Nr. 6/1997
Consultation complète des parties

(Banque Cantonale de Genève / 'Tribune de Genève'), du 6 juin 1997

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Stellungnahme

Um ihrer Kritik- und Kontrollfunktion nachzukommen, sollten Medien dem Publikum gerade im Bereich von Wirtschaft und Finanzmärkten eine transparente und verständliche Information gewährleisten. Auch die fundamentale Pflicht, vertrauliche Informationsquellen zu schützen, darf nicht dazu führen, dass für das Verständnis eines Beitrages unabdingbare Informationselemente weggelassen werden.

Die Veröffentlichung eines schwerwiegenden Vorwurfs im Konjunktiv, insbesondere wenn gleichzeitig einer betroffenen Partei keine Gelegenheit zur Stellungnahme angeboten wird, schadet der Glaubwürdigkeit der Medien.

Prise de position

Les médias devraient garantir au public, dans le domaine des sciences et des marchés financiers, une information transparente et claire pour remplir leur fonction de critique et de contrôle. Même le devoir fondamental de protéger les sources d’informations confidentielles ne doit pas conduire à l’omission d’éléments d’informations pour la compréhension d’un article.

La publication d’un reproche hypothétique fort grave, particulièrement lorsque la partie concernée n’a pas eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet, nuit à la crédibilité des médias.

Presa di posizione

Nel campo scientifico e dei mercati finanziari è importante che gli organi d’informazione garantiscano al pubblico un’informazione chiara e trasparente, se vogliono essere all’altezza della loro funzione di critica e di controllo. Ma il dovere fondamentale di proteggere la fonte delle proprie informazioni non deve indurre a omettere elementi d’informazione importanti per la comprensione di un caso.

La pubblicazione di un’accusa gravissima, seppure ipotetica, senza offrire alla parte colpita la possibilità di esprimersi nuoce alla credibilità dell’informazione.

I. En Fait

A. Dans son édition des 4-5 avril 1996, la Tribune de Genève (TG) publie un article de Serge Guertchakoff intitulé „L’acquisition immobilière de deux anciens hommes politiques laisse perplexe ». L’auteur évoque les conditions de vente d’un immeuble propriété de la Banque Cantonale de Genève (BCGe), acquis par cette dernière pour un montant de 20 millions. L’immeuble a été revendu pour 10 millions de francs. Les acheteurs ont obtenu un prêt de 9,5 millions de la BCGe. La banque a assorti la transaction d’un droit de préemption et d’un droit de réméré.

Dans la deuxième partie de l’article, l’auteur laisse entendre que la transaction pourrait être un acte simulé. Il utilise le conditionnel pour étayer la thèse suivante : la BCGe a accepté des conditions de vente défavorables dans la mesure où elle s’est protégée par un droit de préemption et un droit de réméré (encaissement par ses soins du bénéfice d’une future et éventuelle vente du bâtiment après 2006); elle a sorti l’immeuble de son bilan grâce à cette vente, qui pourrait être „un portage permettant à la BCGe d’échapper au contrôle de la Commission fédérale des banques ». Selon l’article, un tel acte de portage équivaut à un faux dans les titres.

L’auteur est visiblement informé par une source compétente dans les affaires immobilières. Il donne la parole à l’un des deux acheteurs, M. Bernard Ziegler, qui dément la théorie élaborée par le journaliste et réfute la thèse de l’acte simulé. Le journaliste ne demande pas l’avis de la BCGe.

B. Immédiatement après la parution de l’article de M. Guertchakoff, la BCGe sollicite la TG pour la publication d’une réaction de sa part. Celle-ci paraît le 11 avril 1996 dans le Courrier des lecteurs. La BCGe affirme que la vente s’est déroulée dans des conditions normales. L’immeuble a été acquis par deux hommes qui y ont leur lieu de travail. Le prix a été fixé en fonction de l’état du marché, avec une perte de 10 millions pour la banque. Le droit de préemption et le droit de réméré doivent toutefois permettre à la BCGe de protéger ses intérêts. Pour la banque, cette opération est légitime et l’affirmation selon laquelle cette transaction serait un acte simulé ou un portage destiné à lui permettre d’échapper à ses obligations est calomnieuse.

C. La BCGe ne dépose pas plainte contre M. Guertchakoff. En date du 26 avril 1996, elle demande au Conseil de la presse de prendre position sur l’angle éthique et professionnel de l’affaire.

D. Le 17 juin 1996, le rédacteur en chef de la TG expose son avis. A ses yeux, le fait d’avoir donné la parole à l’un des deux acheteurs est suffisant puisque c’est lui qui, le cas échéant, pourrait être accusé de portage. La BCGe n’a pas été consultée dans la mesure où l’auteur de l’article a eu accès à l’acte notarié de la vente. Le rédacteur en chef estime qu’aucune faute n’a été commise.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse de la Fédération suisse des journalistes a eu, à plusieurs reprises dans le passé, l’occasion de se pencher sur des cas proches ou similaires (Information complète: CCHR Suisse c. Cash, 1994; émission „I Serbi » de la RTSI, 1995. Traitement des sources : VCS c. Weltwoche, 1993; Sbarro c. Le Matin, 1994; Migros c. SonntagsZeitung, 1996, etc). L’affaire qui oppose la BCGe et la TG met en lumière des thèmes récurrents de l’activité journalistique: protection des sources, nécessité d’entendre les personnes concernées par un article publié dans un média, spéculations et utilisation du conditionnel, courrier des lecteurs.

2. L’article de M. Guertchakoff est basé sur un document officiel puisqu’il s’agit de l’acte notarié de la vente de l’immeuble. Le journaliste ne cite pas le nom de la personne qui lui a transmis l’acte. Le secret professionnel est un moyen très important d’accéder à des informations permettant d’exposer des phénomènes d’intérêt public. Les médias recueillent régulièrement des informations à la condition que la source ne soit pas rendue publique. Les données enregistrées à titre confidentiel participent à la formation de l’opinion du journaliste, à l’approfondissement de son article et finalement à la crédibilité du média. Le chiffre 6 de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste impose aux gens de média de „garder le secret professionnel ; de ne pas révéler la source des informations obtenues confidentiellement », exception faite des cas criminels ou lorsque la vie de personnes est en danger. En ce sens, la non-divulgation du nom de la personne à la source de l’article de M. Guertchakoff ne heurte pas les règles de la profession.

3. La situation tendue qui prévaut en 1996 sur le marché justifie le fait qu’un journaliste se penche sur le phénomène de la vente, par les banques, de leur parc immobilier acheté fréquemment dans l’urgence. Dans la mesure où une tendance de vente d’immeubles à bon prix se fait jour, assortie de pratiques inhabituelles (combinaison des droits de préemption et de réméré), il appartient aux médias d’expliquer au public les tenants et aboutissants du phénomène. La Déclaration des devoirs oblige le journaliste à rechercher la vérité, en raison du droit qu’a le public de la connaître. Dans le cas particulier, il y a un intérêt public prépondérant d’éclairer une pratique éventuelle nouvelle de la part d’une banque.

4. L’article de M. Guertchakoff porte en lui les germes d’une situation conflictuelle, dans la mesure où il affirme que le contrat signé entre la BCGe et les deux acquéreurs „pourrait donner lieu à l’ouverture d’une enquête pénale pour faux dans les titres ». L’auteur de cette assertion n’est pas nommé ; s’agit-il de la source du journaliste, d’un juriste, ou du rédacteur lui-même ? Dans un tel contexte de mise en accusation, il importe de donner au lecteur les signaux nécessaires à la formation de son opini
on. La préservation du secret de la source étant acquise dans le cas BCGe – TG, un soin particulier doit être apporté aux explications portant sur les raisons d’une telle prudence, sur le mode de vérification auprès de tiers, et sur l’enrichissement éventuel auprès de la source. Le traitement conséquent des sources permet au journaliste d’asseoir la crédibilité de son article, cela d’autant plus qu’il s’inscrit dans un contexte critique de mise en lumière d’une dérive possible.

5. L’article de M. Guertchakoff répond-il aux exigences du chiffre 3 de la Déclaration des devoirs, à savoir qu’un journaliste ne doit pas omettre des éléments d’information essentiels? A la lecture de la TG, il apparaît que cinq acteurs jouent un rôle important: la source confidentielle de l’information, les personnes directement concernées par l’article (les acheteurs et la BCGe), le journaliste en tant que vecteur, et finalement le public. „Du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes », explique le préambule de la Déclaration. En omettant de prendre contact directement avec la direction de la BCGe, M. Guertchakoff a écarté l’un des acteurs principaux de l’article. Dans sa doctrine, le Conseil de la presse a toujours insisté sur la nécessité d’une information complète. Les médias devraient, dans l’intérêt de la présentation objective d’une information, refléter l’ensemble des éléments constituant une actualité et jouer ainsi une fonction d’articulation. En prenant la peine de demander l’avis de la BCGe, le journaliste aurait couru le risque d’affaiblir son article, car la banque aurait à coup sûr démenti les spéculations qu’il contient. Le Conseil de la presse estime qu’une telle approche professionnelle volontairement sectorielle contrevient au chiffre 3 de la Déclaration des devoirs. De plus, le journaliste qui omet d’entendre une parti et de rendre compte de son opinion prend le risque de contrevenir aux dispositions de la loi contre la concurrence déloyale, particulièrement sensible dans le domaine économique.

6. A la suite de la demande de la BCGe de publier une explication dans la rubrique Courrier des lecteurs, la TG a immédiatement donné son accord. Il va de soi que l’impact d’une lettre de lecteur n’a pas le même poids qu’un article de tête de page, et le fait qu’un rédacteur en chef autorise une telle publication ne saurait justifier, après-coup, la suppression d’éléments d’information essentiels. En ce qui concerne le contenu, la forme et l’emplacement de la lettre de lecteur, la rédaction du journal doit préciser les règles du jeu et ne raccourcir un texte que dans la mesure où il attente aux lois en vigueur ou la compréhension par le public. En l’occurrence, les quelques modifications apportées par la TG à la lettre de lecteur de la BCGe n’en altèrent pas le sens.

7. L’utilisation du conditionnel dans l’article de M. Guertchakoff pose le problème de la liberté de la presse et du commentaire. En évitant de citer sa source, M. Guertchakoff prend une série de spéculations à son compte, et mobilise plusieurs modes d’expression journalistique au sein d’un seul et même article. La Déclaration des devoirs exige du journaliste qu’il défende la liberté du commentaire et de la critique, et l’indépendance de la profession. Cette contrainte ne peut déboucher sur une confusion dans l’esprit du lecteur, qui doit rester en mesure de discerner les sources de l’information, les intentions du journaliste, et les moyens que s’est donné le média pour expliquer objectivement une situation. L’abus du conditionnel ne peut aboutir qu’à une péjoration de la crédibilité d’un article et donc du média concerné.

III. Conclusions

1. En matière économique, financière, boursière et dans tous les domaines pointus, il importe de donner au public une information claire et transparente, dans la mesure où le vocabulaire, la pratique et les règles en vigueur ne sont pas toujours compréhensibles pour le plus grand nombre. Les médias ont un rôle important à jouer dans leur fonction de critique et de contrôle, plus particulièrement dans le domaine de l’économie.

2. Les médias ont le devoir de protéger leurs sources. Cette obligation ne doit pas donner lieu à l’absence d’éléments d’information essentiels à la compréhension générale d’un article. Des oublis par trop évidents peuvent laisser penser à une omission volontaire du journaliste, et donc à une atteinte au sens le plus élémentaire de l’équité.

3. L’usage du conditionnel, ajouté à l’omission de prendre l’avis de l’une des parties, porte atteinte à la crédibilité des médias en ce sens qu’il jette le discrédit sur une institution sans lui offrir d’expliquer sa version des faits et sans référence à des sources explicitées ou recoupées. La plus grande prudence doit être observée par les journalistes lorsqu’ils affirment, même conditionnellement, qu’un comportement est de nature à contrevenir à une disposition légale.