Nr. 35/2004
Audition lors de reproches graves

(X. SA c. «L'Hebdo») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 6 août 2004

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I. En fait

A. Le 23 octobre 2003 «L’Hebdo» à publié un bref article signée par Antoine Menuisier sous le titre «Terrorisme/La Suisse devant le sénat américain/Al Qaida». L’article traitait du témoignage du Français Jean-Charles Brisard – mandataire des familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 et coauteur du livre «Ben Laden: la vérité interdite (2002) opinion» – devant le sénat américain. «Sa déclaration, dont ÐL’Hebdoð a obtenu copie, (…) montre comment la famille royale d’Arabie saoudite a financé et, par conséquent soutenu la préparation d’actes terroristes commis par le réseau Al Qaida. Et comment, d’une certaine manière elle le soutient encore. La Suisse, (…) est à nouveau citée en tant qu’hôte d’une institution financière saoudienne, X. (…) Installée à Genève, X. est elle-même liée à la banque Y., sise à Genève également, où ont été saisis des comptes qui auraient financé Al Qaida. (…) Brisard rappelle que la famille des Z., en faisant affaire avec le ÐDiableð si proche d’elle croyait garantir la paix en son royaume.»

B. Le 19 novembre 2003, X. SA, par la voie d’un avocat, s’est adressée au Conseil suisse de la presse pour se plaindre de ce que «malgré la gravité des allégations dans l’article du 23 octobre 2003 et des conséquences de ces allégations, l’auteur de l’article n’aurait pas jugé nécessaire d’entendre la plaignante avant publication (chiffre 3.8 des directives relatives à la «Déclaration du / de la journaliste»).

C. Dans une prise de position datée du 8 mars 2004 la rédaction de «l’Hebdo», également représentée par un avocat, soutient que la plainte est dénuée de fondement. L’auteur n’aurait que fidèlement reproduit un débat public soit l’audition de Jean-Charles Brisard devant le sénat américain. «Ainsi, dans la mesure où les disposition légales applicables ne permettent ni de sanctionner, ni même d’octroyer un droit de réponse, les droit et devoirs du journaliste ne sauraient lui imposer de prendre contact avec la personne qui se trouve être concernée par l’article en cause.» En outre elle indique qu’elle a publié une réponse de la plaignante dans «L’Hebdo» 47/2003 du 20 novembre 2003.

D. Conformément à l’art.10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui de toute façon paraissent d’une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse composée de Peter Studer (président), Sylvie Arsever et Esther Diener-Morscher (vice-présidentes) a liquidé la présente prise de position le 6 août 2004 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La plaignante estime qu’il y a violation du principe «audiatur et altera pars». La Directive 3.8 (audition lors de reproches graves) stipule qu’en vertu du principe d’équité (fairness) et du principe éthique général consistant à entendre les deux parties dans un conflit, les journalistes ont pour devoir d’entendre avant publication une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article ou la même émission. Dans l’article incriminé, ni X. SA ni la famille royale d’Arabie saoudite ne sont cités.

2. L’article de «l’Hebdo» du 23 octobre 2004 ne fait pas de reproches directs à la plaignante. En revanche, il ressort du reproche fait à la famille Royale saoudite d’avoir soutenu Al Qaida, voire de toujours soutenir ce réseau terroriste, lié à l’information selon laquelle X. serait dirigée par un prince de la famille Saoud, un soupçon quant aux liens possibles de la plaignante avec Al Qaida, soupçon renforcé par la précision que X. est liée à une banque saoudienne «où ont été saisis des comptes qui auraient financé Al Qaida». Un tel reproche peut être qualifié de grave au sens de la directive 3.8. La plaignante aurait donc dû en principe être interpellée avant la publication de l’article.

3. «L’Hebdo» invoque qu’exceptionnellement la directive 3.8 ne serait pas applicable s’agissant d’un compte rendu d’une témoignage public. Le Conseil suisse de la presse s’est prononcé jusqu’alors dans deux prise de positions sur la question d’accusations diffusées publiquement, de la transmission directe lors de conférences de presse etc. Dans la prise de position 7/99 il a souligné que les circonstances dans lesquelles l’identité d’un coupable présumé a été dévoilée (par exemple lors d’une conférence de presse suivie en direct par la télévision) peuvent être de nature à rendre vaine toute réserve concernant la révélation d’une identité. Néanmoins, dans la prise de position 20/99 le Conseil précise que les médias qui rendent compte de conférences de presse ont l’obligation d’attirer à tout le moins l’attention sur une interprétation divergente de la part de tiers, lorsque ceux-ci font l’objet de graves accusations formulées pendant la conférence, à moins que cette interprétation ne soit de toute façon déjà connue du public.

Dans le cas concret, les accusations litigieuses n’ont pas été diffusées lors d’une conférence de presse mais de débats publics d’une autorité – le Sénat américain – Le code pénal suisse prévoit que l’auteur d’un compte rendu fidèle des débats d’une autorité n’encourt aucune peine si les propos rapportés sont attentatoires à l’honneur. A supposer qu’elle doive influencer la réflexion déontologique, cette exception n’éclaire pas le cas précis. En effet, «L’Hebdo» n’a pas rendu compte de l’ensemble des débats – contradictoires – devant le Sénat. Il s’est borné à en extraire un témoignage à charge pour la plaignante. Dans ces conditions, seule se justifie l’analogie avec une conférence de presse, puisque le public avait, par l’internet, un accès direct au contenu des reproches unilatéraux de Jean-Charles Brisard. Dans ces conditions, «L’Hebdo» était fondé à faire état de ces accusations. Mais il conservait le devoir déontologique d’entendre les personnes concernées par ces reproches graves, sous réserve du cas, non allégué par «L’Hebdo», où ces reproches auraient été largement connus du lectorat. En outre, si l’on compare la témoignage écrit de Jean-Charles Brisard avec l’article contesté de «l’Hebdo» on constate que l’article est focalisé beaucoup plus sur les rapports allégués entre Al Qaida, la Suisse, la famille royale d’Arabie saoudite et la plaignante que le texte de Jean-Charles Brisard qui traite plus globalement du financement du terrorisme international et du réseau Al Qaida. Dans ces circonstances, il aurait été raisonnable de contacter la plaignante avant la publication et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article.

4. Finalement le Conseil suisse de la presse constate que l’interprétation des normes de droit ne relève pas de sa compétence. Mais même si l’obligation de recueillir le point de vue de la plaignante ne découlait pas des normes de droit (p.ex. les Art. 28g ss. du Code Civil Suisse ou l’art. 27 alinéa 4 du Code pénal Suisse), on ne pourrait pas en déduire qu’une telle obligation devrait être niée au regard de l’éthique journalistique, dont les exigences peuvent excéder celles du droit.

III. Conclusion

La plainte est admise.