I. En fait
A. Dans son édition du 3 août 2001, «Le Temps» publie dans sa rubrique «Opinions» un long article de près d’une page sous le titre «Le nationalisme juif est plus grave pour les juifs que l’Holocauste». Ce titre reprend presque mot pour mot un membre de phrase du texte («le nationalisme juif représente pour le peuple juif – et la communauté juive mondiale – un danger plus grave que l’Holocauste»). L’article critique l’actuelle politique de l’Etat d’Israël en tirant notamment argument d’éléments référés à l’histoire du sionisme. Son auteur, Christoph Zehntner, n’appartient pas à la rédaction ; il est présenté comme «rabbin de la Communauté israélite libérale de Berne».
B. Le même jour, la Communauté israélite de Genève (CIG) adresse un courrier électronique à la rédaction du «Temps», signé par son président et sa vice-présidente. Cette lettre relève qu‘ «il n’existe à Berne aucune Communauté israélite libérale» et que Christoph Zehntner «n’est ni juif, ni rabbin, mais est connu, même par les autorités, comme un imposteur qui, pour toute communauté, a deux ou trois adeptes». Elle reproche à la rédaction du «Temps» d’avoir violé son devoir de diligence et considère qu’il lui «incombe dès lors de rectifier l’information inexacte».
C. Dans son édition du 6 août 2001, «Le Temps» publie dans l’espace dévolu au courrier des lecteurs et sous la mention «Précision» un texte non signé de la rédaction. Cette mise au point fait état d’un contact téléphonique préalable à la publication entre la rédaction et l’auteur de l’article et signale que la qualité de «rabbin de la communauté israélite libérale de Berne» correspond à celle qui lui a été indiquée par ce dernier. Elle ajoute que, selon les précisions apportées ultérieurement par M. Zehntner, la communauté en question «a été fondée le 13 avril 1997», que lui-même a été choisi comme rabbin «par sa communauté» et qu’il se considère comme un «professeur». M. Zehntner affirme, toujours selon le texte de la rédaction, «qu’il est de mère juive dans une famille où cette appartenance était taboue». La précision apportée par la rédaction fait état de plusieurs réactions critiques à la publication du texte, dont il admet la «tonalité fortement antisioniste». Elle ajoute : «Nous admettons ne pas avoir eu connaissance de la polémique qui a eu lieu à Berne depuis quelque temps déjà autour de la fonction et des activités de M. Zehntner». Le jour même, un courrier électronique est adressé à la CIG pour signaler la parution du texte.
D. Par lettre du 16 août, la CIG revient sur cette «précision», tenue pour insuffisante en regard de l’absence de diligence déjà dénoncée. Cette lettre touche aussi bien le contenu de l’article («des informations fausses… sur des faits historiques qu’il est facile de vérifier») que la qualité de l’auteur, présenté par la CIG comme un imposteur. Le fait d’établir des «parallèles inadmissibles avec la Shoah» est, en effet, considéré comme «bien plus important si son auteur est juif et rabbin de surcroît». La CIG constate un «refus de rectifier» l’erreur «fermement et à un endroit approprié compte tenu de l’article et de sa dimension». Elle requiert de plus que l’occasion soit donnée de traiter les aspects abordés par M. Zehntner «à un auteur sérieux, qui est un véritable représentant du judaïsme».
E. Par lettre du 31 août 2001, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) et la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) déposent plainte auprès du Conseil suisse de la presse. Cette plainte porte exclusivement sur la qualité de «rabbin de la Communauté israélite libérale de Berne» prêtée par «Le Temps» à l’auteur et sur l’insuffisance de la «précision», qui consiste à donner une fois encore la parole à M. Zehntner sans constituer une véritable rectification. A titre subsidiaire, la CICAD et la FSCI se plaignent de la publication d’une lettre de lecteur qui, tout en prenant acte des qualités douteuses de l’auteur de l’article, n’en considère pas moins ses propos comme dignes d’intérêt, alors qu’aucune lettre n’a été publiée qui se rapporterait «à une opinion adverses et majoritaire». La plainte est assortie de documents démontrant que le Tribunal administratif de Berne a rejeté en août 1998 la demande de reconnaissance de la communauté de M. Zehntner et que celui-ci est bien connu à Berne comme rabbin «autoproclamé».
F. Sollicitées par le secrétariat du CSP de préciser quels chiffres de la Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste auraient été violés, les plaignantes se réfèrent dans une lettre du 5 septembre 2001 aux chiffres 1 (devoir de vérité), 3 (traitement des sources) et 5 (devoir de rectification), en citant plus précisément des directives (1.1, 3.1. et 5.1) s’y rapportant.
G. Le directeur-rédacteur en chef du «Temps», M. Eric Hoesli, prend position sur cette affaire le 12 octobre 2001. Il considère que la tâche de la rédaction dans le domaine du courrier des lecteurs est de «veiller à l’existence réelle des auteurs avant publication de leur courrier». En ce qui concerne les textes principaux de la page «Opinions», «ce contrôle est approfondi et réclame de (sa) part un contact direct avec l’auteur du texte afin de s’assurer qu’il en est bien le concepteur et qu’il répond avec (elle) de son contenu». Selon M. Hoesli, «toutes ces précautions ont été appliquées en l’espèce par le service concerné». Quant au statut de l’auteur, ce n’est qu’à la suite de la publication du texte et des réactions qu’elle a provoquées que la rédaction du «Temps» a appris que «la qualité de rabbin de M. Zehntner était en effet fortement contestée par les principales communautés juives et israélites de la région bernoise»; mais M. Hoesli ajoute que «le statut exact de rabbin dans la tradition juive restait entourée d’un flou dans la mesure où il semble possible, même pour une communauté très limitée, de désigner elle-même son rabbin». C’est pourquoi, la rédaction a considéré comme judicieux d’informer ses lecteurs, par voie de la «précision» du 6 août, sur la contestation de la qualité de M. Zehntner et sur les doutes subsistant à son propos. Tout en admettant donc des «doutes», M. Hoesli considère qu’il n’appartenait pas au «Temps» de «trancher la dispute théologique à ce sujet», mais d’informer les lecteurs sur l’existence de cette querelle. Le directeur-rédacteur en chef du «Temps» signale encore qu’il a donné aux plaignants la possibilité de répondre aux arguments de M. Zehntner «dans un emplacement et par un texte de longueur comparable», mais qu’il leur a refusé d’user de cet espace pour mettre en cause directement les qualités de rabbin de M. Zehntner «afin d’éviter une polémique qui ne portait nullement sur l’essentiel». Résumant sa prise de position, M. Hoesli rejette en ces termes la plainte comme infondée : «Nous reconnaissons (…) le devoir de rectifier les erreurs manifestes publiées dans le cadre du courrier des lecteurs comme dans le reste du journal. Dans le cas précis, nous considérons cependant que l’erreur est inexistante. Il n’y a pas de registre des rabbins et les précautions prises avant publication comme les vérifications faites après coup (en réaction aux plaintes) ont révélé qu’une querelle existait dans laquelle nous n’avions pas à trancher. En faisant mention de cette querelle en revanche, nous avons répondu au devoir d’honnêteté envers nos lecteurs».
H. Les plaignantes répondent le 18 octobre 2001 aux arguments de M. Hoesli. Elles contestent le flou invoqué par celui-ci quant à la procédure de désignation d’un rabbin, dont l’ordination est prononcée «par une école rabbinique,
après plusieurs années d’études». Elles rappellent de plus que le statut de la «communauté» de M. Zehntner ne fait pas l’objet d’une dispute théologique, mais d’une décision de justice. En référence à l’offre de s’exprimer dans «Le Temps», les plaignantes précisent que la plainte «ne porte pas sur le contenu de cette opinion publiée, mais sur l’imposture de l’auteur et l’absence de réaction du Temps malgré de nombreuses interventions extérieures».
I. Dans une duplique du 24 octobre 2001, M. Erich Hoesli rappelle que les précautions ont été prises quant à l’identité de l’auteur et que le débat portant «sur l’appartenance de l’auteur à une communauté israélite et à la nature de son rabbinat» peut certes revêtir une importance décisive aux yeux des plaignantes, mais qu’il n’est pas celui du «Temps», qui se dit prêt à entendre des arguments sur le contenu du texte.
J. Le secrétariat du Conseil suisse de la presse informe les parties, en date du 30 octobre 2001, que l’affaire sera traitée par la 2ème Chambre, composée de MM Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger et Michel Zendali. Rédactrice en chef adjointe du «Temps», Mme Sylvie Arsever se récuse.
K. Le 1er novembre, le Conseil suisse de la presse reçoit une lettre de M. Christoph Zehntner lui-même, qui se plaint des allégations formulées à son sujet par divers organes de presse et qui se prévaut de sa qualité de citoyen suisse pour revendiquer le droit de fonder une communauté israélite en Suisse, association au sens de l’article 60ss du Code civil et qu’il peut dès lors s’y faire élire comme rabbin sans s’exposer à une sanction légale. Il demande que le Conseil de la presse examine le traitement de l’affaire par «Klein Report» du 6 septembre 2001, lettre interne de la branche de la communication, paraissant en allemand et non destinée à la publication. Outre que le texte incriminé présente un résumé concis de l’affaire, à la manière d’une agence, son caractère non public constitue un motif suffisant de non entrée en matière, les normes journalistiques étant fondées sur «le droit du public à connaître les faits et les opinions» (préambule de la Déclaration des devoirs et des droits).
L. La 2ème Chambre a examiné la plainte lors de sa séance du 14 décembre 2001, en présence de MM. Dominique Bugnon, Dominique von Burg, Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber et Michel Zendali.
II. Considérants
1. La plainte se réfère, pour le principe, au devoir général du chiffre 1 («Rechercher la vérité, en raison du droit qu’a le public de la connaître et quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même»). Elle se rapporte, plus concrètement, aux dispositions du chiffre 3 («Ne publier que les informations, les documents, les images et les sons dont l’origine est connue de lui / d’elle») et 5 («Rectifier toute information qui se révèle matériellement inexacte»).
2. En ce qui concerne le traitement des sources (chiffre 3) l’acte premier de la diligence journalistique consiste à s’assurer de l’origine d’une information et de son authenticité; la mention de la source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public (directive 3.1). En l’espèce, la nature de cette source est importante. Le contenu de l’article de M. Christoph Zehntner peut certes présenter, dans l’actuel débat sur le Proche-Orient, un intérêt intrinsèque, que l’on partage ou non ses vues. Mais c’est bien la qualité de son auteur qui fait sens. Une telle vision critique de l’actuelle politique d’Israël n’est pas en soi originale ; elle est, au moins quant à son orientation, partagée par d’autres observateurs et commentateurs. C’est le fait qu’elle émane d’un auteur présenté comme rabbin et membre d’une communauté israélite libérale suisse qui lui confère une autorité, que les mêmes propos et les mêmes références historiques n’auraient pas nécessairement sous une autre plume.
3. «Le Temps» ne dit pas si ce texte a été proposé à la rédaction, s’il a été repris d’une publication existante (ce qui arrive pour certains textes publiés dans ce journal, mais la référence est alors indiquée) ou encore s’il a été expressément sollicité. Quoi qu’il en soit la qualité de l’auteur était de nature à justifier une attention particulière, dans la mesure où elle a pu influencer la décision de la rédaction de publier le texte. En ce sens, la seule vérification de l’identité (soit, en substance : M. Christoph Zehntner, qui est joint au téléphone, est bien l’auteur du texte signé Christoph Zehntner parvenu à la rédaction) est considérée comme insuffisante par les plaignantes. En raison de la nature même du texte, la diligence journalistique aurait dû par conséquent inciter «Le Temps» à vérifier non seulement l’authenticité du document et l’existence de son auteur, mais aussi l’autorité dont l’auteur se prévaut.
4. Au vu des développements de cette affaire, une telle attention n’aurait certes pas été inutile. L’absence de toute visibilité de la prétendue «Communauté israélite libérale de Berne», dont se réclame M. Zehntner, aurait constitué une raison suffisante pour s’entourer de précautions particulières. Cela dit, les conditions de travail dans les rédactions expliquent que les relations avec des personnes extérieures puissent reposer largement sur le principe de la bonne foi. Pourquoi mettre en doute, a priori, que telle personne est bien secrétaire d’une association, présidente d’un mouvement ou encore responsable d’une communauté religieuse, si l’existence de cette personne est avérée et si le texte qu’elle propose est signé par elle ès qualité ? En l’espèce, il est faut admettre que la bonne foi de la rédaction du «Temps» a été probablement surprise par l’aplomb de M. Zehntner. Dès lors que celui-ci acceptait d’être présenté dans les colonnes du journal, et donc publiquement, en tant que «rabbin de la Communauté israélite libérale de Berne», la rédaction pouvait difficilement supposer un risque de supercherie ou d’imposture. Elle n’était pas censée connaître non plus, à ce stade, la notoriété dans la région bernoise de M. Zehntner lui-même comme «soi-disant rabbin».
5. La rédaction du «Temps» a donc, dans l’ensemble, traité ce texte assimilable à une «tribune libre» conformément aux usages de la profession et aux normes déontologiques, qui étendent à la reproduction de tels textes la responsabilité journalistique engagée dans le traitement des lettres de lecteurs (prise de position 343/2000 du Conseil suisse de la presse, DJL c. «Anzeiger Luzern»). Il y a certes eu négligence, dans la mesure où il aurait été judicieux de mettre en doute de manière plus approfondie les qualités et l’appartenance de l’auteur de l’article; mais cette négligence ne constitue pas comme telle une violation caractérisée du chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits» quant à la publication du texte.
6. La plainte porte également sur la manière que «Le Temps» a adoptée pour traiter les réactions à ce que les plaignantes considèrent comme une imposture. Il s’agit principalement du contenu de la «précision» publiée le 6 août et, à titre subsidiaire, de l’absence de réaction du journal malgré de nombreuses interventions extérieures. Quant à l’application de la déontologie journalistique, c’est ici le chiffre 5 (devoir de rectification) qui est invoqué.
7. Sur le plan formel, la publication d’un texte rectificatif dans la page consacrée au courrier des lecteurs est légitime, à la condition qu’il soit signalé comme tel. Les enquêtes de lecture montrent avec constance que de telles pages jouissent d’un bon, voire très bon taux de lecture. De nombreux journaux, en Suisse ou à l’étranger, entretiennent cet usage. Celui-ci paraît d’autant plus judicieux lorsqu’il est systématique, créant ainsi une habitude chez le lecteu
r d’aller chercher chaque jour au même endroit les possibles correctifs.
8. Que le texte de rectification soit relativement bref n’est pas non plus un motif de contestation en soi. Il arrive fréquemment que, dans un article litigieux, un seul point fasse l’objet d’une rectification. Il n’est pas nécessaire de procéder à des développements au-delà du rappel de la mention erronée et de l’indication correcte des faits. Sur ce point, le devoir de rectification peut être considéré par analogie avec les dispositions légales sur le droit de réponse, qui prévoient notamment une présentation factuelle et concise ; il convient cependant de souligner que, par sa nature, l’exercice du droit de réponse (qui est référé à la protection de la personnalité) ne peut être assimilé au devoir déontologique de rectification (qui relève de la recherche de la vérité).
9. Le titre générique choisi pour signaler les textes rectificatifs varie selon les journaux. Par exemple, la quotidien français «Le Monde» utilise selon les cas le titre «Rectificatif» ou le titre «Précision». La «Tribune de Genève» s’en tient au titre «Précision(s)». Il est clair que le fait d’apporter une ou des précisions est une manière d’euphémisme lorsqu’il s’agit d’une véritable rectification, soit non seulement l’apport de faits ou nuances supplémentaires, mais la reconnaissance d’une erreur et le rétablissement des faits. De ce point de vue, il serait en principe plus correct et plus conforme à la déontologie d’opérer la distinction entre les deux catégories de mises au point – notons à ce propos, et toujours par analogie, que les disposition du Code civil sur le droit de réponse imposent l’appellation spécifique «droit de réponse» pour tout texte publié en application de son art. 28ss.
10. Cela étant, le contenu du texte joue un grand rôle si l’on se met à la place du lecteur moyen. En l’espèce, outre le fait que l’usage du «Temps» est de recourir à l’appellation «précision», il faut noter que le texte publié à ce titre signale comme «controverse» la discussion sur la qualité de M. Zehntner et qu’il ne reconnaît pas formellement l’attribution du texte au «rabbin de la Communauté israélite libérale de Berne» comme une erreur de la part de la rédaction, contrairement à la thèse des plaignantes.
11. Le dossier parvenu au Conseil suisse de la presse montre que la rédaction du «Temps» aurait pu, dès lors que le doigt était posé sur ce point litigieux, mener une enquête plus étendue sur la nature exacte des qualités de M. Zehntner et l’existence de sa communauté, en référence au chiffre 1 de la Déclaration des devoirs et des droits («Rechercher la vérité»). Le fait de répercuter les explications de M. Zehntner lui-même paraît peu satisfaisant, quand bien même le libellé de la précision est de nature à installer le doute dans l’esprit du lecteur quant à l’autorité véritable de l’auteur de l’article.
12. Quant à l’explication donnée par le directeur-responsable du «Temps» qu’il n’existe «pas de registre des rabbins» (lettre du 12 octobre), elle ne dispensait pas la rédaction de pousser plus loin ses recherches. Les pièces fournies par les plaignantes indiquent qu’un champ de recherche a été ignoré, dont le jugement du Tribunal administratif de Berne refusant le statut de communauté religieuse à la communauté de M. Zehntner, des extraits de presse signalant l’aspect récurrent de ce que les plaignantes considèrent comme une imposture et la possible référence à une source officielle telle que la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Sur ce point, il est significatif que le texte adressé par M. Zehntner lui-même au Conseil suisse de la presse ne donne d’autres explications de l’existence de sa communauté que la liberté d’association selon les art. 60ss du Code civil et de sa qualité de rabbin que la liberté de ladite association de le désigner comme tel.
13. Le Conseil suisse de la presse a décidé de ne pas entrer en matière sur la question du délai mis par la rédaction du «Temps» à répondre aux plaignants, sinon pour considérer comme recevable le motif de la période estivale invoqué par le directeur-rédacteur en chef, compte tenu des partages de responsabilités au sein d’une rédaction. De plus, il note que les manques de l’enquête signalés plus haut peuvent aussi s’expliquer, positivement, par la volonté de faire connaître sans attendre au lecteur l’existence de points litigieux (la «Précision» est publiée le 6 août, soit trois jours seulement après la parution de l’article). Enfin, la question de la publication ou non publication de lettres de lecteur paraît peu pertinente en matière de devoir de rectification : c’est à la rédaction et non aux lecteurs qu’il appartient de corriger l’erreur matérielle qui lui incombe.
14. La rédaction du «Temps» aurait donc dû donner à ses lecteurs davantage d’éléments factuels concernant la qualité de M. Zehntner et sa communauté, de manière à répondre plus précisément au devoir de rectification. En se contentant de fournir les explications de M. Zehntner lui-même, elle s’est dédouanée «du bout des lèvres» pour reprendre une expression utilisée par le Conseil suisse de la presse dans d’autres circonstances (prise de position 1989-1990, p. 21,ss. S c. Télévision suisse romande) lorsque celui-ci requiert que «les faits corrigés doivent être clairement énoncés afin que le public soit à même d’apprécier correctement l’état des choses». En l’espèce, on doit considérer que le mode de rectification adopté heurte le chiffre 1 de la Déclaration des devoirs et des droits ainsi que, d’une certaine manière, l’une des dispositions du chiffre 3 («Ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels»), non par suppression délibérée de ces éléments, mais par défaut dans la recherche. Le Conseil suisse de la presse conclut que, dans une affaire aussi délicate en raison de son contexte, «Le Temps» aurait dû procéder à une rectification plus claire ou, à défaut, fournir davantage d’éléments permettant au lecteur de procéder à une appréciation plus précise de la qualité de «rabbin» de M. Zehntner et l’existence institutionnelle de la «communauté israélite libérale de Berne».
III. Conclusions
1. La plainte de la CICAD et de la FSCI est partiellement acceptée.
2. Une rédaction ne peut être tenue pour responsable d’une imposture ou d’une usurpation dès lors que son auteur prend lui-même le risque de faire état publiquement de qualités et titres dont il affirme se prévaloir et qui sont contestés à l’insu de la rédaction. Sur ce point, «Le Temps» n’a pas violé le chiffre 3 de la Déclaration des devoirs et des droits
3. Lorsque ces qualités et titres sont de nature à conférer une autorité aux propos d’un auteur et qu’elles sont niées formellement par le milieu même dont il se réclame, il est du devoir de la rédaction de le signaler clairement, aussitôt qu’il en a connaissance, en donnant au lecteur non seulement les explications de l’intéressé, mais aussi l’ensemble des éléments accréditant la thèse de l’imposture ou de l’usurpation. Sur ce point, «Le Temps» n’a pas satisfait pleinement aux exigences de la recherche de la vérité posées par le chiffre 1 ni à celles du devoir de rectification énoncé au chiffre 5 de la Déclaration des devoirs et des droits.