse a relevé: «Les avis exprimés dans un commentaire doivent faire preuve d’un certain degré de correction (Ðfairnessð) quand on y évalue des personnes, respectivement leurs capacités. Un commentaire ne peut remplir son rôle d’éclairage du public que dans la mesure où ce dernier connaît les faits qui justifient l’opinion exprimée.» Dans sa prise de position 51/2002 le Conseil a constaté qu’au nom de la liberté de commenter, un pamphlet même blessant à l’encontre de magistrats ou d’un groupe de magistrats est admissible. Finalement, il est déterminant que l’appréciation sur laquelle repose le commentaire soit reconaissable pour le public et que de surcroît ce commentaire ne se fonde pas sur des allégation non avérées, manifestement inconvenantes et dépréciatives (16/99, 2/00).

2. En l’occurrence le commentaire de Daniel Audétat est sans autre reconnaissable comme tel. Et même si le Conseil suisse n’a pas à trancher la question de savoir si le Canton du Valais touche plus de subventions que d’autres Cantons, il est incontestable que ce canton, comme toutes les régions de montagne, profite en partie de la redistribution de la richesse écononomique entre les régions. Les limites de la liberté du commentaire ne sont dès lors manifestement pas dépassées si un journal reproche à un tel canton de chercher à se procurer un avantage économique au détriment des autres cantons par le biais d’une appellation d’origine contrôlée. Dans ces circonstances, il ne peut être question ni d’accusations gratuites ni d’atteintes graves «à la personnalité des Valaisans moyens» ni d’une discrimination de la population entière du Canton du Valais.

III. Conclusion

La plainte est refusée.