Nr. 12/2002
Illustration identifiable / Sphère privée

(X. c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 15 février 2002

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I. En fait

A. Dans ses éditions des 11 et 12 août 2001, la «Tribune de Genève» publie une photo illustrant un article intitulé «Vélos-trams: ballet de la discorde dans les Rues Basses». La photo montre un cycliste roulant entre un tram et un camion en stationnement. La légende «Rue Basses. Non contents de défier la loi, les cyclistes râlent ensuite quand ils sont verbalisés!» accompagne la photo. La photo est signée «Salvatore di Nolfi / 22 juin 1999».

B. Le 28 septembre 2001 le cycliste figurant sur la photo publiée par la «Tribune de Genève», X. dépose une plainte auprès du Conseil suisse de la presse contre des journalistes de la «Tribune de Genève» et du «Matin». Dans sa missive X. se plaint de l’utilisation sans son consentement, d’une photo de lui pour illustrer un article portant sur un conflit entre cyclistes et conducteurs de tramways dans l’utilisation des sites réservés à ces derniers dans le centre ville de Genève. Il se plaint du fait, que malgré ses protestations auprès du responsable des publications photo du «Matin», suite à une première parution de la même photo dans ce quotidien du 23 juin 1999, la photo est de nouveau publiée. X. est d’autant plus étant donné que le responsable photo du «Matin» lui a exprimé ses excuses. Etant reconnaissable sur la photo, X. déclare avoir subi des remarques désagréables à son lieu de travail et des ricanements de la part de ses proches. Il s’élève également contre le fait que la publication dans la «Tribune de Genève» en 2001, d’une photo prise en 1999, le met dans une situation amendable au moment de la publication, ce qui ne l’était pas au moment de sa prise.

Finalement, X. reproche un manque de rigueur au responsable des publications photo qui a continué à archiver et à mettre à disposition la photo malgré son intervention en 1999. Il conclut également à une violation à la directive 7.1 relative à la «Déclaration des devoirs et des droit du / de la journaliste» sur la protection de la vie privée.

C. Le 9 octobre 2001 la «Tribune de Genève» a publié sous le titre «Ah! Je t’ai vu en photo dans la ÐTribuneð!»une chronique de son médiateur, Daniel Cornu, consacré au sujet de la plainte de X.. Selon le médiateur X. a raison de se plaindre. «Chacun a droit a son image. Le seul fait de photographier quelqu’un sans son consentement est illicite. A plus forte raison, le fait d’utiliser la photo. Des dérogations existent (…) Dans le cas du cycliste des Rues-Basses, seul personnage visible sur l’image, le photographe aurait dû s’assurer au départ de son consentement. Cela n’a pas été le cas. ÐLe Matinð c’est donc mis dans son tort en publiant la photographie. Et plus encore la ÐTribune de Genèveð, deux ans plus tard. Car même si l’accord du cycliste avait été obtenu en 1999 (ce que la rédaction de la ÐTribune de Genèveð pouvait supposer de bonne foi), cela ne signifiait pas que le cliché pût sans autre reparaître. (…) L’homme de la rue, simple acteur de la vie quotidienne, est lui aussi digne de protection, il est temps que l’image du cycliste disparaisse définitivement des archives d’Edipresse.»

D. Dans sa réponse du 11 décembre 2001 au Conseil Suisse de la Presse, Monsieur Jean-François Mabut, rédacteur en chef adjoint de la «Tribune de Genève» plaide la «bonne foi» étant donné que la publication s’est faite, en puisant dans la banque d’images d’Edipresse où aucune note mettant en garde quant à sa parution ou reparution ne l’accompagnait. Il pose par ailleurs la question de savoir si par mesure de précaution on aurait dû brouiller les yeux du cycliste, afin de conserver son anonymat, tout en soulevant la question du caractère disproportionné d’une telle démarche.

Sur le fond du conflit «cyclistes / tramways» le rédacteur en chef adjoint affirme que contrairement à ce qu’allègue le plaignant, la circulation des cyclistes sur des voies de tram en site propre a toujours été interdite. Ce ne serait que récemment, que la police aurait augmenté sa lutte contre les contrevenants. Selon la «Tribune de Genève», il n’y a pas eu de changement du droit depuis 1999, mais uniquement un changement de pratique de la police.

E. La plainte est examinée par la 2ème Chambre lors de sa séance du 15 février 2002. Celle-ci se compose de Mme Sylvie Arsever et de MM. Dominique Bugnon, Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali. MM. Daniel Cornu (président de la Chambre et médiateur de la «Tribune de Genève») et Dominique von Burg (rédacteur en Chef de la «Tribune de Genève») se sont récusés.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse n’entre pas en matière sur la plainte de X. dans la mesure où celle-ci est dirigée contre la prise de la photo par M. Salvatore di Nolfi et la première publication en 1999. Selon l’art. 15 alinéa 5 de son règlement, le Conseil suisse de la presse n’entre pas en matière sur une plainte lorsque la publication contestée remonte à plus d’une année. Le Conseil de la presse n’entre non plus en matière en ce qui touche au comportement des employés de la banque d’images d’Edipresse, car ces derniers ne sont pas nécessairement des journalistes. Selon l’art. 1 alinéa 2, le Conseil de la presse ne se prononce qu’au sujet de l’éthique professionnelle des journalistes. Les considérants suivants se limitent donc au comportement de la rédaction de la «Tribune de Genève».

2. La question principale posée par X. est celle de savoir si la publication de la photo controversée dans la «Tribune de Genève» contredit au devoir des journalistes de respecter la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire (chiffre 7 des la «Déclaration»). La directive 7.1 relative à la «Déclaration» stipule qu’un journaliste ne peut prendre de photo d’une personne sans son consentement sous réserve d’un intérêt public prépondérant. Dans sa prise de position 41/2000 le Conseil suisse de la presse est parvenu à la conclusion qu’une image reproduite par la «Basler Zeitung» et la légende qui s’y rapportait suggéraient à tort qu’un passager des transports publics bâlois, qui figurait au premier plan avec un contrôleur, avait un lien avec l’accroissement de l’agressivité. De toute façon, il n’existait aucun intérêt public à reproduire de manière reconnaissable l’image du passager qui, de ce fait, a été indûment atteint dans sa sphère privée.

3. Dans le cas de la «Tribune de Genève» la rédaction pouvait supposer de bonne foi que l’accord de X. a été obtenu en 1999. Néanmoins, deux ans plus tard une telle accord ne valait plus sans autre. Même si l’image n’était pas centrée sur le cycliste, celui-ci était reconnaissable. En republiant la photo, la «Tribune de Genève» a donc contrevenu au chiffre 7 des la «Déclaration», car il n’existait aucun intérêt public à reproduire l’image de X. de manière reconnaissable. Cela vaut plus encore par le fait que la légende était ainsi rédigée: «non contents de défier la loi, les cyclistes râlent ensuite quand ils sont verbalisés». Les lecteurs ont ainsi pu avoir l’impression que X. s’était comportée de manière illégale et impolie.

III. Conclusions

1. La plainte est admise.

2. Même si une rédaction a obtenu l’accord d’une personne de publier une photo, un tel accord ne vaut plus sans autre deux ans plus tard.

3. Sous réserve d’un intérêt public prépondérant il contrevient au chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» de publier une image d’une personne de manière reconnaissable dans une situation quotidienne, surtout si le public peut en retenir l’impression que cette personne s’est comporté de manière illégale et impolie.