Nr. 13/2018
Indépendance

X. c. «Tribune de Genève» Prise de position du Conseil suisse de la presse du 20 avril 2018

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I. En fait

A. Le 7 avril 2017, la «Tribune de Genève» publie un article signé Sophie Davaris et intitulé «On a tous trop de cholestérol». Cet article fait suite à une étude du «New England Journal of Medicine» (NEJM) consacré à un nouveau traitement réduisant les accidents cardiovasculaires. L’étude, qui a eu lieu en partie à Genève, a enregistré des résultats spectaculaires, même si elle a été arrêtée trop tôt et que le médicament en question, coûteux, n’est pas encore remboursé en Suisse. Dans son article, la journaliste donne également la parole au chef du Service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce dernier recommande fortement de lutter contre les taux de cholestérol trop élevés. L’article est accompagné du témoignage d’un Genevois ayant participé à l’étude précitée.

B. Le 16 mai 2017, la «Tribune de Genève» publie un autre article, intitulé «Un médicament contre l’ostéoporose provoque des fractures». Il y est notamment fait état d’un avertissement de Swissmedic, l’autorité d’enregistrement des médicaments, selon qui ce médicament pourrait provoquer des «fractures vertébrales multiples spontanées» à l’arrêt du traitement. Deux jours après, le 18 mai 2017, la «Tribune de Genève» publie un article signé Sophie Davaris, intitulé «Panique après un article sur l’ostéoporose». Faisant suite au précédent, et à des réactions de panique qu’il aurait déclenché, la journaliste donne la parole au chef du service des Maladies osseuses aux HUG. Ce dernier relativise le contenu du premier article: «Le médicament protège tant qu’on le prend. Si on l’arrête, le risque réapparaît. Comme si on n’avait jamais été traité, mais pas davantage.» Pour le professeur genevois, «les risques sont très faibles en regard de l’efficacité du traitement».

C. Le 18 août 2017, X. s’adresse au Conseil suisse de la presse à propos d’«articles préoccupants parus dans la Tribune de Genève» – il vise les deux articles signé par Sophie Davaris. Le plaignant écrit notamment, à propos de l’article du 18 mai: «Il semble que les mandats de communication achetés par des opérateurs économiques très puissants auprès de structures contrôlant ce qui s’écrit dans la ‹Tribune› en matière de santé ont pour effet que non seulement ce journal publie certains articles leur étant hautement favorables, mais également s’abstient de publier un certain nombre de nouvelles défavorables à la machine pharmaco-hospitalière.» Il ajoute que le journal ne fait pas état de témoignages «négatifs» que l’on peut trouver sur l’Internet à propos du médicament en cause. Et que le professeur cité par la journaliste «reçoit selon toute vraisemblance un commissionnement de la part d’AMGEN pour chaque prescription qu’il effectue».

A propos de l’article du 7 avril, le plaignant écrit: «Parcouru du début à la fin d’expression grossièrement commerciales (…) cet article paraît hautement contraire aux principes disposés aux art. 1 et 10 (réd. de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). Quant au chef du Service de cardiologie des HUG cité par l’article, il serait «également sous payement régulier par le géant pharmaceutique AMGEN».

D. Dans sa prise de position du 23 octobre 2017, Pierre Ruetschi, rédacteur en chef, demande tout d’abord au Conseil de la presse de ne pas entrer en matière sur l’article du 7 avril 2017, le délai des trois mois n’ayant pas été respecté par le plaignant. Il précise encore avoir reçu le 21 avril une lettre du plaignant, dans laquelle ce dernier «affirme que notre journaliste a reçu un pot-de-vin afin de faire la promotion du nouveau médicament». Face à de tels propos «diffamatoires et calomnieux» il a préféré ne pas donner suite à ce courrier.

Sur le fond «à titre subsidiaire», à savoir si le Conseil devait quand même entrer en matière, le rédacteur en chef défend le travail de sa collaboratrice, ainsi que la crédibilité de ses sources. Pour ce qui est de l’article du 7 avril 2017, il rappelle que le NEJM est l’une des revues médicales les plus réputées au monde. Et que pour approfondir la question du cholestérol – véritable sujet de l’article – la journaliste a interrogé un spécialiste reconnu, qui d’ailleurs s’exprime de manière critique à propos de l’étude. Quant à l’affirmation selon laquelle le professeur interrogé serait rémunéré par AMGEN, la «Tribune de Genève» le conteste formellement. Enfin, la «Tribune de Genève» n’a jamais cité le médicament, mais bien la molécule qui le compose, et a donné la parole à un des patients ayant participé à l’enquête, et qui relativise les bienfaits dudit médicament.

Pour ce qui est des articles sur l’ostéoporose, le rédacteur en chef précise ce qui suit: «En l’occurrence, la Tribune de Genève a publié deux articles concernant le médicament sur l’ostéoporose: l’un semble plaire (au plaignant) et l’autre beaucoup moins. Or le fait qu’un article ne plaise pas à une personne ne suffit pas pour admettre qu’il y ait eu violation des règles déontologiques.» Et, pour Pierre Ruetschi, la publication de l’article du 18 mai 2017 se justifiait pleinement après l’inquiétude suscitée dans le public par le premier. «En faisant clairement référence à l’article du 16 mai 2017, notre journaliste a proposé un pluralisme de points de vue.» Quant aux accusations formulées contre le professeur interrogé, là aussi la «Tribune de Genève» en conteste formellement le bienfondé.

Concernant enfin les manquements allégués au devoir de rechercher la vérité, la «Tribune de Genève» fait valoir que ce devoir ne peut consister à «publier tous les aspects concernant un sujet donné».

E. A titre exceptionnel, le Conseil de la presse décide d’entrer en matière en dépit des problèmes de délai. En effet, le plaignant a pu être trompé de bonne foi par certaines indications figurant sur l’Internet à propos de ces délais.

F. La présidence du Conseil de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 20 avril 2018 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Les reproches soulevés par le plaignant sont extrêmement graves. Que ce soit à l’encontre de la «Tribune de Genève» et de sa journaliste, que ce soit à l’encontre des professeurs interrogés par cette dernière. En deux mots comme en cent, toutes et tous seraient vendus et à la botte de l’industrie pharmaceutique. Tout cela n’étant formulé que sous forme de suppositions et nullement étayé, le Conseil de la presse ne peut nullement constater de violation ni du chiffre 1, ni du chiffre 10 de la «Déclaration».

2. En ce qui concerne les deux articles incriminés, le Conseil de la presse ne peut que donner raison à la «Tribune de Genève». Les articles sont pertinents, les sources clairement indiquées. Le Conseil ne voit donc pas en quoi les lecteurs auraient été trompés, et en quoi ces articles pourraient laisser soupçonner une quelconque forme de corruption.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant les articles «On a tous trop de cholestérol» du 7 avril 2017 et «Panique après un article sur l’ostéoporose» du 18 mai 2017, la «Tribune de Genève» n’a pas violé les chiffres 1 (rechercher la vérité) et 10 (s’interdire de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».