Nr. 10/1997
Exceptions au principe de „audiatur et altera pars“ / Abus ou excès à l’intérieur d’une entreprise de média

(SSM - Radio TV Genève / Télévision Suisse Romande) du 19 septembre 1997

Drucken
Stellungnahme

Bei Medienbeiträgen über besonders heikle Themen wie Miss-handlung, Vergewaltigung und sexuelle Belästigung darf aus-nahmsweise vom Grundsatz des „audiatur et altera pars“ abge-wichen werden. Sonst bestünde die Gefahr, dass über diese Pro-bleme nicht adäquat berichtet werden kann. Dabei ist jedoch sicherzustellen, dass nicht nur die Anonymität der befragten Person, sondern auch diejenige eines betroffenen Dritten vollumfänglich gewahrt wird.

Über Missstände innerhalb eines Medienunternehmens ist nicht anders als über anderswo bestehende Missstände zu berichten. Es schadet der Glaubwürdigkeit der Medien, wenn sie für sich andere Massstäbe als bei anderen gesellschaftlichen Akteuren anlegen.

Prise de position

Lors de reportages médiatiques portant sur des thèmes particu-lièrement délicats, tels que les mauvais traitements, les viols ou les harcèlements sexuels, il peut être dérogé à titre exceptionnel au principe „audiatur et altera pars“. Sinon il y au-rait le risque que des reportages adéquats ne soient pas réalisés sur ces problèmes. Toutefois, il faut quand même garantir que l’anonymat, non seulement de la personne interrogée mais éga-lement celui d’un tiers mis en cause, soit entièrement protégé.

Les abus ou excès commis à l’intérieur d’une entreprise des médias doivent être relatés de la même façon que ceux commis ailleurs. Les médias portent atteinte à leur propre crédibilité des médias lorsqu’ils utilisent pour eux-mêmes des critères différents de ceux qu’ils appliquent à d’autres entreprises.

Presa di posizione

Al principio „audiatur et alter pars” può essere fatta eccezione quando il servizio si occupi di temi scabrosi, come sevizie, violenza carnale o molestie sessuali. Ciò per evitare il rischio di non poterne riferire adeguatamente. Dev’essere tuttavia as-sicurato senza eccezioni, non solo l’anonimato della persona inquisita, ma anche quello dei terzi coinvolti.

I casi di molestie accaduti all’interno di una redazione non de-vono essere trattati diversamente rispetto a quando accadono fuori. Nuoce alla credibilità dei mass media che i criteri validi per chiunque altro soffrano eccezione „in re propria“.

I. En fait

A. Le 28 novembre 1996, dans l’émission „Temps présent“, la Télévision Suisse romande diffuse une enquête intitulée: „Mobbing, la persécution au travail“.

B. Sous le nom de „mobbing“, il faut entendre une pratique consistant à tourmenter régulièrement des collaboratrices ou collaborateurs sur leur lieu de travail par des traitements injustes et dévalorisants dans le but d’obtenir leur éloignement ou leur démission.

C. Les auteurs du reportage ont notamment recueilli les témoignages de per-sonnes se considérant comme ayant été victimes de cette pratique et en décri-vant les effets sur leur santé physique et psychique.

D. Parmi les personnes interrogées, figurait une employée de la Télévision Suisse romande. Elle apparaissait en silhouette à l’écran. Sa voix n’était pas cryptée. Aucune indication n’était fournie qui permette d’identifier cette em-ployée ni l’entreprise dans laquelle elle travaillait.

E. Informée une fois l’émission diffusée, la direction de la TSR reproche à ses responsables et à ses auteurs : 1. de ne pas avoir cherché à obtenir le point de vue de l’employeur ; 2. de ne pas avoir pris les moyens de rendre impossible l’identification de la personne interrogée; 3. de ne pas avoir préalablement avisé leurs supérieurs hiérarchiques que l’un des cas présentés concernait l’entreprise TSR.

F. La direction de la TSR a, se fondant sur des „principes du programme“, pris des mesures disciplinaires à l’encontre des responsables du magazine „Temps présent“ et des auteurs de l’émission.

G. Le 23 février 1997, le groupe Radio TV Genève du Syndicat suisse des mass média demandait au Conseil de la presse de répondre à la question : „En interviewant une employée de la TSR de manière anonyme, sans citer le nom de la TSR, et sans donner la parole à la TSR, les auteurs de cette émission ont-ils violé les principes de la déontologie des journalistes et notamment le principe de l’équilibre invoqué par la direction de la TSR ?“

H. Le 16 mai 1997, les producteurs de „Temps présent“ et, le 20 mai 1997, la journaliste et le producteur de l’émission sous examen faisaient connaître au Conseil de la presse leur position.

I. Dans un mémoire du 15 avril 1997, la direction de la TSR conclut :

1. qu’il n’est pas de la compétence du Conseil de la presse d’entrer en matière sur cette affaire ; 2. que le SSM n’a pas qualité pour agir ; 3. qu’elle se réserve, sans reconnaissance de compétence, d’être entendue au cas où le Conseil entrerait en matière sur le fond.

J. Réunie le 22 mai 1997 à Fribourg sous la présidence de M. Daniel Cornu, la deuxième chambre du Conseil de la presse décide :

1. de se saisir de son propre chef du cas soumis à son attention, considérant qu’il est exemplaire des intérêts contradictoires qui peuvent exister entre l’éthique journalistique et les réglementations internes des entreprises des mé-dias.

2. d’aviser par lettre du 23 mai les parties de cette décision et de les prier de se déterminer sur le fond jusqu’au 15 juin 1997.

K. Le 4 juillet 1997, la direction de la TSR, ayant motivé son retard, complé-tait sa détermination du 15 avril. .p>
II. Considérants

1. Le Conseil de la presse, selon l’article premier, paragraphe 1, de son règle-ment du 11 novembre 1988, „peut prendre position sur les questions d’éthique professionnelle, de même que sur les affaires qui portent atteinte à la considéra-tion de la profession ou concernent son bon usage“. „Le Conseil de la presse dispose donc d’une large liberté d’appréciation pour accueillir des plaintes. Son rôle est de rendre service à la profession, en l’aidant à définir, dans des cas con-crets, le sens des principes qu’elle s’est donnés pour affirmer sa dignité et son indépendance. Il n’y a pas lieu de se montrer trop restrictif dans l’examen de la qualité pour agir, aussi longtemps que la question posée mérite une étude et une réponse de principe“. (Voir : Prise de position du 10 septembre 1990, Gil Baillod c/Jean-Luc Vautravers, receuil 1989-1990, 47.)

2. Il ne fait pas de doute à ses yeux que la question soumise à son examen par le SSM – Groupe Radio TV Genève est de nature à concerner l’ensemble de la profession et, particulièrement, toutes et tous les journalistes travaillant au sein d’un média de service public.

3. Au demeurant, le Conseil de la presse s’est, à plusieurs reprises, prononcé par décisions ou prises de position sur des cas où l’éthique professionnelle journalistique était mise en cause dans des émissions diffusées par la TSR (17 avril 1990: „A Bon entendeur“ du 13 septembre 1989, recueil 1989-1990, 21ss; 31 octobre 1991: „Luc et Jean-Luc D.“ c/ Liliane Varone – Journal ro-mand du 6 novembre 1990, recueil 1991, 32ss; 24 janvier 1994: „Tell Quel“: Tornare, recueil 1994, 14ss).

4. Ce faisant, il ne porte aucun jugement sur les lois, ordonnances, conces-sion fixant le cadre légal de l’activité de la SSR. Il n’entend pas, non plus, se prononcer sur les mesures prises à l’encontre des auteurs de l’enquête et des responsables de l’émission „ Temps présent “. Il s’estime, en revanche, fondé à donner son avis sur le conflit surgi entre les directives internes du radiodiffu-seur et la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“.

5. Le Conseil de la presse
rappelle la teneur du chiffre 10 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“, qui fait devoir au journaliste de „n’accepter de directives journalistiques que des seuls responsables désignés de sa rédaction, et pour autant que ces directives ne soient pas contraires“ à ladite Déclaration.

6. Les journalistes qui travaillent pour la SSR sont soumis aux normes de droit public édictées sur la base de l’article 55 bis de la Constitution fédérale : LRTV et son ordonnance d’application, concession du 18 novembre 1992. Ils doivent également, observer les „Principes du programme“ du 28 janvier 1982, édition 1990 correspondant à une concession du 5 octobre 1987.

7. En tant qu’individus exerçant la profession de journaliste, ils „s’imposent spontanément“ d’observer „strictement les règles essentielles“ énoncées dans la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“, „règles nécessaires à l’accomplissement de leur mission d’information“. Cette déclaration porte en préambule que „ la responsabilité (des journalistes) envers le public doit (…) primer celle qu’il assume à l’égard de tiers, pouvoirs publics et employeurs notamment“.

8. Cette situation de „double appartenance“ n’est la source, dans la très grande majorité des cas, d’aucun conflit. Il peut cependant surgir des circonstances où les prescriptions régulatrices de l’entreprise – en l’occurrence celles du radiodif-fuseur SSR-TSR – entrent en contradiction avec les règles déontologiques que s’imposent de leur propre gré les journalistes. 9. A plusieurs reprises, le Conseil de la presse a rappelé l’obligation pour le journaliste de „ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels “. (Emission „I Serbi“ de la TSI, 1995 ; Banque can-tonale de Genève, No 6/1997). Dans une décision antérieure (Emission TSR, décision du 31 octobre 91), il a considéré comme violation du devoir de „rechercher la vérité“ le fait de n’avoir pas sollicité „l’avis de l’une des parties en cause“.

10. Dans le cas sous examen, les producteurs de „Temps présent“ arguent que „ l’un des rôles des journalistes est de mettre en évidence des comportements propres à notre société, des comportements parfois répréhensibles par la morale ou par la loi“. Ils ajoutent : „A la télévision, ce type d’enquête est particulièrement difficile à réaliser parce qu’elle nécessite le recours à des témoignages enregistrés sur vidéo. La présence d’une caméra rend d’autant plus difficile des témoignages enregistrés qui, souvent, font appel à des souvenirs intimes et douloureux“. Et d’expliquer : „Si nous devions systématiquement donner la parole à la partie adverse, nous ne pourrions tout simplement pas traiter de certains thèmes car nous ne trouverions aucun témoin d’accord de s’exprimer“.

11. Les producteurs de „Temps présent“ ont fourni une liste de sujets diffusés au cours des derniers mois sous cette enseigne, et réalisés selon la même mé-thode, les assertions de la victime n’ayant pu, à chaque occasion, être confron-tées à celui de la personne qu’elle incrimine. Selon eux, „ aucune de ces émis-sions n’a fait l’objet de remarques ou de sanctions (…) pour non respect du principe de l’équilibre journalistique“ de la part de la direction de la TSR.

12. La personne qui livre sa version de faits supposés de harcèlement profes-sionnel n’est ni désignée nommément ni identifiable par l’image. L’entreprise qu’elle met en cause n’est pas dénommée. La stricte application, dans ce cas, du chiffre 3 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“ conduirait infailliblement à la révélation de l’identité de la personne interrogée sous promesse d’anonymat voire à son refus de toute déclaration, sans préju-dice des conséquences professionnelles qui pourraient en résulter pour elle.

13. Toutefois, l’émission contestée n’applique pas jusqu’à leurs ultimes con-séquences les exceptions admissibles, propres à des enquêtes de ce type. Le tiers mis en cause, et qui ne sera pas appelé à s’exprimer, ne devrait, en vertu de l’égalité de traitement, pas être identifiable. En l’occurrence, un cercle, cer-tes restreint, de téléspectateurs a pu mettre un nom sur l’entreprise accusée de harcèlement professionnel. Un cryptage également vocal aurait été de nature à assurer et la protection de l’employeur contre un reproche qu’il tient pour in-justifié et de l’employée contre d’éventuelles représailles. Du même coup, tout soupçon de malignité des auteurs de l’émission aurait été sans objet.

14. L’exigence de la direction de la TSR d’être mise en mesure d’exposer son point de vue d’employeur est une démarche à laquelle le collaborateur de la SSR en tant que tel doit s’opposer en sa qualité de journaliste qui tient la dé-fense de l’indépendance pour un devoir primordial (chiffre 2 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“).

III. Conclusions

1. Le Conseil de la presse rappelle le chiffre 10 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“ qui fait devoir au journaliste de „ n’accepter de directives journalistiques que des seuls responsables de sa rédaction, et pour autant que ces directives ne soient pas contraires à ladite déclaration“. Il n’a pas à se prononcer sur la légitimité et la pertinence des mesures disciplinaires prises à l’encontre des auteurs de l’enquête et des responsables de l’émission „ Temps présent“.

2. Le genre d’enquêtes pratiqué par l’émission „ Temps présent“ entraîne – quand il s’agit de mauvais traitements, de viol, d’inceste, de harcèlement de toute sorte – des exceptions à l’application automatique du contre-témoignage. En contrepartie, ce traitement exceptionnel conditionne le mode de présentation du témoignage. Garantie assurée à la personne interrogée, l’anonymat doit l’être également pour la personne physique ou morale mise en cause.

3. Les abus ou des excès commis à l’intérieur d’une entreprise de médias doivent être traités de la même façon que le sont ceux qui sont commis ailleurs. Il y va de la crédibilité des médias, auxquels le public adresse fré-quemment le reproche de ne pas s’appliquer une rigueur de traitement égale à celle qu’ils réservent aux personnes physiques ou morales dont ils ont le devoir de dénoncer les procédés abusifs.