Nr. 27/2005
Vérification des informations / Respect de la sphère privée

(Blatter-Bianca c. «L'Illustré») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 8 juillet 2005

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I. En Fait

A. Le 8 décembre 2004, «L’Illustré» à publié dans la rubrique «Les gens de la semaine» un bref article intitulé «Sepp Blatter; Le prix d’un amour perdu» et signé par Christian Rappaz. Selon l’hebdomadaire, le troisième divorce de Sepp Blatter, qui l’a séparé de Graziella Bianca, lui aurait «coûté sa somptueuse villa du Zurichberg, estimée à 2 Millions de francs, ainsi qu’un dédommagement forfaitaire de 1 million». Le texte était illustré par une photo montrant Sepp Blatter et une autre femme avec la légende «Sepp et sa belle au temps du bonheur».

B. Le 15 décembre 2004 «L’Illustré» a publié dans la page du courriers des lecteurs la rectification suivante: «L’Illustré a publié la semaine dernière en page 8 des son édition une information relative aux conditions du divorce entre Madame Graziella Blatter-Bianca et Monsieur Sepp Blatter, président de la FIFA. Madame Blatter-Bianca et Monsieur Sepp Blatter nous font savoir que ces informations sont inexactes et de nature à leur nuire. Nous n’en avions pas l’intention. Par ailleurs, ce n’est pas Madame Blatter-Bianca qui est présentée sur la photographie publiée. Nous leur exprimons nos sincères regrets.»

C. Le 4 décembre 2004, Graziella Blatter-Bianca s’est adressée au Conseil suisse de la presse pour se plaindre de l’article susmentionné et en particulier du comportement du journaliste Christian Rappaz lors d’un entretien téléphonique après la publication. La plaignante explique qu’elle a contacté téléphoniquement Christophe Passer, rédacteur en chef de «l’Illustré» en date du 9 décembre. Lors de cet entretien, il a été convenu qu’elle adresserait une demande de droit de réponse écrite à «l’Illustré». Elle a alors reçu un appel de Christian Rappaz. Celui-ci a affirmé que les informations publiées étaient «presque exactes». Graziella Blatter-Bianca ayant continué à contester les chiffres avancés par le journaliste, ce dernier l’aurait accusée d’être responsable de l’échec de son mariage avec Sepp Blatter. Il aurait en outre affirmé être en possession d’informations désagréables relevant de sa sphère privée et dit qu’elle devrait être heureuse qu’il ne les ait pas publiées.

D. Dans une prise de position datée du 13 janvier 2005, Christoph Passer, rédacteur en chef de l’Illustré, a fait valoir que le président de la FIFA, Joseph Blatter, «avait beaucoup médiatisé son mariage avec Mme Blatter, cette union avait intéressé l’opinion publique, notamment suisse alémanique. Christian Rappaz, notre journaliste, pensait détenir de bonne foi des informations concernant les conditions de divorce entre Mme et M. Blatter. Une fois publiées, il s’est avéré qu’une partie de ces informations étaient inexactes et qu’il y avait en plus une confusion sur la photo. Contacté par mail et téléphone par Mme Blatter, j’en ai aussitôt convenu, je l’ai priée d’accepter nos excuses, et nous avons publiés un rectificatif le 15 décembre (…). Cherchant à démêler le vrai du faux, notre journaliste Christian Rappaz avait aussi contacté téléphoniquement Mme Blatter, afin de comprendre la nature exacte des erreurs qui avaient été commises dans l’article. Ce téléphone fut plus tendu. C’est principalement lié au ton de ce contact que Mme Blatter a pensé utile de vous écrire. Et suite à tout cela le 29 décembre, M. Rappaz a lui aussi envoyé une lettre d’excuses manuscrite à Mme Blatter.»

E. Conformément à l’art.10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui paraissent d’une importance mineure.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président), Sylvie Arsever et Esther Diener-Morscher (vice-présidentes) a liquidé la présente prise de position le 8 juillet 2005 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La plainte contient deux griefs principaux: D’une part la publication des informations sur le divorce de la plaignante sans vérification préalable auprès de M. ou Mme Blatter-Bianca (chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste», directive 1.1 relative à cette «Déclaration»). D’autre part la violation de la sphère privée de Graziella Blatter-Bianca par le comportement du journaliste Christian Rappaz lors de la conversation téléphonique qui a lieu après la publication de l’article contesté (chiffre 7 de la «Déclaration»). En revanche la plaignante admet que la rectification a été publiée correctement. Une éventuelle violation du chiffre 5 de la «Déclaration» n’est donc pas en cause.

2. La source des informations de Christian Rappaz n’est mentionnée ni dans l’article publié dans «l’Illustré» du 8 décembre 2004 ni de la prise de position du rédacteur en chef du 13 janvier 2005. Dans sa prise de position 16/2005 le Conseil suisse de la presse a rappelé qu’avant de publier des accusations d’une certaine portée émanant de sources anonymes, il convient de les vérifier et de chercher à tout le moins à obtenir le point de vue des personnes concernées. S’agissant d’informations relevant de la sphère privée (voir le considérant 3 ci-dessous) qui donnaient en outre l’impression que la plaignante avait agi avec cupidité, «l’Illustré» avait le devoir de contacter Sepp Blatter et Graziella Blanca-Blatter avant la publication En le faisant, il aurait évité de publier des informations erronées. L‘ « Illustré» a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droit du / de la journaliste».

3. Selon la directive 7.3 relative à la «Déclaration» les personnages publics ont aussi le droit à la protection de leur vie privée. Même en admettant – sur la base de l’argumentation du rédacteur en chef de «l’Illustré» – que le mariage de Sepp Blatter et Graziella Blatter-Bianca avait été très médiatisé par M. Blatter, on peut se demander si il y avait vraiment un intérêt public prépondérant de publier des détails des conditions financières de la divorce, car celles-ci relèvent pour principe de la sphère privée. Quoi qu’il en soit, la notoriété de la plaignante semble très relative et étroitement liée avec la fonction importante de Sepp Blatter dans le monde du football. Il est donc particulièrement inadmissible qu’un journaliste se considère en droit de la menacer de publier des informations désagréables ayant trait à sa vie privée. Le Conseil suisse de la presse n’est pas en mesure de faire une reconstruction de la conversation entre Christian Rappaz et Graziella Blatter-Bianca qui a eu lieu après la publication de l’article «Sepp Blatter; Le prix d’un amour perdu». Néanmoins, le rédacteur en chef avoue que cette conversation téléphonique fut très tendue et il ne contredit pas la plaignante quand elle dit avoir été menacée. Une violation de la sphère privée de Graziella Blatter-Bianca (chiffre 7 de la «Déclaration») est en conséquence établie.

III. Conclusion

La plainte est admise.