I. En fait
A. Le 27 novembre 2014, X. saisit le Conseil suisse de la presse à l’encontre de «L’Express» et de «L’Impartial». En effet, ces deux quotidiens publient quotidiennement une sélection des commentaires postés sur leur forum Internet «Arcinfo», ces commentaires étant en majorité signés de pseudos. Et cela à côté des lettres de lecteurs, qui elles sont signées. «Ce journal permet donc à quelques internautes de diffuser des horreurs intellectuelles dans la presse écrite sans dévoiler leur identité», estime le plaignant. Il cite en exemple une contribution anonyme d’un médecin-cadre à propos du débat hospitalier qui agite la République, contenant «des informations confidentielles et polémiques». Cette technique du «transmédia», visant à prolonger une information sur plusieurs supports, telle que pratiquée par les quotidiens neuchâtelois, contreviendrait à plusieurs chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). Soit son préambule, les chiffres 3 (mention des sources), 5 (courrier des lecteurs et commentaires en ligne), 6 (secret rédactionnel), 7 (s’interdire les accusations anonymes et gratuites) et 10 (indépendance vis-à-vis des annonceurs).
B. Le 20 février 2015, le rédacteur en chef des deux quotidiens, Nicolas Willemin, prend position. Il fait valoir que les commentaires en questions «ne sont pas formellement anonymes puisque les identités des intervenants sont connues, la rédaction des commentaires étant réservée aux personnes inscrites sur notre site». Le site, souligne-t-il, dispose donc de données personnelles plus détaillées que ce n’est le cas pour les auteurs du courrier des lecteurs. Il relève que «la quasi-norme sur Internet prévoit l’utilisation d’un pseudo pour réagir à un article». Le même principe est appliqué dans la version print par souci de cohérence, «tout en veillant à ne reprendre que les messages les plus pertinents, les mieux élaborés et qui apportent une valeur ajoutée au débat». Le rédacteur en chef réfute donc avec vigueur l’accusation du plaignant selon laquelle les messages repris auraient pour but «de cracher du venin, salir le débat, répandre des rumeurs». Il fait remarquer en particulier que le plaignant ne cite aucun exemple d’accusation anonyme et gratuite. D’ailleurs, les contributions au forum d’«Arcinfo» sont filtrées avant d’être mis en ligne, donc pré modérées.
C. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
D. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 7 septembre 2015 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Le Conseil de la presse estime tout d’abord que la plupart des points évoqués dans la plainte ne sont pas étayés ou pas pertinents. Il ne traitera donc ni du préambule, ni des chiffres 3, 6, 7 et 10 de la «Déclaration».
2. La question centrale soulevée par le plaignant – le caractère anonyme des commentaires publiés – relève du chiffre 5 de la «Déclaration». Or la directive 5.3 relative à la «Déclaration», issue de la prise de position 52/2011, est très claire à cet égard: «Les lettres de lecteurs et les commentaires en ligne doivent en principe être signés par leurs auteurs. Ils ne peuvent être publiées anonymement que par exception, par exemple pour sauvegarder des intérêts dignes de protection (sphère privée, protection des sources).» Une seule exception est tolérée: «Lors de forums de discussion en ligne basés sur des réactions spontanées immédiates, on peut exceptionnellement renoncer à demander aux auteurs de s’identifier, pour autant que la rédaction modère les commentaires a priori afin d’éviter la publication de commentaires diffamatoires ou discriminatoires des devoirs et des droits.»
Manifestement, cette exception ne concerne pas tous les commentaires publiés sous pseudo dans «L’Express» et «L’Impartial». Certes, ils sont pré modérés, comme le relève le rédacteur en chef, ce qui évite en principe les insultes et autres dérapages. Mais pour le Conseil de la presse, si les pseudos sont en effet très en usage sur Internet, ils ne doivent pas l’être sur les sites des médias. Que la rédaction sache qui se cache derrière un pseudo est à saluer mais ne contribue pas à la transparence. Ces commentaires en effet alimentent le débat public et le lecteur est en droit de connaître leurs auteurs pour mieux apprécier leur pertinence. La pratique de «L’Express» et de «L’Impartial» contrevient donc au chiffre 5 de la «Déclaration».
III. Conclusions
1. La plainte est acceptée dans son point principal.
2. En publiant des commentaires sous pseudo sans qu’il y ait nécessité de protéger leurs auteurs, «L’Express» et «L’Impartial» violent l’article 5 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».