I. En fait
A. Le 13 mai 2003, au cours de la conférence de presse annuelle de l’Office des juges d’instruction du canton de Fribourg essentiellement consacrée au bilan 2002 de cet office, un intervenant annonce le dépôt de plaintes contre l’association «Appel au Peuple» par trois juges d’instruction (dont le président de l’office), un président de tribunal et un greffier.
B. Le 14 mai 2003, le quotidien «La Liberté» fait état de ces plaintes dans un article encadré de la journaliste Claudine Dubois, en rapportant notamment ces quelques brefs propos de Jean-Luc Mooser, vice-président de l’Office des juges d’instruction: «Ils (les membres d’ÐAppel au Peupleð) se renseignent auprès des parents et des voisins des juges, en se faisant passer pour des camarades d’études ou des commerçants. Ils s’en prennent aux épouses des juges en leur communiquant de prétendues turpitudes de leurs maris. Ils s’en prennent aussi aux enfants. Enfin, ils viennent manifester devant le domicile des juges.»
C. Le 23 mai 2003, le journal «L’Objectif» s’attarde assez longuement sur le dépôt de ces plaintes en donnant la parole à Jean-Frédéric Schmutz, président de l’Office des juges d’instruction, ainsi qu’à Gerhard Ulrich et Daniel Conus, respectivement président et membre d’«Appel au peuple».
D. Le 28 mai 2003, Gerhard Ulrich, président d‘ «Appel au peuple», porte plainte contre «La Liberté» auprès du Conseil de la presse. «La Liberté» n’ayant pas sollicité le point de vue d’«Appel au peuple» avant de publier son article encadré du 14 mai 2003 (voir lettre B). Gerhard Ulrich fonde sa plainte sur ce qui représente, à ses yeux, une violation de la directive 3.8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» (audition lors de reproches graves).
E. Le 12 juin 2003, le quotidien «La Liberté» adresse au Conseil de la presse sa prise de position à l’égard de la plainte déposée contre lui par l’«Appel au peuple». Le rédacteur en chef adjoint de «La Liberté» conclut au rejet de cette plainte sur la base de trois arguments. Tout d’abord, il estime que son journal ne pouvait passer sous silence la démarche – rare et dès lors significative – de magistrats qui déposent eux-mêmes des plaintes. Ensuite, il précise qu’«Appel au peuple» n’a pas contesté ses visites domiciliaires aux juges impliqués. Finalement, il met en cause les méthodes d’«Appel au peuple» qui tentent, en permanence, d’instrumentaliser les médias.
F. La plainte a été transmise à la 2ème Chambre du Conseil de la Presse, composée de Mmes Sylvie Arsever et Nadia Braendle ainsi que des MM. Daniel Cornu (président), Jean-Pierre Graber, Ueli Leuenberger, Michel Zendali et Dominique von Burg.
G. La 2ème Chambre a traité la plainte dans ses séances du 22 août, 30 octobre et 12 décembre 2003.
II. Considérants
1. Selon la directive 3.8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste, les journalistes» ont pour devoir d’entendre, avant publication, une personne faisant l’objet de reproches graves et de reproduire brièvement et loyalement sa position dans le même article. Le Conseil de la presse a rappelé, à de nombreuses reprises, cette règle déontologique fondamentale. La question est de savoir si le journal «La Liberté» a contrevenu à la directive 3.8 susmentionnée en faisant état, dans son édition du 14 mai 2003, des plaintes déposées par des magistrats fribourgeois contre l’association «Appel au peuple» sans avoir accordé à cette dernière la possibilité de donner son point de vue sur ces plaintes, ne serait-ce que brièvement.
2. Il convient tout d’abord de s’interroger sur le degré de gravité des reproches contenus dans la plainte des magistrats fribourgeois contre l’«Appel au peuple» (évidemment dans la version journalistique et résumée à laquelle les lecteurs de «La Liberté» ont eu accès). Ce degré de gravité n’est pas facile à déterminer. Les actes évoqués dans la plainte des juges d’instruction ne sont pas parmi les plus graves du code pénal mais ils n’en imputent pas moins à l’organisation visée un comportement peu honorable, notamment s’agissant de prendre des enfants pour cible. «La Liberté» écrit en outre que le vice-président de l’Office des juges d’instruction, Jean-Luc Mooser, a dénoncé les «méthodes à la fois sournoises et méprisables» d‘ «Appel au peuple». Il n’est toutefois pas reproché aux membres de l’organisation d’avoir agi pour des mobiles inavouables ou crapuleux et le caractère de démonstration de leurs actes est reconnu. En résumé, «La Liberté» pouvait légitimement avoir un doute sur la gravité des reproches formulés dans la plainte dont elle s’est fait l’écho. Mais ce doute aurait dû normalement suffire à l’inciter à recueillir le point de vue de l’«Appel au peuple».
3. Toutefois, l’«Appel au peuple» et ses positions ne sont pas inconnus des lecteurs de «La Liberté». Durant l’année qui a précédé la conférence de presse de la justice fribourgeoise, «La Liberté» a régulièrement rendu compte des activités d‘ «Appel au peuple» et des critiques de cette association à l’égard «des dysfonctionnements de la justice». Dans «La Liberté» du 9 septembre 2002, on pouvait notamment lire que cette association entendait changer de stratégie en interpellant des politiciens et des magistrats directement à leur domicile. Lors d’une assemblée de l’association, le président Gerhard Ulrich aurait notamment exhorté les membres présents à s’adresser en premier lieu à Pascal Corminboeuf ainsi qu’à Liliane Maury Pasquier en leur téléphonant et en leur écrivant. A cet effet, il aurait projeté leur adresse et leur numéro de téléphone sur un écran. A la fin de septembre 2002, ce quotidien a en outre informé ses lecteurs que la justice fribourgeoise récusait publiquement les reproches formulés à son encontre par un membre fribourgeois d’«Appel au peuple». Finalement, à la fin du mois de janvier 2003, «La Liberté» a relaté la décision de la commission de Justice du Grand Conseil fribourgeois de ne pas entrer en matière au sujet d’une pétition d‘ «Appel au peuple».
Dans ce contexte et vu la dimension réduite de l’article consacré à la plainte des juges fribourgeois, la Liberté pouvait se sentir autorisée à ne pas donner une nouvelle fois la parole à l’Association à l’occasion de l’annonce publique du dépôt de cette plainte.
4. Dans ces conditions, la directive 3.8 de la «Déclaration des devoirs» n’a pas été transgressée. Toutefois, il eût été opportun que «La Liberté» restitue, à l’intention de ses lecteurs, ne fût-ce que très brièvement, le contexte général de la plainte de quelques magistrats fribourgeois en se référant à ses propres articles antérieurs relatifs à cette affaire.
III. Conclusion
La plainte est rejetée.