Nr. 37/2023
Vérité / Liberté du commentaire / Rectification

(X. c. «Le Temps»)

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I. En fait

A. Le 19 mai 2022 «Le Temps» publie dans la rubrique «Hyperlien» un article intitulé «Avortement, euthanasie: pour clarifier une polémique née d’un blog hébergé par ‹Le Temps›». Dans ce blog un commentaire de Suzette Sandoz sur le droit à l’avortement avait suscité beaucoup de commentaires et d’émotions chez les lecteurs, auxquels le journal souhaite répondre. La rédaction précise d’abord que le commentaire de Mme Sandoz est indépendant de la rédaction, puis ajoute qu’une phrase contenue dans ce commentaire était inexacte, à savoir: «le droit à l’avortement est le droit de demander la mise à mort de l’enfant que l’on porte». En effet il ne s’agit pas d’un enfant, mais d’un embryon. Or on ne peut pas mourir si on n’était pas né. L’article de Suzette Sandoz allait – selon «Le Temps» à l’encontre de l’art. 119 du Code pénal suisse qui autorise les avortements avant la 12ème semaine et définit ainsi légalement le début de la vie. Alors que les opinions exprimées sur le blog du «Temps» sont libres, leur contenu doit néanmoins être correct. Selon la rédaction ce n’était pas le cas en l’occurrence.

B. Le 18 août 2022 X. saisit le Conseil suisse de la presse. Il fait valoir une violation du chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»). Il se heurte à la formulation suivante du «Temps»: «La charte des blogs du ‹Temps› stipule que si les opinions sont libres, les faits mentionnés dans des billets de blog doivent être exacts. Ce n’est en l’occurrence pas le cas.» Pour le plaignant cela ne correspond pas à la vérité. S’appuyant sur un ouvrage du juriste Paul-Henri Steinauer il affirme qu’un fœtus et un embryon peuvent être désignés enfants. Le plaignant voit aussi une violation du chiffre 2 (liberté du commentaire) de la «Déclaration» car «Le Temps» contredit publiquement l’opinion de Suzette Sandoz. Il accuse la rédaction de mener une politique d’information teintée d’idéologie, de désinformation et d’informations factuellement fausses – sans pour autant préciser lesquelles. Enfin il allègue une violation du chiffre 5 (rectification): il dit avoir informé la rédaction par message sur Facebook, sans que le journal ne réagisse.

C. Le 27 octobre Serge Michel, membre de la rédaction en chef, prend position au nom du «Temps» et demande la non-entrée en matière ou le rejet de la plainte. Il précise que «Le Temps» respecte la liberté d’opinion et d’expression de ses blogueurs, pour autant que ces derniers respectent les faits. L’article de Suzette Sandoz a suscité un débat intense au sein de la rédaction. Lui-même a tenté de négocier avec l’auteure, en lui soumettant plusieurs propositions de modification, dont une seule aurait été acceptée par elle – à savoir de parler de «futur enfant» au lieu d’«enfant». Plutôt que de supprimer l’article, la rédaction a décidé de publier un article rédactionnel clarifiant l’utilisation de certains termes, comme la différence entre un embryon, un fœtus et un enfant. «Le Temps» considère que les récriminations du plaignant ne portent pas sur des faits ou des éléments matériels, mais plutôt qu’ils reposent sur des présupposées idéologiques. Le plaignant ne cite qu’un seul avis juridique, sans mentionner l’art. 119 du Code pénal qui autorise les avortements. On ne peut donc pas parler de «mise à mort», comme le fait Mme Sandoz pour décrire un acte autorisé par la loi. Quant aux messages du plaignant demandant une correction, ils ne sont pas parvenus à la rédaction. D’ailleurs Facebook ne doit pas être considéré comme un mode de communication adéquat pour des messages importants.

D. Le 7 mars 2023 le Conseil de la presse informe les parties que la plainte sera traitée par la présidence du Conseil.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président) et Ursina Wey (directrice), a traité la plainte le 22 décembre 2023 par correspondance.

II. Considérants

1. Le chiffre 1 de la «Déclaration» stipule que les journalistes ont l’obligation de rechercher la vérité, du fait du droit de la connaître. En l’occurrence, le plaignant s’appuie sur l’opinion d’un seul juriste, alors que dans son commentaire, «Le Temps» se réclame de la loi. Le Conseil de la presse ne voit donc pas comment on pourrait soutenir que le journal a violé le devoir de rechercher la vérité. Le chiffre 1 de la «Déclaration» n’est donc pas violé.

2. Le chiffre 2 (liberté du commentaire) de la «Déclaration» protège la liberté de l’information, du commentaire et de la critique. La distinction entre faits et commentaire, autant que le respect des faits dans les commentaires en question sont conformes à la «Déclaration» En outre le plaignant ne précise pas ce qu’il entend quand il accuse le commentaire du «Temps» de regorger d’informations factuellement fausses. Le chiffre 2 n’est pas violé.

3. Dans la mesure où le chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration» n’est pas violé, l’obligation de rectifier tombe d’elle-même. Le chiffre 5 (rectification) de la «Déclaration» n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant dans la rubrique «Hyperlien» un article intitulé «Avortement, euthanasie: pour clarifier une polémique née d’un blog hébergé par ‹Le Temps›», les chiffres 1 (vérité), 2 (liberté de l’information) et 5 (rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» n’ont pas été violés par «Le Temps».