Nr. 18/2025
Recherche de la vérité / Audition lors de reproches graves / Devoir de rectification

(X. c. «Léman Bleu»)

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Zusammenfassung

Der lokale Fernsehsender «Léman Bleu» strahlte einen Bericht über eine Auseinandersetzung zwischen einem Spaziergänger und einem Politiker auf dessen landwirtschaftlichem Grundstück im Kanton Genf. Der Grossrat und Präsident der Kantonalsektion seiner Partei war vom Gericht zu einer Bewährungsstrafe verurteilt worden, unter anderem wegen einfacher Körperverletzung.
Im Bericht schilderte er ausführlich seine Version der Ereignisse. Der Spaziergänger, den der Landwirt mit der Mistgabel am Kopf und an der Hand verletzt hatte, hingegen nicht. Empört darüber verlangte der Spaziergänger eine Richtigstellung, was der Fernsehsender aber ablehnte.
Der Schweizer Presserat hiess die darauffolgende Beschwerde gut. Indem der Sender nur einen einzigen Standpunkt wiedergab, hat «Léman Bleu», das Gebot der Wahrheitssuche nicht genügend erfüllt hat. Es hätten alle verfügbaren und zugänglichen Daten beachtet werden müssen – in diesem Fall stammten sie vom anderen Teilnehmer der Auseinandersetzung stammten. Weil der Landwirt auch Punkte ansprach, die im Urteil nicht entschieden wurden, genügte das zitieren aus dem Urteil alleine nicht. Die Pflichten zur Anhörung bei schweren Vorwürfen und zur Richtigstellung hat «Léman Bleu» aber nicht verletzt.

Résumé

La chaîne de télévision locale «Léman Bleu» a diffusé un reportage sur une altercation survenue entre un promeneur et un homme politique, sur la propriété agricole de ce dernier située dans la campagne genevoise. Ce député au Grand Conseil, par ailleurs président de la section cantonale de son parti, a été condamné par la justice à une peine avec sursis, notamment pour lésions corporelles simples.
Dans le reportage, il a pu revenir en détail sur les événements en donnant sa propre version des faits. Blessé à la tête et à la main par la fourche de l’agriculteur, le promeneur, outré de n’avoir pas pu s’exprimer dans le reportage, a contesté la version adverse, mais la chaîne de télévision a refusé sa demande de rectificatif.
Saisi, le Conseil suisse de la presse a accepté la plainte et il conclut au fait que «Léman Bleu», en ne donnant qu’un seul point de vue, n’a pas recherché la vérité, qui est au fondement de l’acte d’informer. Cela supposait la prise en compte des données disponibles et accessibles, en l’occurrence en provenance de l’autre protagoniste. Le Conseil a considéré que le média a fauté, malgré l’existence d’une source officielle (le jugement), car l’agriculteur abordait aussi des points non tranchés par le jugement.
En revanche, ce média n’a pas violé ses devoirs en matière d’audition en cas de reproche grave et de rectification.

Riassunto

Il canale televisivo locale «Léman Bleu» ha trasmesso un reportage su un alterco tra un escursionista e un politico, avvenuto nella proprietà agricola di quest’ultimo, situata nella campagna ginevrina. Questo membro del Gran Consiglio, che è anche presidente della sezione cantonale del suo partito, è stato condannato a una sospensione condizionale della pena, in particolare per lesioni semplici. Nel servizio, il politico e agricoltore ha potuto ripercorrere gli aventi in dettaglio e fornire la propria versione dei fatti. L’escursionista, ferito alla testa e alla mano dal forcone del contadino, indignato per non essere stato interpellato nel reportage, ha contestato la versione della controparte, ma il canale televisivo ha rifiutato la sua richiesta di rettifica. Il reclamo è stato sottoposto al vaglio del Consiglio svizzero della stampa, che lo ha accolto e ha concluso che «Léman Bleu», fornendo un solo punto di vista, non ha ricercato a sufficienza la verità, violando così la cifra 1 della «Dichiarazione». Si sarebbe dovuto tener conto di tutti i dati disponibili e accessibili, nello specifico le informazioni provenienti dall’altro protagonista. Il Consiglio della stampa ritiene che il media abbia commesso un errore: nonostante l’esistenza di una fonte ufficiale, l’agricoltore ha affrontato anche aspetti non toccati dalla sentenza. Per contro, il media non ha violato il suo dovere in materia di ascolto in caso di gravi addebiti e di rettifica.

I. En Fait

A. Le 16 janvier 2024, «Léman Bleu» diffuse un reportage de son journaliste Gilles Miélot, sous la forme d’une vidéo de 2 minutes et demie accompagnée sur le site internet d’un texte (résumé). Son titre: «Lionel Dugerdil condamné avec sursis après une altercation avec un promeneur». La chaîne de télévision locale y revient sur une information dévoilée le 13 janvier 2024 par «Blick.ch», faisant état d’une condamnation à des jours-amende avec sursis de M. Lionel Dugerdil, agriculteur, président de l’UDC Genève et député au Grand Conseil de ce canton. Ce jugement, qui est entré en force, fait suite à une altercation en mai 2020 avec un promeneur sur la propriété agricole de l’homme politique. «Léman Bleu» donne largement la parole à M. Dugerdil, déclaré coupable de lésions corporelles simples et dommages à la propriété d’importance mineure. Il convient de relever que ce dernier n’a pas répondu aux sollicitations de «Blick.ch» et n’intervient donc pas dans l’article du 13 janvier.

B. En date du 22 janvier 2024, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Cet homme, le promeneur impliqué et blessé à la tête et à la main par le manche de la fourche de l’agriculteur, a contesté la version des faits présentée par «Léman Bleu» et a demandé une rectification, qui lui a été refusée. D’après lui, ce reportage contrevient à plusieurs chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»).

Le plaignant accuse «Léman Bleu» de ne pas avoir respecté le chiffre 1 (recherche de la vérité) et le chiffre 3 (sous l’angle de la directive 3.8, audition lors de reproches graves) de la «Déclaration» en ayant donné uniquement la version des faits de M. Dugerdil et en ne lui donnant pas la parole malgré les principes en vigueur dans le journalisme d’équité (fairness) ainsi qu’«audiatur et altera pars».

Le média se voit en outre reprocher d’avoir refusé sa demande de rectificatif (chiffre 5 de la «Déclaration» – devoir de rectification, et directive 5.1).

C. Par la voix du journaliste mis en cause et de son rédacteur en chef, Jérémy Seydoux, «Léman Bleu» prend position le 29 avril 2024 et juge infondés les griefs du plaignant. La chaîne estime n’avoir violé en rien la «Déclaration». En se fondant sur le jugement du 10 mars 2022 rendu par le Tribunal de police, qu’elle produit en annexe, la chaîne prétend avoir rapporté des faits exacts en prenant en compte toutes les données disponibles.

Il s’agissait, ajoute-t-elle, non pas de confronter les points de vue des deux personnes impliquées, mais de faire réagir un homme politique genevois à sa condamnation judiciaire. Selon «Léman Bleu», le plaignant souhaitait en réalité pouvoir donner sa propre version des faits, comme dans l’article de «Blick.ch», y compris là où elle diverge du jugement.

D’après la prise de position, le plaignant se plaint que la justice ait admis la légitime défense de M. Dugerdil, toutefois excessive selon le jugement, mais il n’a pas recouru contre ce verdict. Il n’a pas demandé non plus de droit de réponse vu que, selon la chaîne, «de toutes évidences les conditions juridiques n’étaient pas réalisées».

De plus, avance-t-elle, il n’y a pas d’obligation d’entendre une personne concernée lorsque le contenu rédactionnel se fonde sur un document officiel public, notamment une décision de justice. A l’appui de sa position, la chaîne fait mention de décisions du Conseil (en particulier 41/2023 et 25/2013).

D. La présidence confie la plainte à la 2e chambre du Conseil suisse de la presse, composée d’Annik Dubied (présidente), Madeleine Baumann, Joëlle Fabre, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan et Anne-Frédérique Widmann.

E. La 2e chambre du Conseil de la presse traite la plainte lors de sa séance du 7 mars 2025 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le chiffre 1 de la «Déclaration» prescrit le devoir de rechercher la vérité, qui est au fondement de l’acte d’informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles. Si «Léman Bleu» dit s’appuyer sur le jugement de police entré en force, son reportage donne avant tout la parole à M. Dugerdil, qui fournit des explications qui ne sont pas toutes retenues par le jugement.

La chaîne se défend en arguant qu’il s’agissait de faire réagir un homme politique à sa condamnation. Pourtant, l’angle journalistique choisi ne porte pas, par exemple, sur les conséquences d’un tel verdict sur la carrière de cet élu du peuple, mais uniquement sur le déroulement précis de l’altercation selon la seule version de M. Dugerdil. Or, les versions des deux protagonistes étant divergentes sur plusieurs points, non tranchés pour certains par la justice, le reportage laisse l’agriculteur décrire le plaignant comme menaçant et affirmer, par exemple, qu’il mesurait 210 cm.

Contrairement à ce qu’affirme la chaîne, elle n’a pas résumé la version du plaignant, mais elle a expliqué en une courte phrase la raison de son déplacement en direction du véhicule de l’agriculteur pour prendre en photo la plaque d’immatriculation.

Vu ce qui précède, le travail journalistique de recherche de la vérité imposait en pareil cas de donner aussi le point de vue du promeneur sur le déroulement de cette altercation. En présence de la seule version de l’un des deux protagonistes, le Conseil suisse de la presse conclut à une violation du devoir de rechercher la vérité au sens de l’article 1 de la «Déclaration».

2. Il s’agit maintenant d’examiner si le plaignant fait face à des reproches graves dans la relation médiatique querellée et s’il devait pouvoir y répondre au sens de la directive 3.8: «Les reproches sont considérés comme graves lorsqu’ils font état de comportements gravement répréhensibles ou sont susceptibles de nuire sévèrement à la réputation de quelqu’un.»

Dans le reportage, le plaignant est décrit comme une personne irrespectueuse et menaçante, à tel point que M. Dugerdil déclare au journaliste: «Je défends mon fils qui est derrière moi, mes bêtes qui sont là et ma propriété privée, moi je considère que j’ai protégé ma famille.» On peut donc considérer qu’il s’agit de reproches graves.

En revanche, il convient de relever, et ce même si «Léman Bleu» n’en fait pas état, que le plaignant n’est pas nommé dans le reportage. Décrit comme un grand Finlandais, promeneur de chien, de la région de Satigny (GE), il n’est pas identifiable par des tiers n’appartenant pas à «l’entourage familial, social ou professionnel, et qui donc sont informés exclusivement par les médias», selon les termes de la directive 7.2. Faute d’être reconnaissable au-delà de ce cercle, l’intéressé ne peut risquer une atteinte sévère à sa réputation ni se voir accusé par des inconnus d’un comportement gravement répréhensible.

Le Conseil suisse de la presse, malgré l’angle non contradictoire de ce reportage, constate par conséquent que le chiffre 3 au sens de la directive 3.8 n’a pas été violé par «Léman Bleu».

3. S’agissant du devoir de rectification (chiffre 5), il oblige les professionnels des médias à «rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte». Il est même «mis en œuvre spontanément par les journalistes», car ce devoir «participe à la recherche de la vérité» (directive 5.1 – rectification).

Dans sa pratique toutefois (notamment 60/2011), le Conseil de la presse juge disproportionné d’exiger une rectification pour toute imprécision. La faute commise, selon le principe de proportionnalité, doit donc avoir une certaine importance.

Force est de constater que les informations diffusées par le journaliste ne comportent pas d’erreurs factuelles. Seuls certains propos de l’agriculteur ne sont pas vérifiables ou, pour un point en particulier, exagérés en ce qui concerne la taille du plaignant, présenté comme «un colosse de 2 m 10» alors qu’il dit mesurer 188 cm.

Le Conseil suisse de la presse considère que l’obligation de rectifier, sur ce seul point, ne s’imposait pas et qu’à tout le moins, cela n’a pas le poids d’une violation du chiffre 5 de la «Déclaration».

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En diffusant le reportage télévisé du 16 janvier 2024 sur l’altercation entre le président de l’UDC Genève et un promeneur, «Léman Bleu» a contrevenu au chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. La plainte est rejetée en ce qui concerne les chiffres 3 (audition lors de reproches graves) et 5 (rectification).