Nr. 10/2018
Vie privée

«Tribune de Genève» c. «LaPravda.ch» Prise de position du Conseil suisse de la presse 10/2018 du 9 avril 2018

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I. En fait

A. Le 29 juillet 2017, la «Tribune de Genève» et «24 Heures» publient un article signé Sophie Roselli sur l’extrémisme de droite à Genève. Il est titré «Pourquoi la mouvance extrémiste de droite vivote». L’article passe notamment en revue une série de groupuscules nationalistes et identitaires pour constater que le militantisme d’extrême droite tend à faiblir, mais qu’il «se reporte sur les réseaux sociaux, notamment avec Kalvingrad Patriote et, depuis 2015, s’exprime à travers le site de réinformation La Pravda».

B. Le même jour, Alimuddin Usmani publie sur le site «LaPravda.ch», dont il est un des deux responsables, un article intitulé «La Propagande particulièrement malhonnête de Sophie Roselli». Il est illustré par un portrait de la journaliste de la «Tribune de Genève» et s’en prend à son article en des termes virulents, l’accusant d’amateurisme et de parti pris.

C. Le 11 août 2017, Alimuddin Usmani saisit le Conseil suisse de la presse à propos de l’article de Sophie Roselli.

D. Le 28 septembre 2017, le rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», Pierre Ruetschi, s’adresse au Conseil de la presse pour prendre position sur la plainte déposée par Alimuddin Usmani. Ce faisant, il saisit également le Conseil de la presse à l’encontre de M. Usmani pour l’article publié le 29 juillet sur «LaPravda.ch». Pour la «Tribune de Genève», il a violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») en faisant figurer la photo de Mme Roselli sur son site sans droit, «ainsi qu’en s’en prenant à elle personnellement et directement».

E. Alimuddin Usmani prend position le 30 octobre 2017. Il rejette les accusations de la «Tribune de Genève». Selon lui, son article n’a attaqué que la production de Mme Roselli, et non la journaliste personnellement. Quant à la photo, il s’agit de celle que Mme Roselli a posté sur son compte Twitter, accessible à l’ensemble du public. Enfin, pour M. Usmani, Mme Roselli est un personnage public.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse décide de traiter séparément les deux plaintes et en confie le traitement à sa 2ème Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan, François Mauron et Mélanie Pitteloud.

G. La 2e Chambre a délibéré de la présente plainte («Tribune de Genève» contre «LaPravda.ch ») le 8 mars 2018 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La première question que le Conseil de la presse doit se poser est celle de sa compétence. En effet, comme en témoigne sa récente prise de position 48/2017, il ne se considère pas compétent pour juger tous les «sites d’information» qui fleurissent sur la toile. Est déterminante, selon 48/2017, la manière dont un site se définit lui-même. Or «LaPravda.ch» revendique d’offrir «une plateforme aux journalistes indépendants voulant informer le public sans avoir à se soucier du politiquement correct, tout en respectant la déontologie journalistique.» Par ailleurs, M. Usmani lui-même exerce une activité de journaliste indépendant, ce que ne conteste visiblement pas la «Tribune de Genève», puisqu’elle a saisi le Conseil de la presse. En l’état de sa pratique, le Conseil de la presse est donc compétent et peut entrer en matière.

2. Le plaignant argue que M. Usmani s’est est pris «personnellement et directement», à la journaliste de la «Tribune de Genève». Le Conseil de la presse ne partage pas cette manière de voir. Certes, l’article de M. Usmani n’est pas tendre à l’encontre de Mme Roselli. Mais il s’en prend bel et bien à la production de la journaliste, non à sa personnalité, et reste dans les limites de la liberté de s’exprimer et de critiquer. «LaPravda.ch» n’a donc pas porté atteinte à la vie privée de la journaliste.

3. Plus discutable est la publication de la photo de la journaliste, sans son consentement. Dans sa prise de position fondamentale «Internet et Vie privée» (43/2010), le Conseil de la presse écrit que «les informations les documents mis en ligne sur les réseaux sociaux» peuvent garder leur nature privée et «ne doivent pas être considérés a priori comme pouvant être publiés dans un autre média». Plus loin, il précise cependant: «Le contexte dans lequel les informations sont mises en ligne est déterminant. Par contexte il faut entendre: la nature du site (réseau social comme Facebook, blog personnel, forum, site institutionnel, etc.), l’identité de l’auteur (individu lambda, personnalité publique, journaliste, etc.) et son intention dans la mesure où elle est évidente (communication large ou s’adressant à un milieu restreint).» En l’occurrence, on peut considérer que la photo postée sur son compte «Twitter» par la journaliste de la «Tribune de Genève», par définition destinée à un large public, pouvait être reproduite sans son autorisation.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «La Propagande particulièrement malhonnête de Sophie Roselli», illustré par la photo de cette dernière, «LaPravda.ch» n’a pas violé le chiffre 7 de la «Déclaration de devoirs et des droits du/de la journaliste».