I. En fait
A. Le mardi 20 février 2024, «20 minutes online» publie un article intitulé «Quinze minutes mystérieuses, maîtrisées à la perfection». L’article veut explorer l’origine et la signification de l’expression «le quart d’heure vaudois», utilisée pour décrire un retard habituel de quinze minutes des Vaudois. Une vidéo humoristique illustre le concept: une femme arrive en retard à une réunion et devant la porte prend une gorgée d’une canette de Red Bull. Par la suite elle explique les origines historiques et le concept de ce «quart d’heure vaudois». Au cours de la vidéo, on comprend d’où venait la boisson: la protagoniste a rencontré une collaboratrice qui a la canette de Red Bull devant elle et la lui a enlevé. A la fin de la vidéo, les informations de production s’affichent pendant trois secondes: dans le quart inférieur de l’écran, on peut lire «sponsorisé par» avec un logo de Red Bull. Dans un encadré à la fin du texte, les lecteurs sont appelés à nommer leur héros via un lien externe. Ce lien mène au site web de la marque de boissons Red Bull.
B. Le 25 février 2024, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Il est d’avis que l’article viole le chiffre 10 (publicité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). Selon lui la présentation du texte correspond à n’importe quel autre article sur «20 minutes online», alors qu’il s’agit clairement d’un contenu publicitaire. La seule indication qu’il ne s’agit pas d’un article rédactionnel, mais d’une publicité payée, se trouve à la fin de la vidéo. Il estime que cela n’est pas suffisant pour remplir les conditions du chiffre 10 de la «Déclaration» qui interdit la confusion du métier de journaliste avec celui de publicitaire.
C. Le 13 mai 2024, Philippe Favre, rédacteur en chef, prend position au nom de «20 minutes» et demande que le Conseil de la presse n’entre pas en matière, ou subsidiairement que la plainte soit rejetée. Le chiffre 10 et la directive 10.2 de la «Déclaration» qui s’y rapporte ont pour but, avance-t-il, «d’assurer la crédibilité journalistique [et de] respecter les lectrices et lecteurs en désignant clairement leurs contenus». Le nom du parrain – Red Bull – serait en l’occurrence clairement signalé, tant à la lecture de l’article qu’au visionnage de la vidéo: avec un encadré bleu, qui redirige le lecteur ou la lectrice vers le site de Red Bull et avec l’indication du sponsoring à la fin de la vidéo. En outre, la journaliste avait la liberté de traitre le contenu humoristique de manière totalement libre. Enfin, il ne s’agissait pas d’alimenter un débat d’intérêt public important.
D. Le 29 mai 2024, le Conseil de la presse informe les parties que la plainte sera traitée par la présidence du Conseil.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président) et Ursina Wey (directrice), a traité la plainte le 23 octobre 2024 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Le chiffre 10 de la «Déclaration» (publicité) interdit de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire. La directive correspondante 10.1 (séparation entre partie rédactionnelle et publicité) précise: une nette séparation entre la partie rédactionnelle et la publicité ainsi qu’avec tout contenu payé ou fourni par des tiers est impérative pour la crédibilité des médias. Les annonces, émissions publicitaires et contenus payés ou fournis par des tiers doivent se distinguer de façon claire et visible des contributions rédactionnelles. Dans la mesure où elles ne peuvent être reconnues optiquement/acoustiquement de façon univoque en tant que telles, elles doivent être désignées explicitement comme de la publicité. Les journalistes s’abstiennent de transgresser cette séparation en intégrant de la publicité clandestine dans leurs articles ou émissions.
Selon la pratique du Conseil de la presse un contenu commandé et payé par des tiers doit donc se distinguer clairement du contenu rédactionnel. S’il ne se distingue pas graphiquement, il doit être indiqué comme de la publicité (prises de position 67/2019, 4/2019, 29/2019). Offrir des prestations rédactionnelles et de l’espace publicitaire contre paiement constitue un véritable danger pour la crédibilité du journalisme. Notamment si de telles offres laissent entrevoir aux dirigeants d’entreprises la possibilité de «s’acheter» des couvertures de magazine et des interviews de complaisance (prise de position 32/2015).
2. La seule référence à Red Bull dans l’article est le lien dans l’encadré bleu – pour l’identification de la publicité et du sponsoring, c’est manifestement insuffisant. En outre le terme «sponsor» n’apparaît nulle part dans l’article ni dans l’encadré. La mention à la fin de la vidéo n’est pas pertinente: le consommateur moyen doit disposer de ces informations avant de cliquer sur la vidéo, faute de quoi le message s’avère trompeur.
3. Le mandat donné à la journaliste de produire une vidéo publicitaire viole clairement la disposition du chiffre 10: qu’elle soit potentiellement libre de décider du contenu ou non n’a aucune importance: elle confond son métier avec celui d’une publicitaire.
4. Pour le Conseil de la presse, le lecteur moyen ne peut ainsi pas reconnaître qu’il s’agit d’un contenu payé. Le chiffre 10 de la «Déclaration» est donc violé.
III. Conclusions
1. Le Conseil suisse de la presse admet la plainte.
2. En publiant l’article intitulé «Quinze minutes mystérieuses, maîtrisées à la perfection» «20 minutes onlines» généré une ambigüité entre contenu rédactionnel et publicitaire pouvant induire le lecteur en erreur. Il a donc contrevenu au chiffre 10 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (séparation de la publicité et de l’information)