Nr. 2/2021
Identification / Présomption d’innocence

(X. c. «gothamcity.ch»)

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I. En fait

A. Le 23 mai 2019, «gothamcity.ch» publie un article intitulé «Corruption en Angola: deux financiers genevois inculpés par la justice espagnole». La Suisse, affirme la newsletter, «a joué un rôle clé dans la mise en place du système de blanchiment ayant permis d’acheminer les pots-de-vin de l’entreprise d’armement publique espagnole à destination des autorités angolaises». L’article identifie notamment deux intermédiaires suisses, «accusés de détournements de fonds, blanchiment et de faux dans les titres».

Le lendemain 24 mai, «gothamcity.ch» reprend l’article en y ajoutant une prise de position de l’un des deux intermédiaires cités, X., qui assure notamment: «Je n’ai jamais joué de rôle actif dans toute cette affaire. Je suis victime d’un abus par des accusations qui, j’en suis sûr, ne sauraient tenir devant les tribunaux.» L’article précise que l’intéressé avait été contacté avant la première parution, mais qu’il n’avait pas donné suite à ces messages.

B. Le 6 août 2019, représenté par un avocat, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Le plaignant «estime qu’en publiant l’article en question, mais surtout en y faisant figurer, par six fois, son nom et son prénom, sans les anonymiser, ‹gothamcity.ch› a contrevenu au chiffre 7 (protection de la vie privée / identification / présomption d’innocence), de la ‹Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste›» (ci-après «Déclaration»). A propos de la directive 7.2 relative à la «Déclaration», le plaignant fait valoir qu’il n’a pas donné son accord à cette publication, qu’il ne jouit pas d’une grande notoriété, qu’il n’y a ni risque de confusion ni intérêt public prépondérant. Quant à l’acte d’accusation, il ne saurait être considéré comme public, puisqu’il n’a été notifié qu’aux personnes concernées, les prévenus et les plaignants.

C. Le 30 septembre 2019, François Pilet prend position au nom de «gothamcity.ch». Il fait tout d’abord valoir que le plaignant l’avait «vivement remercié» après publication de sa prise de position, ce qui reviendrait à donner son accord à la publication de son nom. D’ailleurs, poursuit François Pilet, le plaignant n’est plus entré en contact avec la rédaction jusqu’à la reprise de l’article par Swissinfo le 7 juin 2019.
Par ailleurs, «gothamcity.ch» précise qu’il a reçu la plainte en tant que média accrédité auprès de l’Audiencia Nacional espagnol. La newsletter fait enfin valoir qu’au moment des faits rapportés, le plaignant «occupait une fonction dirigeante au sein de l’Association romande des Intermédiaires Financiers (Arif), délégataire d’une tâche publique pour la prévention et la lutte contre le blanchiment, comme indiqué sur son site Internet. «gothamcity.ch» estime donc que son identification était admissible, puisque la personne «exerce un mandat politique ou une fonction dirigeante étatique ou sociale et que la relation médiatique s’y rapporte» (directive 7.2 relative à la «Déclaration»).

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg et Max Trossmann (vice-présidents), a traité la présente prise de position le 15 février 2021 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Pour l’essentiel, la plainte pose la question de la licéité de l’identification du plaignant dans l’article de «gothamcity.ch». Or même si l’on pourrait considérer que le plaignant n’a pas donné formellement son accord à cette publication, force est de reconnaître qu’il n’a pas d’emblée contesté cette identification. Mais surtout, l’argument avancé par le média quant à la fonction dirigeante ou sociale du plaignant au sein de l’Arif est décisif aux yeux du Conseil de la presse. Quant à la fréquence de la mention du nom dans l’article, elle ne saurait à elle seule représenter une violation du chiffre 7 de la «Déclaration».

2. Pour ce qui de la violation alléguée de la présomption d’innocence, elle ne résiste pas à l’examen. D’une part il est clairement question d’un acte d’accusation, et donc d’une affaire pas encore jugée. D’autre part «gothamcity.ch» a publié les dénégations du plaignant dans les meilleurs délais.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article intitulé «Corruption en Angola: deux financiers genevois inculpés par la justice espagnole» «gothamcity.ch» n’a pas violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».