Nr. 2/2020
Recherche de la vérité

(X. c. «Le Temps»)

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I. En fait

A. Le 18 avril 2019, «Le Temps» met en ligne une vidéo intitulée «La culture des armes à l’épreuve de l’Europe». A un moment donné, la voix off dit: «En 2008, lorsque la Suisse entre dans l’espace Schengen, le parlement adopte de nouvelles réglementations. En résumé, tout ce qui est conçu dans le but de blesser est dès lors considéré comme une arme. Pour se déplacer avec leurs armes dans l’espace Schengen, les Suisses doivent présenter une carte justificative.» Cette dernière phrase est illustrée par une main tenant un «permis de porter une arme».

B. Le 25 avril 2019, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Selon lui, la vidéo du «Temps» viole le devoir de rechercher la vérité (chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). En effet, la loi distingue entre le port d’arme et le transport d’arme. Le «port d’arme» (à savoir porter son arme dans un lieu public) requiert un permis, alors que le «transport d’arme» (transporter son arme non chargée) ne requiert pas de permis. En entretenant une confusion entre l’illustration et le texte, le journaliste laisserait entendre que «la Suisse serait un pays où des citoyens auraient le droit de porter librement des armes chargées sur eux dans la rue! Merci à l’Europe de Schengen de venir nous sauver de ce mauvais western!» «Bien entendu, conclut le plaignant, la menace pour la sécurité publique sous-entendue dans cette vidéo tendancieuse n’existe pas: 99% des détenteurs d’armes légalement acquises n’ont que le droit de transporter leur arme, non chargée, sur le trajet de leur domicile jusqu’au stand de tir.»

C. Le 27 mai 2019, Gaël Hurlimann, co-rédacteur en chef du «Temps», prend position. Dans le contexte de la votation fédérale du 19 mai, la vidéo avait «pour but de présenter un bref panorama du commerce, de la détention et de la circulation des armes en Suisse et de l’évolution de la législation en la matière». Le co-rédacteur en chef reconnaît une imprécision dans la dénomination de la carte montrée à l’image («permis de circulation pour arme» aurait été mieux), mais il estime que les propos du journaliste sont sans équivoque. Ce dernier «se limite à la question du déplacement d’armes et de personnes – et précise que dès 2008, un document est nécessaire pour se déplacer avec une arme dans l’Espace Schengen». Gaël Hurlimann souligne qu’à aucun moment la question du «port d’arme» n’est abordée, et qu’il n’y aurait donc pas de confusion possible. Le co-rédacteur en chef rejette ainsi l’accusation du plaignant selon laquelle la vidéo induirait «les lecteurs du ‹Temps› à percevoir les lois bruxelloises non comme liberticides (sic), mais, au contraire, comme assurant leur sécurité». Implicitement, «Le Temps» demande donc le rejet de la plainte.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 24 février 2020 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Comme le co-rédacteur en chef du «Temps» l’admet, l’illustration de la vidéo disputée n’est pas adéquate. Alors qu’il est question de transporter des armes (et non de les porter sur soi), l’illustration n’aurait pas dû montrer un «permis de porter une arme».

2. Alors que pour le plaignant cette erreur induit le lecteur en erreur de manière coupable, le co-rédacteur en chef du «Temps» au contraire juge qu’il ne s’agit que d’une «imprécision» sans conséquence.

3. A l’examen, le Conseil de la presse estime que le lecteur n’est pas gravement induit en erreur par la vidéo, dont le propos est pour l’essentiel correct. L’intention sous-entendue par le plaignant, selon laquelle le journaliste aurait voulu dépeindre la Suisse comme un pays peu sûr, «sauvé» en quelque sorte par les nouvelles directives européennes, n’est nullement avérée aux yeux du Conseil de la presse. On est donc en présence d’une imprécision de peu de gravité, et qui n’a pas le poids d’une violation du devoir de rechercher la vérité.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En diffusant la vidéo «La culture des armes à l’épreuve de l’Europe», «Le Temps» n’a pas violé le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».