Nr. 39/2015
Entretien aux fins d’enquête

(Baur. c. «Le Matin Dimanche») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 28 septembre 2015

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Zusammenfassung

Muss ein Journalist das Einverständnis seines Gesprächspartners einholen, um ihn zitieren zu dürfen? Die Antwort ist nicht so eindeutig, wie es scheinen mag, selbst wenn beide Parteien vom Fach sind.

Im März 2015 übernahm «Le Matin Dimanche» in gekürzter Form eine umfangreiche Recherche der «Weltwoche» über die therapeutische Betreuung des Mörders der jungen Adeline M., die im Jahr 2013 während eines begleiteten Ausgangs getötet worden war. Während der Vorbereitung der Publikation unterhielt sich der Journalist des «Matin Dimanche» mehrmals mit seinem Deutschschweizer Kollegen, um den Rahmen der Übernahme festzulegen und den Kontext des Artikels zu besprechen.

Für den Deutschschweizer Journalist war klar, dass der Austausch den kollegialen Rahmen nicht überschritt. Zumindest macht er dies in seiner Beschwerde geltend, die er beim Presserat eingereicht hat, nachdem er festgestellt hatte, dass er zitiert worden war. Für «Le Matin Dimanche» hingegen war es offensichtlich, dass Teile der Unterhaltung zitiert würden, auch wenn die Absicht nicht explizit erwähnt wurde.

Nach der zur «Erklärung der Pflichten und Rechte der Journalistinnen und Journalisten» gehörenden Richtlinie 4.6 muss ein Zitat aus einem Recherchegespräch vor der Veröffentlichung dann zur Genehmigung unterbreitet werden, wenn die befragte Person dies verlangt. Allerdings muss die betroffene Person Kenntnis davon haben, dass sie zitiert wird, hält der Presserat fest. Im vorliegenden Fall hätte «Le Matin Dimanche» seine Absicht explizit erwähnen müssen.
    
Zudem hat der Presserat in früheren Stellungnahmen entschieden, dass Journalisten bei längeren Recherchegesprächen – vorbehältlich einer abweichenden Vereinbarung – verpflichtet sind, ihren Gesprächspartnern sämtliche zur Publikation vorgesehenen Aussagen zu unterbreiten. «Le Matin Dimanche» hätte demnach dem Journalisten der «Weltwoche» die Zitate von sich aus  vorlegen müssen.

Der Presserat kommt zum Schluss, dass «Le Matin Dimanche» Ziffer 4 der «Erklärung der Pflichten und Rechte der Journalistinnen und Journalisten» unter diesen zwei Gesichtspunkten verletzt hat.

Résumé

Un journaliste doit-il demander l’accord de son interlocuteur pour utiliser des citations? La réponse n’est pas si tranchée qu’il y paraît, même lorsque les deux parties sont du métier.
En mars 2015, «Le Matin Dimanche» a repris et résumé une longue enquête de la «Weltwoche» sur les conditions de suivi thérapeutique du meurtrier de la jeune Adeline M., tuée lors d’une sortie accompagnée en 2013. Pour préparer cette publication, le journaliste du premier s’est entretenu à plusieurs reprises avec son confrère alémanique pour fixer le cadre de cette reprise et discuter du contexte de l’article.
Pour le journaliste alémanique, il est alors clair que ces échanges ne dépassent pas le cadre du service rendu entre collègues. C’est du moins ce qu’il affirme dans la plainte qu’il dépose au Conseil de la presse (CSP) après avoir constaté qu’il a été cité. «Le Matin Dimanche» au contraire, estime qu’il était évident que les entretiens allaient déboucher sur des citations, même si l’intention n’était pas explicite.
Selon la directive 4.6 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», une citation utilisée dans le cadre d’un entretien aux fins d’enquête ne doit être soumis avant publication que si la personne interrogée le demande. Encore faut-il que cette personne soit avertie de cette utilisation, estime le CSP. En l’occurrence «Le Matin Dimanche» aurait dû formuler explicitement son intention.
De plus, le CSP a statué dans des prises de positions précédentes que dans le cas d’entretien prolongé, et sous réserve d’un arrangement différent, les journalistes avaient l’obligation de soumettre à leurs interlocuteurs les déclarations destinées à être publiées. «Le Matin Dimanche» aurait donc dû faire relire spontanément les citations attribuées au journaliste de la «Weltwoche».
Le Conseil a conclu que le chiffre 4 de la Déclaration a été violé sur ces deux aspects par «Le Matin Dimanche».

Riassunto

Per citare qualcuno il giornalista deve sempre chiedere il consenso? Su questo punto, anche tra persone del mestiere, i pareri possono divergere.
Nel marzo 2015, «Le Matin Dimanche» aveva ripreso e riassunto una lunga inchiesta della «Weltwoche» sulle condizioni di accompagnamento terapeutico dell’assassino della giovane Adeline M., uccisa durante un’uscita accompagnata nel 2013. Per realizzare il servizio, il giornalista di «Le Matin Dimanche» aveva avuto parecchi contatti con il suo collega svizzero tedesco, in cui erano stati discussi sia le proporzioni della ripresa sia l’articolo nel suo contesto. A questi era parso che lo scambio non andasse al di là di un favore tra colleghi: invece si è trovato citato in un riquadro del servizio. Per «Le Matin Dimanche» era evidente che, come risultato dei ripetuti contatti, il servizio potesse contenere delle citazioni, anche se per la verità l’intenzione non era mai stata precisata.
La Direttiva 4.6. annessa alla «Dichiarazione dei doveri e dei diritti del giornalista» prescrive che nel caso di un colloquio informativo il testo del servizio deve essere sottoposto all’interlocutore per approvazione soltanto quando questi lo richieda, ma precisa anche che il giornalista deve segnalargli questa possibilità. Nel caso presente, «Le Matin Dimanche» avrebbe dovuto precisare la sua intenzione. In prese di posizione precedenti, il Consiglio della stampa aveva affermato che nel caso di colloqui di lunga durata il giornalista è obbligato a far rileggere le citazioni destinate alla pubblicazione. «Le Matin Dimanche» avrebbe dunque spontaneamente dovuto chiedere al giornalista della «Weltwoche» la verifica del testo.
Di conseguenza, il Consiglio ha ritenuto che nel caso specifico la «Dichiarazione dei doveri e dei diritti» è stata violata da parte di «Le Matin Dimanche».


I. En bref


A.
En date du 15 mars 2015, «Le Matin Dimanche» publie un article titré «Psychopathe sadique, Fabrice A. a réussi à tromper ses psychiatres». Signé Dominique Botti, il revient sur le cas d’un détenu incarcéré au centre de La Pâquerette à Genève, qui avait tué son accompagnatrice Adeline M. lors d’une sortie en 2013. L’article est une adaptation d’une enquête parue en quatre épisodes dans la «Weltwoche» des 26 février, 5, 12 et 19 mars 2015 sous la plume d’Alex Baur. L’article du «Matin Dimanche» fait clairement référence à sa source, les deux journalistes ont d’ailleurs eu des contacts par téléphone et courriels pour fixer le cadre de cette adaptation. L’enquête amène de nouveaux éléments notamment sur le profil du prisonnier et son traitement psychiatrique. L’article est complété par un encadré qui contient des citations attribuées à Alex Baur.

B. Le jour même de la parution, Alex Baur demande un droit de réponse concernant l’une des citations qui lui sont attribuées dans l’encadré, lequel encadré ne lui avait pas été soumis. Il prétend n’avoir jamais dit «sous cette forme» ce qui lui est attribué et spécifiquement la phrase qui conclut l’encadré: «On ne doit pas écouter ce que dit le détenu, mais voir ce qu’il a fait. Il faut toujours le ramener à son crime. Il faut lui laver le cerveau.» Le 17 mars 2015, Dominique Botti répond qu’il ne voit pas sur quelle base la rédaction accepterait un droit de réponse. Le refus est réitéré le 19 mars par une lettre
de la rédaction.

C. Le 20 mars 2015, Alex Baur dépose plainte au Conseil suisse de la presse (CSP) contre «Le Matin Dimanche». Il invoque la violation des chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (ne pas dénaturer l’opinion d’autrui) et 5 (rectification d’informations matériellement inexactes) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-dessous la «Déclaration»). Il ressort des échanges préalables entre les deux journalistes que Baur a relu l’article principal et y a apporté quelques corrections. A propos de l’encadré, qui ne lui a pas été soumis, Baur précise dans un courriel: «Je suppose que dans l’encadré vous parlerez des thérapeutes et des expertises (ce qui me semble le plus important).»

Il reproche au journaliste du «Matin Dimanche» de l’avoir cité sans autorisation alors que, selon lui, leurs contacts étaient de l’ordre de «conversations entre collègues» pour fixer le cadre de l’article et fournir des compléments d’informations. De plus, il conteste le contenu d’une citation.  

D. Le 22 mai 2015, sous la plume de l’auteur de l’article et d’Ariane Dayer, rédactrice en chef, «Le Matin Dimanche» prend position. Il demande au Conseil de la presse de rejeter la plainte, par ailleurs pas clairement motivée à leur sens. Concernant le chiffre 1 de la «Déclaration», le plaignant ne précise pas ce qui, de son point de vue, ne correspond pas à la vérité. Concernant le chiffre 3, «Le Matin Dimanche» soutient que l’opinion du plaignant n’a pas été dénaturée. Quant au chiffre 5, il ne s’appliquerait pas puisqu’aucune erreur matérielle n’a été commise.

La rédactrice en chef et le journaliste font remarquer que le plaignant n’avait pas souhaité relire l’article principal, que Dominique Botti lui aurait néanmoins soumis, et que le contenu de l’encadré n’était pas encore arrêté à ce moment. Ils soulignent que tous les contacts préalables à la publication avec le plaignant se sont déroulés de manière cordiale et transparente. Selon «Le Matin Dimanche», «les propos retranscrits correspondent pleinement à la position de M. Baur sur le sujet». Ce dernier «n’a à aucun moment mentionné vouloir que les discussions demeurent ‹off the record›».

E. La présidence du Conseil de la presse transmet la plainte à sa 2ème chambre. Présidée par Dominique von Burg, elle est composée de Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali. Elle traite la plainte dans sa séance du 28 août 2015 et par voie de correspondance.


II. Considérants

1. Le Conseil suisse de la presse constate que le plaignant ne précise pas en quoi le chiffre 1 de la «Déclaration» serait touché. Il n’entre donc pas en matière sur ce point.

2. En ce qui concerne le chiffre 3 de la «Déclaration» (ne pas dénaturer l’opinion d’autrui), le Conseil n’est pas en mesure de se prononcer. Le  plaignant a-t-il bel et bien prononcé la phrase qui lui est attribuée dans l’encadré? Ce dernier affirme que non, «Le Matin Dimanche» prétend le contraire.  

3. En conséquence, le Conseil de la presse n’est pas davantage en mesure de dire s’il y avait ou non erreur matérielle et si «Le Matin Dimanche» a contrevenu au chiffre 5 de la «Déclaration» (devoir de rectification). D’autre part, le Conseil rappelle qu’il ne se prononce pas sur un refus de droit de réponse, ce dernier ressortissant du Code civil et non de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

4. Pour le Conseil de la presse, la plainte porte en fait sur le chiffre 4 de la «Déclaration» (loyauté de la recherche), et plus précisément sur l’entretien aux fins d’enquête. Même si la plainte ne mentionne pas le chiffre 4, son contenu y fait allusion sans que le doute ne soit permis. D’ailleurs, dans sa réponse, «Le Matin Dimanche» se place également sur ce terrain. Le journaliste du «Matin Dimanche» ne devait-il pas demander explicitement l’autorisation de citer son collègue alémanique? Les citations contenues dans l’encadré devaient-elles être soumises au plaignant avant publication?

5. A plus d’une reprise, le Conseil de la presse a rappelé la teneur de la directive 4.6, précisant qu’une citation consécutive à un entretien aux fins d’enquête ne devait être soumise avant publication que si la personne interrogée le demandait. Mais le Conseil ajoutait que cette dernière devait être consciente du but de la conversation et de son droit à demander une relecture. Pour le plaignant, il ne s’agissait que de «conversations entre collègues». Le journal prétend le contraire: «Au delà du confrère, c’est bien au spécialiste du sujet que M. Botti s’est adressé», argumente-t-il. Au vu de son expérience de journaliste, estime l’hebdomadaire, le plaignant «pouvait se douter qu’il ne s’agissait pas d’une simple discussion entre collègues».  A aucun moment il n’a demandé que ses propos soient «off the record». Il n’a exprimé «aucune inquiétude ni objection à être cité».

L’argument toutefois peut se retourner: ce serait parce qu’aucune intention de le citer n’était apparente que le plaignant ne s’en serait pas inquiété. A priori, le Conseil de la presse n’est pas en mesure de trancher entre ces positions divergentes. La directive 4.6 stipule que «les journalistes doivent informer leurs interlocuteurs sur l’objet de l’entretien mené dans le cadre d’une enquête». En considérant que «l’objet de l’entretien» ne se limite pas au contenu mais inclut l’utilisation qui en sera faite, le Conseil estime que le journaliste du «Matin Dimanche» aurait dû formuler explicitement son intention et soumettre les citations utilisées. Il a ainsi contrevenu à la directive 4.6. D’autant plus qu’on se trouve ici dans le cadre d’un entretien prolongé. A ce propos, le Conseil de la presse a précisé ce qui suit dans ses prises de position 30/2002 et 36/2009: «A l’issue d’un entretien prolongé et sous réserve d’un arrangement différent, les journalistes ont l’obligation de soumettre à leurs interlocuteurs pour accord toutes les déclarations destinées à être publiées et cela avant parution.»


III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise. En omettant de demander au plaignant s’il pouvait le citer et en ne lui soumettant pas les citations qu’il lui a attribuées à la suite d’un entretien prolongé, «Le Matin Dimanche» a contrevenu au chiffre 4 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
 
2. «Le Matin Dimanche» n’a pas violé les chiffres 1, 3 et 5 de la «Déclaration».