Nr. 31/2000
Droit de réponse publié sous forme de courrier des lecteurs

(Fondation M. c. „24Heures“) Prise de position du Conseil suisse de la presse du 1er septembre 2000

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I. En fait

A. Le 14 mars 2000, le journal „24Heures“ publie, sous la plume d’Isidore Raposo, un article intitulé „Octogénaire dépouillée“. Le titre est précédé de la phrase „EMS – Vifs reproches contre M.“. Sous le titre: „Disparition d’objets de valeur appartenant à une pensionnaire. Le directeur rejette toute responsabilité“. Cet article se fait l’écho des interrogations de la nièce d’une pensionnaire de l’EMS de M. Cette personne affirme n’avoir pas obtenu d’explications sur le décompte 99 de sa tante, sur la facturation d’importantes quantités de vin et se plaint de la disparition d’objets de valeur appartenant à sa tante. Interrogé par l’auteur de l’article, le directeur de l’établissement, A., s’élève avec véhémence contre les reproches formulés. „Excessivement fâché“, A. estime „être l’objet de menaces et d’attaques par voie de presse“ et annonce son intention de réagir.

B. Le 21 mars 2000, le Conseil de fondation de l’établissement écrit au rédacteur en chef de „24Heures“, requérant la publication d’un droit de réponse, vu „le caractère tapageur de l’atteinte causée“. Le Conseil de fondation exige que la publication de son texte se fasse sans délai et sous la forme donnée. Sous le titre „Fondation faussement accusée“, le Conseil de fondation estime que l’article en cause s’inscrit dans une campagne de presse visant les établissements médico-sociaux et qu’il s’en prend à l’institution „sans disposer de preuves concrètes autres que de vulgaires ragots“. Le Conseil de fondation rejette les accusations portées contre le directeur et met en doute la véracité des informations rapportées à l’auteur de l’article par la nièce de la résidente.

C. Par courrier du 23 mars 2000, M. Jacques Poget, rédacteur en chef de „24Heures“, fait savoir au Conseil de fondation de l’EMS qu’il rejette sa demande de publication, estimant que les conditions ne sont pas remplies. La même missive annonce la publication des passages „significatifs“ du texte rédigé par le Conseil de la Fondation dans le courrier des lecteurs d’un prochain numéro. M. Poget précise agir ainsi „par esprit d’ouverture“ et rappelle à la requérante la possibilité de s’adresser au médiateur du journal en cas de désaccord.

D. Le 24 mars 2000, „24Heures“ fait paraître des extraits du texte du droit de réponse exigé par la Fondation dans la rubrique réservée au courrier des lecteurs. Ce texte est intitulé „Fondation M. – Amalgame révoltant“. Y figurent les principaux éléments du texte rédigé par le Conseil de la Fondation. La rédaction du journal fait suivre ces extraits d’une „précision“ dans laquelle elle souligne que l’article n’est pas une mise en accusation de l’institution, que l’auteur n’a fait que retransmettre les questions „légitimes“ posées par la nièce d’une pensionnaire et que ces questions n’ont toujours pas reçu de réponse.

E. Le 30 mars 2000, la Fondation M. écrit à „24Heures“ pour soutenir sa prétention à la publication d’un droit de réponse, déplorant que la rédaction n’ait pas motivé son refus. Elle s’élève également contre la publication, dans le courrier des lecteurs et sans autorisation, d’extraits du droit de réponse. La Fondation estime que la rédaction a utilisé une „astuce“ en transformant son droit de réponse en courrier des lecteurs, lui permettant d’ajouter un „commentaire désobligeant“ au bas du texte. La Fondation estime ce procédé incompatible avec les règles de déontologie des journalistes.

F. Le 3 avril 2000, „24Heures“ accuse réception de la lettre de la Fondation du 30 mars et rappelle, une nouvelle fois, la possibilité de s’adresser au médiateur du journal.

G. Le 30 mai 2000, Me B., agissant au nom de la Fondation M., s’adresse au Conseil suisse de la presse. Le mandataire estime que le quotidien „24Heures“ n’a pas respecté la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“. Les chiffres 1 et 7 de la „Déclaration“ auraient été violés dans la mesure où la recherche de la vérité n’aurait pas été l’objectif prioritaire et que „des accusations gratuites ont été portées à l’encontre de la Fondation et de son directeur“. Me B. estime en outre que le journal a dénaturé le texte remis par sa cliente et qu’il a refusé de rectifier une information inexacte (chiffres 3 et 5 de la „Déclaration“). Pour Me B., le droit de réponse exigé par sa cliente était justifié. Selon lui, il n’était pas admissible de publier la réponse sous une autre rubrique et sans l’autorisation de l’auteur. Pour le mandataire, le texte qui devait faire l’objet du droit de réponse ne devait pas être „tronqué“ et il n’était pas permis de l’accompagner d’une „précision“ de la rédaction. Enfin, le plaignant relève que l’article a paru alors que les EMS étaient sous les feux de l’actualité et que l’auteur de l’article a donc procédé à un amalgame, préférant en l’occurrence „le sensationnel à une investigation appropriée“.

H. Le traitement de la plainte est confié par la présidence à la 2ème Chambre du Conseil suisse de la presse.

I. Par courrier du 10 juillet 2000, M. Jacques Poget, rédacteur en chef de „24Heures“, prend position sur la plainte adressée au Conseil de la presse par la Fondation M. S’agissant du refus de la rédaction de publier in extenso le droit de réponse exigé par la plaignante, M. Jacques Poget relève que son journal a publié les parties du texte „qui apportaient au public un éclairage supplémentaire sur le conflit (…); il s’agissait de préciser que le Conseil de la Fondation soutenait son directeur“. Pour le reste, le rédacteur en chef estime que le texte de la Fondation ne répond pas sur les faits à l’article incriminé. Pour lui, la volonté de nuire imputée à l’auteur de l’article n’est pas étayée. Quant à la „précision“ ajoutée par la rédaction au bas du texte, M. Jacques Poget la justifie par le fait que les allégations de la plaignante étaient inacceptables pour la rédaction. Concernant la publication d’extraits du texte rédigé par le Conseil de la Fondation dans le courrier des lecteurs, le rédacteur en chef a estimé fair-play de donner la parole à la Fondation afin qu’elle puisse faire entendre son point de vue. S’il n’a pas requis l’approbation de la Fondation, c’est parce qu’il a préféré la vitesse au formalisme, dans l’intérêt de l’information des lecteurs, rappelant que la plaignante avait demandé une publication sans délai. Le rédacteur en chef écrit avoir traité cette prise de position comme une lettre habituelle, „la ramenant aux proportions que nous estimions appropriées et en resserrant le propos aux points traités dans l’article incriminé“. Par ailleurs, M. Jacques Poget s’élève contre l’accusation d’amalgame, soulignant que l’article se contente de relater le cas de la pensionnaire de l’établissement. Pour le rédacteur en chef, l’article n’a rien de sensationnel et l’investigation n’a pas été négligée. Il en veut pour preuve le fait que l’article, sur 94 lignes au total, en comporte 52 de citations du directeur de l’établissement. Quant à sa légitimité, M. Poget souligne que la nièce de la pensionnaire a pris l’initiative d’écrire à „24Heures“ pour évoquer ses difficultés à obtenir des explications sur les sujets de litige avec la direction. Enfin, le rédacteur en chef de „24Heures“ souligne qu’à ses yeux le droit de réponse ne doit pas être utilisé „comme moyen d’intimidation pour arrêter une enquête dérangeante“, sous peine de ne pas atteindre son objectif.

K. Le 20 juillet 2000, Me B.,
au nom de la Fondation, réplique à la prise de position de „24Heures“, faisant valoir que les accusations formulées dans l’article demeurent et qu’il faut se mettre à la place du lecteur, seul à même d’apprécier la portée de l’article. Me B. en veut pour preuve le nombre de réactions suscitées par cet article. Il fait valoir que le Service de Justice, de l’Intérieur et des Cultes a réclamé de la Fondation des précisions, suite à la parution de l’article.

L. La plainte de la Fondation M. a été examinée par la 2ème Chambre du Conseil de la presse lors de sa séance du 1er septembre 2000 et par voie de correspondence. La Chambre est composée de Mmes Sylvie Arsever et de MM. Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber et Ueli Leuenberger (représentants du public).

M. Par courrier du 6 septembre 2000, M. Jacques Poget, rédacteur en chef de „24Heures“, répond à la prise de position de Me B. du 20 juillet 2000. Cette lettre n’a pas été prise en considération car elle est parvenue au Conseil suisse de la presse après les délibérations de la 2ème Chambre sur le litige en question.

II. Considérants

1. Les devoirs et les droits des journalistes découlent du droit du public à connaître les faits. Confrontée aux interrogations soulevées par la nièce d’une pensionnaire du home M., la rédaction de „24Heures“ était légitimée à s’intéresser à ce cas. Le fait que la presse se soit faite l’écho de plusieurs autres affaires impliquant des EMS ne fait que renforcer cette légitimité. En l’espèce, l’auteur s’est abstenu de faire une quelconque référence à d’autres affaires portant sur les EMS, évitant tout risque d’amalgame. Le titre de l’article porte sur le fond de l’affaire, à savoir les accusations portées par la nièce de la pensionnaire. La rédaction a pris soin de situer le contexte: le lecteur apprend immédiatement qu’il est question de reproches formulés à l’encontre de l’établissement et que le directeur rejette toute responsabilité. La recherche de la vérité (chiffre 1 de la „Déclaration“) découle du droit du public à l’information. Cette quête postule du journaliste une vigilance particulière lorsque des reproches graves sont formulés qui peuvent toucher la respectabilité d’une personne ou d’une institution. Dans sa prise de position du 16 juin 1996 (Up trend c. „Beobachter“, recueil 1996, p. 43ss.), le Conseil de la presse a souligné l’importance de l’application du principe de la loyauté (fairness) lorsqu’une personne est gravement mise en cause par un article. Ce principe doit permettre à la personne d’exprimer son point de vue („audiatur et altera pars“). Dans le cas d’espèce, les accusations sont graves et la rédaction de „24Heures“ le reconnaît: le titre de l’article est précédé de la phrase : „EMS-vifs reproches contre M.“. Dans le même sens, le corps de l’article est construit sur la base de l’interview du directeur de l’établissement, lequel est ainsi confronté aux interrogations et reproches formulés par l’informatrice du journal. Il n’appartient pas au Conseil de la presse de se prononcer sur le contenu des réponses apportées par le directeur de l’établissement visé, mais de constater que l’institution, par la bouche de son directeur, a eu la possibilité de s’exprimer et de contester les reproches formulés.

2. Le chiffre 5 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“ fait une obligation de rectifier „toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte“. Cette obligation découle du droit qu’a le public de connaître la vérité. Dans le cas d’espèce, la plaignante conteste le statut de curatrice attribué à la nièce de la pensionnaire par „24Heures“. Cette mention a été faite dans le cadre de la „précision“ ajoutée par la rédaction au courrier des lecteurs publié le 24 mars 2000. A l’appui de sa plainte, Me B. produit une attestation du Registre central des curatelles du canton de Vaud selon laquelle la pensionnaire n’est pas sujette à tutelle ou à curatelle. „24Heures“ conteste cette version et fait valoir qu’au moment de la parution de l’article, la nièce de la pensionnaire fonctionnait de fait comme curatrice et cela à la demande du Centre médico-social de R.. Selon le journal, le directeur de l’établissement n’a pas contesté ce fait lors de son entretien avec l’auteur de l’article. Le rédacteur en chef du journal fait également remarquer que la nièce a été officiellement désignée curatelle de sa tante le 6 avril 2000. En présence de versions diamétralement opposées quant au fait de savoir si „24Heures“ pouvait, de bonne foi, préciser que son informatrice était „de surcroît curatrice“ , le Conseil de la presse n’est pas en mesure de se prononcer sur la question de savoir s’il incombait au journal de rectifier cette information.

3. Le droit de réponse est institué par les articles 28g et suivants du Code civil suisse (CC). Quand au fond et à la question de savoir si le refus de „24Heures“ était justifié d’un point de vue juridique, il appartient à la justice civile de se prononcer. Le Conseil de la presse limite ses activités à l’examen du respect de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“.

4. „24Heures“ a pris l’initiative, „par esprit d’ouverture“, de publier des extraits du droit de réponse sous la forme d’un courrier des lecteurs et en a averti la plaignante dans un courrier du 23 mars 2000. Ce courrier des lecteurs a été publié dans l’édition du 24 mars 2000. Dans une prise de position du 14 novembre 1988 ( P. c. „La Suisse“, recueil 1983-1989, p. 85ss.) le Conseil de la presse s’est prononcé sur la question de la publication d’un droit de réponse sous la forme d’une lettre de lecteur. Le Conseil est arrivé à la conclusion qu’une telle pratique ne pouvait s’opérer sans l’accord de l’auteur. Cette pratique a été confirmée par la prise de position 19/2000 du 7 juin 2000 (Kantonale Ethikkommission Zürich c. „Das Magazin“).

En l’espèce, cet accord n’a pas été requis. De plus, le délai très court séparant la lettre de la rédaction de la publication du courrier des lecteurs ne permettait pas à la plaignante de faire valoir son point de vue sur le procédé. Par ailleurs, les exigences de forme posées par la Fondation à l’appui de sa demande de droit de réponse auraient dû inciter la rédaction à s’assurer de l’approbation de la requérante. Le Conseil de la presse, dans une prise de position du 1er octobre 1999 ( B. c. „La Liberté“, recueil 1999, p. 154ss.), a précisé que „si l’auteur d’une lettre de lecteur insiste sur la publication de l’intégralité de son texte, il convient soit d’accéder à son désir, soit d’en refuser la parution“. La transformation a eu pour conséquence dommageable d’offrir au journal la possibilité d’ajouter un appendice rédactionnel.

5. Si la rédaction de „24Heures“ devait requérir l’approbation de la plaignante avant de publier son droit de réponse sous la forme d’un courrier des lecteurs, la même exigence s’applique au souhait de raccourcir le courrier en question. La requête portait sur la publication d’un droit de réponse. Comme mentionné plus haut, le journal pouvait en déduire que la plaignante exigeait la publication du texte dans son intégralité. Avant de supprimer certains passages, la rédaction aurait donc du obtenir l’accord de la Fondation.

III. Conclusions

1. En se faisant l’écho des interrogations soulevées par la nièce d’une pensionnaire d’un home, „24Heures“ n’a fait que remplir sa mission d’information. En construisant son article sur la base de l’interview du directeur de l’établissement, l’auteur a respecté le principe de la loyauté et per
mis au responsable de l’établissement de faire valoir son point de vue, conformément au chiffre 1 de la „Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste“.

2. Une rédaction ne peut transformer un droit de réponse en courrier des lecteurs sans avoir obtenu, au préalable, l’assentiment de l’auteur. De même, une rédaction doit requérir et obtenir l’aval du lecteur avant de raccourcir un texte dont elle savait que son auteur en exigeait la publication intégrale. „24 Heures“ a ainsi enfreint le principe général de loyauté (fairness) qui découle de la „Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste“.