Nr. 23/2017
Recherche de la vérité / Pluralisme des points de vue / Séparation information et commentaire / Suppression d’éléments d’information

(FMH c. «Le Matin Dimanche»)

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Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat heisst eine Beschwerde der Verbindung der Schweizer Ärztinnen und Ärzte (FMH) gegen einen Artikel des «Matin Dimanche» vom 11. September 2016 mit dem Titel «Combien gagne un médecin en Suisse? Personne ne peut réellement le dire!» (Wieviel verdient ein Arzt in der Schweiz? Niemand kann es wirklich sagen!) teilweise gut. Dieser Artikel legt dar, dass es schwierig ist, die realen Löhne praktizierender Schweizer Ärzte zu beziffern. Ausgehend von dieser Feststellung lässt er durchblicken, dass deren Einkommen einen wichtigen Einfluss auf den Kostenanstieg im Gesundheitswesen hat.

Die FMH warf den Autoren des Artikels vor, die Wahrheit nicht genügend gesucht, wissentlich Informationen weggelassen und die Haltung der Ärzte nicht genügend dargestellt zu haben. Daraus resultiere ein Artikel, der Polemik streue, indem er den Eindruck erwecke, unverhältnismässige Einkommen der Ärzteschaft würden die Gesundheitskosten ansteigen lassen.

Der Presserat heisst die Beschwerde teilweise gut. Er hält fest, dass der Artikel die Begriffe «Lohn», «Einkommen» und «Umsatz» durcheinander bringt. Zudem werden Fakten und Kommentar in einem bestimmten Punkt vermischt. In allen übrigen Punkten weist er die Beschwerde ab. «Le Matin Dimanche» hat insbesondere die Haltung der Ärzte genügend berücksichtigt und keine Informationen entstellt.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a partiellement admis la plainte de la Fédération des médecins suisses (FMH) contre un article publié dans «Le Matin Dimanche» du 11 septembre 2016. Intitulé «Combien gagne un médecin en Suisse? Personne ne peut réellement le dire!», cet article expose le fait qu’il est difficile de connaître le salaire réel des praticiens helvétiques. Partant de ce constat, il laisse entendre que le revenu de ces derniers a un impact important sur l’augmentation des coûts de la santé.

La FMH reproche aux auteurs de l’article de ne pas suffisamment avoir recherché la vérité, d’avoir tronqué sciemment des informations et de ne pas avoir assez présenté le point de vue des médecins. Il en résulte selon elle un article qui cherche uniquement à susciter la polémique en donnant l’impression que les rémunérations disproportionnées du corps médical font grimper les coûts de la santé.

Le Conseil suisse de la presse a partiellement admis cette plainte, estimant que cet article entretenait une certaine confusion entre les notions de «salaires», de «revenus» et de «chiffres d’affaires». Il est en outre d’avis que fait et commentaire sont mélangés dans un cas précis. Pour le reste, la plainte est rejetée. «Le Matin Dimanche» fait notamment suffisamment valoir le point de vue des médecins et ne dénature pas les sources.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa ha parzialmente ammesso il reclamo presentato dalla Federazione dei medici svizzeri (FMH) contro un articolo pubblicato da «Le Matin Dimanche» l’11 settembre 2016. Sotto il titolo: «Quanto guadagna un medico in Svizzera? Nessuno lo può dire con certezza!», il giornale denunciava l’opacità che circonda il salario reale di chi in Svizzera pratica la medicina, lasciando intendere quanto il reddito dei professionisti possa incidere sull’aumento dei costi della salute.

La FMH accusa il giornale di negligenza nella ricerca dei fatti, di aver dato solo a metà certe informazioni e di non avere raccolto il punto di vista dei medici. Ne è uscito secondo il reclamo un articolo utile solo ad alimentare la polemica, in quanto suggerisce che siano i compensi esagerati del corpo medico a far schizzare verso l’alto i costi della salute.

Il Consiglio ha ammesso parzialmente il reclamo, constatando soprattutto l’imprecisione con cui si usano i termini : «salario», «reddito» e «cifra d’affari». In un caso preciso è stata constatata confusione tra notizia e commento. Ma sul rimanente dell’articolo il reclamo è respinto. In particolare, «Le Matin Dimanche» ha riferito in modo adeguato il punto di vista dei medici e il rapporto con le fonti si è dimostrato corretto.

I. En fait

A. Le 11 septembre 2016, «Le Matin Dimanche» publie un article consacré aux revenus des médecins pratiquants en Suisse. Il est signé par les journalistes Fabian Muhieddine et Frédéric Vormus. Dans cet article intitulé «Combien gagne un médecin en Suisse? Personne ne peut réellement le dire!», les auteurs exposent le fait qu’il est difficile de connaître le salaire réel des différents types de praticiens helvétiques. Partant de ce constat, ils se demandent ensuite quelle peut être la part des salaires des médecins dans l’explosion du coût de la santé et des primes maladie. Ils interrogent à ce propos de nombreuses sources gravitant dans le domaine de la santé (assureurs, Fédération suisse des patients, ministres genevois et vaudois de la santé, Office fédéral de la santé publique). La Fédération des médecins suisses (FMH), le fondateur d’un groupe de cliniques privées et un médecin anonyme sont également sollicités afin de faire valoir leur point de vue. La position de ce dernier est l’objet d’un encadré intitulé «Face aux reproches, un spécialiste défend sa corporation». Deux infographies accompagnent cet article, articulant les revenus des médecins gagnant le plus d’argent dans les 10 spécialités les plus rémunératrices; ces revenus sont comparés à celui d’un généraliste. La deuxième infographie présente, sous forme de «fromage», la répartition des coûts dans l’assurance de base. De manière générale, l’article démontre combien il est difficile de savoir ce que gagnent les médecins, tout en laissant entendre que le revenu de ces derniers a un impact important sur l’augmentation des coûts de la santé.

B. Le 23 septembre 2016, la FMH, par le biais de son président Jürg Schlup et de Hanspeter Kuhn, chef de la Division service juridique, dépose plainte contre «Le Matin Dimanche» au Conseil suisse de la presse. La FMH estime que l’article viole la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») sur trois de ses chiffres. En substance, le chiffre 1 (Recherche de la vérité) serait violé parce que l’article, «loin de chercher à renseigner le lecteur d’une manière impartiale sur la hausse des coûts de la santé, cherche en réalité à susciter la polémique en donnant, par l’impression d’ensemble qui résulte de l’accumulation d’informations tronquées et à sens unique, le sentiment que les rémunérations ‹disproportionnées› touchées par les spécialistes auraient un lien direct avec la hausse des coûts de la santé». La FMH estime en outre que les chiffres 2 (Pluralisme des points de vue) et 3 (Suppression d’informations ou d’éléments d’informations essentiels) de la «Déclaration» sont également violés. Elle estime en particulier que le point de vue des médecins n’est pas suffisamment représenté dans l’article, alors que la FMH a mis à disposition des auteurs une somme importante de renseignements. Selon elle, les auteurs, nonobstant les courriels adressés à M. Fabian Muhieddine, «ont délibérément tronqué les informations communiquées au profit d’une présentation lacunaire et trompeuse». La FMH est notamment d’avis que les deux journalistes ne tiennent pas compte des revenus hors assurance de base, lesquels n’ont aucune influence sur les coûts de la santé et les primes d’assurance-maladie. Elle leur reproche également de faire un amalgame entre les notions de «salaires», «revenus» et «chiffres d’affaires», laissant ainsi croire aux lecteurs que «les médecins empochent l’entier des montants versés par les assureurs, pour assurer leur train de vie».

C. Le 17 novembre 2016, Ariane Dayer, rédactrice en chef du «Matin Dimanche», prend position et demande le rejet de la plainte. Elle estime que les deux journalistes «ont procédé avec cautèle de manière à respecter la déontologie journalistique, notamment en multipliant les sources d’information». Selon elle, les deux auteurs de l’article, «par souci d’égalité des armes», ont «largement donné la parole aux représentants des médecins». Ariane Dayer estime en outre que les deux journalistes «avaient bel et bien pour objectif d’attirer l’attention du public sur le manque d’information existant sur les revenus des médecins, manque qu’ils ont pu démontrer suite à de nombreuses recherches». Selon elle, il ne s’agissait donc pas de pointer du doigt les revenus «disproportionnés» des médecins, un terme qui n’est du reste pas employé dans l’article, relève-t-elle.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2e Chambre, composée de Dominique von Burg (président), Sonia Arnal, Michel Bührer, Annik Dubied, Denis Masmejan et François Mauron. Sonia Arnal, collaboratrice du «Matin Dimanche», se récuse.

E. La 2e Chambre traite la plainte dans ses séances du 9 février et du 11 mai 2017, ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le point central de la plainte, pour le Conseil suisse de la presse, touche à la recherche de la vérité. Le titre de l’article «Combien gagne un médecin? Personne ne peut réellement le dire!» annonce la couleur. Les auteurs, sur la base de nombreuses sources, tentent de répondre à cette question. Or il apparaît effectivement qu’il est difficile de connaître le salaire réel des médecins suisses. Le titre de l’article correspond donc bien à la teneur de ce dernier. Contrairement à ce qu’affirme la FMH. Cela dit, si l’angle principal de l’article est tenu, ce dernier laisse une large place à l’hypothèse suivante: le revenu des médecins semble avoir un poids croissant dans l’augmentation des coûts de l’assurance maladie de base. Elle est étayée par de nombreux témoignages et diverses citations, émanant en particulier de milieux politiques. Le point de vue de la FMH, il est vrai, est présenté de façon très succincte. Il faut dire que cette dernière, sollicitée par Fabian Muhieddine, a répondu de façon très laconique aux questions qui lui étaient posées, préférant renvoyer le journaliste vers des anciennes études sur le sujet. Ces données paraissent ainsi difficilement exploitables dans le cadre cet article. De manière générale, les deux auteurs semblent avoir essayé de donner le panorama le plus complet possible de la situation, en intégrant différents points de vue.

En revanche, deux aspects de l’article sont problématiques. La FMH reproche ainsi aux deux journalistes de faire l’amalgame entre les notions de «salaires», de «revenus» et de «chiffre d’affaires». Ce qui, selon elle, ne permet pas au lecteur de prendre en compte les charges pesant sur les médecins. Elle pointe en particulier du doigt un passage de l’article qui cite l’exemple d’un médecin qui, en deux ans, s’est constitué un salaire annuel de plus d’un million de francs. Or ses charges ne sont pas mentionnées et, à la lecture, il est effectivement difficile de se faire une idée précise de son revenu réel. La confusion entre les notions de «salaires», de «revenus» et de «chiffre d’affaires» est de fait permanente dans le sujet du «Matin Dimanche». Cela dit, à la décharge des auteurs, la FMH ne les a pas aidés, refusant de répondre précisément aux questions qui lui étaient posées, préférant noyer les deux journalistes sous un amoncellement de vieilles publications. Néanmoins, ces derniers auraient dû témoigner de davantage de précision dans leur article. Sous cet aspect, le chiffre 1 (Recherche de la vérité) de la «Déclaration» est violé.

Par ailleurs, dans l’infographie consacrée aux dix spécialités médicales les plus rémunératrices, un élément est sujet à caution. Rappelant que l’OFAS a interdit l’exploitation des données salariales récentes, les auteurs écrivent: «En clair, les médecins gagnent sensiblement plus que cette étude veut bien le prétendre». Cette phrase est de l’ordre du pur commentaire et ne devrait pas se trouver dans une infographie explicative basée sur les faits. Sous l’aspect de la directive 2.3 (Distinction entre l’information et les appréciations), le chiffre 2 de la «Déclaration» est violé.

2. Le deuxième volet de la plainte a trait au respect de la pluralité des points de vue. Autrement dit, les deux journalistes ont-ils scrupuleusement «cherché à renseigner le lecteur d’une manière impartiale» (pour reprendre les termes du plaignant) ou, au contraire, n’ont-ils pas pris en compte toutes les données accessibles et disponibles? L’article cite un nombre important de sources du domaine de la santé: Pierre-Yves Maillard et Mauro Poggia, ministres de la santé des cantons de Vaud et Genève, Jean-François Steiert, vice-président de la Fédération suisse des patients, santésuisse, la faîtière des assureurs maladie, Oliver Peters, vice-directeur de l’Office fédéral de la santé publique, la FMH, Antoine Huber, fondateur de Swiss Medical Network, et un médecin anonyme (cité dans un encadré). Sur la base de ces sources, l’article aligne les gros chiffres pour démontrer que les médecins gagnent très bien leur vie, et que certains d’entre eux ont tendance à surfacturer leurs actes médicaux. Témoignages à l’appui, les auteurs laissent entendre que cette situation a une incidence sur l’augmentation des coûts de l’assurance maladie de base. Cet avis est toutefois contrebalancé dans l’encadré par l’opinion du médecin anonyme qui, estimant que sa profession est «injustement décriée par les politiciens et les médias», évoque les lourdes charges pesant sur les praticiens (équipements, locaux, assurance, personnel). Dans l’article principal, Antoine Huber signale en outre que les spécialistes, qui gagnent entre 500 000 et un million de francs par an, ne tirent par leurs revenus de l’assurance de base, mais d’assurances privées ou de riches étrangers. Il n’y a donc pas de violation du chiffre 2 de la «Déclaration» (Pluralisme des points de vue) sous cet aspect.

3. Le plaignant reproche encore au «Matin Dimanche» de dénaturer les sources par une «présentation tronquée et trompeuse des statistiques de revenus». Il fait en l’occurrence référence à l’infographie présentant «Les spécialités médicales les plus rémunératrices» (titre de l’infographie). L’infographie est pourtant clairement labellisée. Elle indique qu’il s’agit des spécialités les plus rémunératrices, qui ne concernent que 25% des médecins «qui gagnent le plus dans chaque spécialité». La source, l’OFAS, est aussi identifiée, contrairement à ce qu’affirme le plaignant. Le chiffre 3 de la «Déclaration» (Dénaturer la source) n’est donc pas enfreint.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En publiant l’article «Combien gagne un médecin? Personne ne peut réellement le dire!», «Le Matin Dimanche» a violé le chiffre 1 (Recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». L’article entretient une certaine confusion entre les notions de «salaires», de «revenus» et de «chiffre d’affaires».

3. Par ailleurs, «Le Matin Dimanche» mélange fait et commentaire dans une infographie en affirmant que les médecins gagnent davantage que les chiffres affichés. Le chiffre 2 est violé sous l’aspect de la séparation des faits du commentaire.

4. Pour le reste, la plainte est rejetée.