I. En fait
A. Le 28 janvier 2015, le titre principal du quotidien «Le Matin» est libellé ainsi: «Vaudoise amnésique retrouvée en Inde ‒ TRAHIE PAR SA MÉMOIRE». Sous ce titre, la photo d’une femme, le visage flouté et les yeux recouverts d’un bandeau. L’article en page 3 détaille l’histoire de cette retraitée lausannoise, en vacances à Chennai, qui «a été retrouvée en haillons au bord d’une route, couchée sur un matelas, après trois jours d’errance». La même illustration, en fait tirée d’un journal indien, est reprise. L’article détaille son odyssée, tout en utilisant un prénom d’emprunt («Françoise») mais en précisant qu’il s’agit d’une institutrice à la retraite ayant participé à un voyage organisé. Un soir elle a soudain adopté un comportement confus, ne reconnaissant plus personne. Interrogé par «Le Matin», son frère précise qu’hospitalisée le lendemain matin, elle s’était enfuie, ne voulant pas de scanner en Inde. Retrouvée trois jours plus tard, elle a été mise en contact avec un neuropsychiatre de Chennai, également interrogé par le quotidien suisse. Un IRM révèlera qu’elle avait subi une opération au cerveau à l’âge de 20 ans, comme le précise son frère. Selon le neuropsychiatre, la mémoire de la Vaudoise était sérieusement atteinte. Elle sera finalement rapatriée.
B. Le 15 février 2015 une journaliste, proche amie de la victime, saisit le Conseil suisse de la presse. Elle se dit choquée par l’article, qui à son avis «constitue une grave atteinte à la dignité de cette femme, et à son image». Pour la plaignante, en substance, «Le Matin» a violé plusieurs chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration)». Les chiffres 7 (respecter la vie privée des personnes), 2 (rechercher la vérité), 3 (donner comme telles des nouvelles non confirmées), 6 (garder le secret professionnel), 4 (ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations).
C. Le 19 mars 2015, sous la plume Grégoire Nappey (rédacteur en chef) et Benjamin Pillard (l’auteur de l’article), «Le Matin» demande le rejet de la plainte sur tous les points, faisant remarquer au passage que la plainte ne désignait pas clairement les chiffres de la «Déclaration» mis en cause.
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 27 octobre 2015 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Concernant le chiffre 7 de la «Déclaration»: Pour la plaignante, le fait que l’aventure de la retraitée lausannoise ait fait les gros titres de «The Hindu» n’était pas une raison suffisante pour «Le Matin» de mettre sa photo en «Une», même floutée et les yeux cachés. A preuve, des connaissances de la victime l’ont reconnue. De son côté, le quotidien fait remarquer que l’anonymat de «Françoise» avait été préservé de manière suffisante, puisqu’elle n’était pas reconnaissable par des tiers n’appartenant pas à son entourage familial. Le Conseil de la presse peut suivre ce raisonnement, même si pour lui certains détails (par exemple l’ancienne profession de la femme ou la région où son frère est domicilié) n’étaient pas indispensables à la bonne compréhension du récit. Ces éléments n’ont toutefois pas le poids d’une violation du chiffre 7 de la «Déclaration».
2. Concernant le chiffre 2 (recherche de la vérité) et 3 (indiquer les nouvelles non confirmées) de la «Déclaration», le Conseil de la presse constate que les éléments énumérés par la plaignante ne sont pas décisifs. De plus, soit ils sont peu étayés, soit ils sont contredits par «Le Matin». En l’occurrence, le Conseil de la presse n’a pas de quoi constater une violation des chiffres 1 ou 3 de la «Déclaration». De plus, le journaliste a visiblement fait preuve de diligence dans sa recherche de la vérité.
3. Pour ce qui est du secret professionnel, le Conseil de la presse constate comme «Le Matin» que c’est celui du médecin indien qui est visé. Il est évident que ce secret professionnel là ne concerne en rien le Conseil de la presse.
4. A l’appui de son reproche du recours à des méthodes d’enquête déloyales, la plaignante affirme que le frère de «Françoise» s’était fait manipuler. «Le Matin» au contraire fait valoir que son journaliste s’était comporté de manière irréprochable en ne faisant aucun mystère de ses intentions de publier un article sur la mésaventure de la retraitée. Là encore, aucun élément probant ne permet au Conseil de la presse de constater une violation de la «Déclaration».
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant son article et son titre de «Une» sur la mésaventure d’une retraitée lausannoise en Inde, «Le Matin» n’a violé aucun chiffre de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Il a en particulier suffisamment protégé la vie privée de la retraitée.