Nr. 61/2021
Recherche de la vérité / Dénaturation d’un document

(Rise Up for Change c. RTS)

Drucken

I. En fait

A. Le 21 septembre 2020, des activistes de Rise Up for Change occupent la place fédérale à Berne. Cette occupation s’étend sur plusieurs jours, elle est donc suivie par les différentes éditions du journal de la RTS.

Dans le 19h30 du 22 septembre, les propos suivants sont tenus en ouverture du reportage: «Ces activistes ont le soutien de centaines de militants qui occupent la place fédérale depuis hier. Les autorités bernoises leur donnaient jusqu’à 19 heures ce soir pour évacuer les lieux, ils n’en ont pas tenu compte, ils se trouvent toujours sur cette place fédérale.» Ce texte est illustré par des images d’une manifestation de migrants tenue le même jour, violemment réprimée elle, dans un autre lieu de la capitale.

Dans la même édition du 19h30, la RTS développe un sujet intitulé «La place fédérale, théâtre de grands moments dans l’histoire politique suisse», qui rappelle que cette place a été au cœur de plusieurs mouvements sociaux qui ont agité la démocratie helvétique.

B. Le 8 octobre 2020, «Rise Up for Change», qui regroupe plusieurs mouvements luttant contre le changement climatique, saisit le Conseil suisse de la presse. L’organisation se plaint d’une couverture partielle et anecdotique de la part de RTS de l’occupation de la place fédérale, estimant en particulier que l’édition du 19h30 du 22 septembre a violé le devoir de rechercher la vérité d’une part (chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste», ci-après «Déclaration»), le chiffre 3 de la même «Déclaration» d’autre part («ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels; ne dénaturer aucun texte, document, image»).

Tout d’abord, la plaignante stigmatise le fait que le texte introductif à l’occupation de la place fédérale a été illustré par des images provenant d’une autre manifestation, réprimée violemment, ailleurs dans la capitale.
Ensuite la plaignante déplore que cette édition du téléjournal n’ait fait aucune mention de l’aspect pacifique de l’occupation, par exemple le fait que des parlementaires sont venus discuter avec les manifestants, que ces derniers ont racheté les invendus des stands du marché et nettoyé la place fédérale. Bref, «l’information télévisuelle ne mentionne à aucun moment les organisations présentes, leurs revendications, leur non-violence». Au contraire, la RTS développe l’histoire des manifestations sur la place fédérale, certaines d’entre elles avec des scènes de violence impressionnantes.

C. Le 18 décembre 2020, la RTS prend position sous la plume de Béatrice Jéquier, adjointe à la Direction du dépt Actualité et Sport, et Anaïs Fontaine, juriste. La RTS fait tout d’abord valoir sa couverture de l’événement sur plusieurs jours, dans des émissions différentes, et avec des angles variés.

Concernant les images couvrant le texte introductif au sujet concernant l’occupation de la place fédérale, la RTS admet que ces images étaient bien celles d’une autre manifestation. «Il s’agit d’une erreur qui n’avait pas été identifiée lors de la diffusion et qui a été rectifiée dès la prise de connaissance de la plainte par la rédaction.» Pour des raisons techniques, les images ne pouvaient être supprimées, elles ont donc été floutées. Au vu de cette rectification, la RTS estime qu’une violation du chiffre 3 de la «Déclaration» ne peut pas lui être imputée.

Pour ce qui est du reproche de la plaignante que l’aspect pacifique de la manifestation n’a été aucunement traité dans le 19h30 du 22 septembre, la RTS rappelle «que les rédactions sont libres de choisir les informations qu’elles publient et l’angle rédactionnel de leurs sujets». Elle fait aussi valoir que l’occupation été couverte pendant toute la semaine sous des angles différents – y compris celui des motivations des manifestants et du caractère pacifique de leur mouvement.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg (vice-président) et Max Trossmann (vice-président), puis de Susan Boos, présidente, Max Trossmann et Annik Dubied, vice-présidents, a traité la présente prise de position le 24 août 2021 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse prend acte de la correction apportées par la RTS aux images mensongères du 19h30 du 22 septembre dès qu’elle en a eu connaissance. Mais si ces mesures correctrices pourraient justifier une non entrée en matière sur une plainte dans des occurrences de peu d’importance, elles ne suffisent pas dans le cas présent à exonérer la RTS. L’erreur en effet a été grossière, puisqu’elle imputait à l’occupation de la place fédérale une violence non conforme à la vérité. Le Conseil de la presse constate donc une violation du chiffre 3 de la «Déclaration».

2. Concernant en revanche le contenu du 19h30 du 22 septembre, le Conseil de la presse rejette la plainte. Comme la RTS le fait valoir, les rédactions sont libres de choisir la manière dont elles couvrent des événements.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement acceptée.

2. En diffusant à propos de l’occupation de la place fédérale des images de violences illustrant la répression d’une autre manifestation, la RTS a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».