Nr. 22/2000
Contacts privilégiés entre un journaliste et sa source

(G. c. A.) Prise du position du Conseil de la presse du 11 août 2000

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I. En Fait

A. Les 9,17 et 18 décembre 1999, la Tribune de Genève a fait écho au témoignage du journaliste libre A. devant le juge d’instruction genevois P.. Déjà interrogé précédemment par ce magistrat, A. a demandé à être réentendu pour apporter des éléments nouveaux concernant l’attitude du procureur K., avec lequel il était en relation professionnelle. Le 9 février 2000, G. s’est adressé au Conseil de la presse. G. souhaite savoir si, de l’avis du Conseil de la presse, A. a ainsi violé le secret des sources (chiffre 6 de la Déclaration des devoirs et des droits). G. demande également si en échangeant des informations avec le magistrat, A., se faisant „indicateur de justice“, restait dans le cadre de sa déontologie professionnelle.

B. La demande de G. a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la presse. Cette dernière est composée de Mmes Sylvie Arsever et Madeleine Joye, et de MM Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber et Ueli Leuenberger (représentants du public). Le 10 mars, puis le 14 avril 2000, Martin Künzi, secrétaire du Conseil de la presse s’est adressé en vain à A. pour lui demander une prise de position. A. n’a répondu à aucun de ces deux courriers, le second recommandé.

C. Le dossier dans le cadre duquel est intervenue l’audition de A. par le juge d’instruction genevois P. est complexe et pour le moment secret, même s’il a donné lieu à de nombreux articles de presse. Le Conseil de la presse s’est basé sur l’état de fait suivant. En décembre 1994, le promoteur genevois G. a déposé plainte pour tentative d’extorsion contre un expert employé par le parquet genevois pour enquêter sur lui et contre un comparse. Les deux hommes avaient exigé 2 millions „arranger“ son dossier. Arrêté, l’expert C. a assuré après quelques tergiversations qu’il entendait piéger le promoteur et qu’il avait agi au vu et au su du magistrat qui l’avait mandaté, K., qui était alors procureur. Entendu, ce dernier a démenti avoir été au courant de l’intention de son expert de piéger le promoteur. G. ayant déposé contre le magistrat une plainte pour, entre autres, abus de pouvoir, faux témoignage et entrave à l’action pénale, la Chambre d’accusation a préconisé une inculpation du magistrat. Le Grand Conseil genevois a toutefois refusé de lever l’immunité de ce dernier. Suite à cette décision, la compagne de A. a demandé à être auditionnée par le juge P., chargé du dossier. A., qui avait déjà été entendu en raison de ses rapports avec l’expert et avec le procureur, a sollicité une nouvelle audition. Il a déposé les 8 et 16 décembre 1999. Selon ses déclarations à la Tribune de Genève, il a été notamment interrogé sur les relations entre K. et l’expert C. Après avoir déclaré à la Tribune, que le magistrat „savait tout“ des projets de son expert, il aurait donné une version plus nuancée au juge P. car il avait appris que sa compagne avait été soumise à diverses pressions pour l’amener à témoigner.

D. La plainte a été examinée lors des ses séances du 16 mai et du 16 juin 2000 et par voie de correspondence par la 2ème Chambre du Conseil de la presse.

II. Considérants

1. Faute de prise de position du journaliste mis en cause, le Conseil de la presse, qui ne dispose pas des moyens de mener sa propre enquête, se trouve réduit à trancher sur la base des éléments qui ont filtré d’une enquête menée à huis clos. Il ne saurait toutefois s’interdire d’entrer en matière sur une question de déontologie dont la portée générale est incontestable au seul motif que la personne mise en cause refuse de s’expliquer. Dans ce contexte, il s’en tiendra à deux questions théoriques posées en termes généraux: 1) A. pouvait-il, pour obtenir des informations du procureur K., lui en fournir lui-même, au risque de se faire indicateur? et 2) Le juge ayant servi de source, en partie au moins confidentielle, au journaliste, ce dernier était-il autorisé à témoigner sur ce qu’il avait observé de ses actions au cours de leur relation professionnelle?

2. Le Conseil de la presse examinera d’abord la question des échanges d’information entre A. et le procureur K.. Sur la réalité de ces échanges, on peut retenir, notamment, la déclaration du premier à la Tribune de Genève le 8 décembre 1999 selon laquelle il aurait „amené plus d’informations à la justice que celle-ci ne lui en a donné pour ses papiers“. Les journalistes sont tenus de respecter le secret rédactionnel (chiffre 6 de la Déclaration). Cela implique qu’ils doivent tenir rigoureusement secrètes, non seulement l’identité de leurs sources confidentielles mais aussi toutes les informations que celles-ci leur ont demandé de ne pas révéler parce qu’elles permettraient de les identifier. Cette obligation de secret ne saurait faire l’objet d’un marchandage quelconque dans le cadre d’un échange d’informations confidentielles avec des tiers. Les informations dont dispose le Conseil de la presse ne lui permettent pas de constater que A. aurait violé le secret des sources dans ses contacts avec le procureur K.

3. Si ce cadre est respecté, la pratique de l’échange d’informations sur la base du „donnant -donnant“ n’est pas en soi condamnable. Les journalistes doivent quotidiennement s’informer auprès de sources qui agissent en fonction d’intérêts personnels divers. Leur déontologie ne les oblige pas à faire preuve d’angélisme et à n’accepter que les informations diffusées par souci de l’intérêt général. Elle se borne à leur demander de conserver en toute circonstance leur indépendance (chiffre 9 de la Déclaration), garante de la qualité de l’information qu’ils diffusent et de leur crédibilité et de défendre la dignité de la profession (chiffre 2 de la Déclaration). En établissant une collaboration régulière avec une source donnée, un journaliste se met dans une situation à risque au regard de ces obligations, ce qui réclame de lui une vigilance accrue.

4. Les circonstances dans lesquelles A. s’est trouvé amené à témoigner devant le juge P. donnent à penser qu’il n’a pas fait preuve de cette vigilance. Le Conseil de la presse ne peut pas déterminer si les informations communiquées au juge étaient couvertes par le secret rédactionnel, faute de connaître le contexte précis dans lequel A. y a eu accès. Il peut en revanche constater que ces informations n’ont pas fait l’objet d’une publication de la part du journaliste pendant les cinq ans qui séparent le moment où il en a eu connaissance et celui où il a spontanément demandé à venir en faire part au juge P. Dans ces conditions, on peut formuler deux hypothèses. Soit A. estimait que ces informations étaient couvertes par le secret rédactionnel et il n’avait pas à les communiquer au juge, car elles n’étaient pas de nature à détourner une menace grave pour des personnes ou une atteinte à la sécurité de l’Etat. Soit le journaliste a tu ces informations, non pour protéger une source mais pour ne pas indisposer un magistrat avec lequel il avait développé des relations qui dépassaient le strict cadre professionnel. Dans ce cas, le secret rédactionnel, qui ne saurait se confondre avec l’omertà, n’interdisait pas à A. de témoigner. Toutefois, en développant avec une source privilégiée une relation dans le cadre de laquelle il n’était plus en mesure d’utiliser journalistiquement les informations qu’il recueillait, A. a violé son obligation de conserver son indépendance. En outre, il s’est mis en situation de donner une image gravement contraire à la dignité de la profession: celle d’un journaliste qui vient devant le juge „donner“ ses sources.

III. Conclusions

1. Un journaliste peut échanger des informations avec une source pour autant qu’il respecte scrupuleusement, dans ces échanges, le secret rédactionnel. Si ces échanges se développent sur une base régulière, ils entraînent un risque pour l’indépendance du journaliste et ce dernier doit se montrer particulièrement vigilant.

2. Le secret rédactionnel protège largement les relations entre un journaliste et une source confidentielle. Il ne doit toutefois pas être détourné de son rôle, qui consiste à faciliter l’information du public. Les informations qu’un journaliste retient par complaisance envers une source avec laquelle il a développé des relations extra-professionnelles ne sont pas couvertes par le secret rédactionnel.

3. Dans sa relation avec l’expert C. et le juge K., A. n’a pas fait preuve de la vigilance requise, ce qui l’a mis en position, soit de violer le secret rédactionnel, soit de perdre son indépendance. Dans l’un et l’autre cas, il a porté atteinte à la dignité de la profession.