Nr. 79/2019
Recherche de la vérité / Courrier des lecteurs

(Willemin c. «Quotidien jurassien»)

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I. En fait
A.1. Le 28 novembre 2018, l’assemblée communale de Saignelégier refuse le budget 2019 de la commune. Cette décision fait rebondir une polémique qui oppose depuis un certain temps le directeur du Centre de Loisirs (CL), André Willemin, aux autorités communales. Le premier nommé reproche à la commune de mal gérer les deniers publics, les seconds estiment pour leur part qu’ils ont à supporter un déficit croissant du Centre de Loisirs. Dans ce contexte, l’ancien maire de Saignelégier, René Girardin, adresse un courrier des lecteurs au «Quotidien jurassien». Le quotidien décide de ne pas le publier, mais de consacrer un article rédactionnel à l’affaire.

A.2. En attendant, le 4 décembre 2018, le «Quotidien jurassien» fait état de l’affirmation du ministre jurassien Charles Juillard, sur une radio locale, «qu’un élément qui pèse lourd dans les comptes de Saignelégier, c’est le déficit du Centre de Loisirs parce que la commune doit en supporter la moitié». Le journal ajoute la réaction du directeur du Centre de Loisirs, pour qui «les profits directs et indirects engendrent un bénéfice pour la commune de Saignelégier». «On ne peut qu’estimer les retombées», répond le maire Vincent Wermeille. Et il poursuit: «Si le CL voulait mettre en évidence les répercussions, il aurait fallu que l’entrée en matière soit acceptée et qu’il y ait débat autour du budget.»

A.3. L’article rédactionnel préparé par le «Quotidien jurassien» paraît le 8 décembre, sous le titre «Débats, divisions et attaques virulentes». Il donne la parole aux deux parties. L’ancien maire «affirme que le Centre coûte toujours plus cher aux collectivités publiques, et pointe un manque de transparence à sa tête». Le directeur du Centre «rejette ces affirmations et rappelle tous les bénéfices indirects du CL pour la commune. Il appelle en outre cette dernière à changer totalement de paradigme pour sortir du marasme.»

A.4. En réaction aux propos du directeur du CL dans les deux articles précités, René Girardin adresse un nouveau courrier au «Quotidien jurassien», qui le publie le 11 décembre 2018. «A ce jour», écrit-il entre autres, «le directeur exclut toujours plus les communes de la gestion et du contrôle du CL. Les communes n’ont plus qu’un droit, celui de payer les déficits.» Et le 19 décembre, le «Quotidien jurassien» publie, toujours dans le Courrier des lecteurs, la réponse de Thierry Paratte, président du Conseil d’administration du CL. Ce dernier rejette «les inepties énoncées par M. Girardin». Déplorant «ces multiples attaques gratuites et infondées», il «s’étonne qu’elles soient relayées aussi largement dans la presse».

B. Le 21 décembre 2018, le Directeur du Centre de Loisirs des Franches Montagne saisit le Conseil suisse de la presse. Il juge l’article du 8 décembre «correct». Il s’étonne toutefois que le journal ait choisi de faire un article suite aux affirmations «fausses» du premier courrier de l’ancien maire (selon le plaignant, le déficit du CL n’augmente pas, et il fournit des chiffres au Conseil de la presse). Il s’étonne encore plus de la publication du second courrier de M. Girardin et déplore qu’il ait fallu insister pour que la même longueur soit accordée à la réponse de M. Paratte. A la demande du Conseil de la presse de préciser quels seraient les chiffres de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»), le plaignant mentionne par courrier du 21 janvier 2019 les chiffres 1, 3 et 5 de la «Déclaration» seraient touchés, sans autre précision.

C. Le 18 mars 2019, Rémy Chételat, rédacteur en chef du «Quotidien jurassien», prend position. Si le journal a décidé de faire un article rédactionnel plutôt que de publier la première lettre de l’ancien maire, c’était pour «donner, vue l’ambiance tendue qui régnait, la parole à toutes les parties concernées». M. Girardin s’étant senti «attaqué pour sa gestion de la commune lorsqu’il était maire» par les publications subséquentes, le journal lui a donné la possibilité de s’exprimer en publiant son second courrier, auquel a ensuite répondu le président du Conseil d’administration du CL. Le rédacteur en chef précise que les deux courriers publiés ont tous les deux dépassée les 1700 signes généralement admis par le journal et qu’ils étaient de longueur sensiblement égale.

En ce qui concerne le déficit du centre, le rédacteur en chef fait remarquer que les chiffres communiqués au Conseil de la presse montrent un déficit annuel du CL plus important entre 2015–2016 qu’en 2011–2012 et 2014–2015. Il admet en outre que «le courrier des lecteurs de René Girardin est certes vif dans son propos (…) mais ne contient aucune affirmation manifestement mensongère». Comme le recommande le Conseil de la presse dans sa directive 5.2, «nous accordons dans les courriers des lecteurs la plus large place possible à la liberté d’expression et n’intervenons que lorsqu’un texte viole à l’évidence le code». Et Rémy Chételat de conclure: «Nous avons le sentiment d’avoir traité ce dossier selon les règles déontologiques de la profession, sans travestir la vérité des faits».

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 30 décembre 2019 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Au vu du manque de précision de la plainte concernant les violations concrètes alléguées, le Conseil de la presse présume que le chiffre 1 de la «Déclaration» concerne les affirmations du courrier de l’ancien maire selon lesquelles le Centre de Loisirs coûte toujours plus cher aux collectivités publiques, et selon lesquelles la direction du CL manque de transparence.

De la lecture des différents articles, il ressort que pour le directeur du CL, le centre rapporte plus en profits indirects aux communes que ne leur coûte la couverture des déficits. C’est un point de vue qui peut se défendre, mais qui ne contredit pas le fait que les communes doivent débourser d’avantages de manière directe si le déficit augmente – comme les chiffres semblent le prouver. Quant au manque – ou non – de transparence, le Conseil de la presse n’est pas en mesure de juger qui de l’ancien maire ou du directeur a raison. En donnant les différentes manières de voir dans ce conflit, le «Quotidien jurassien» a rempli son rôle d’information et n’a certainement pas violé le devoir de vérité.

2. Il ne ressort pas de la plainte en quoi le chiffre 3 (traitement des sources) de la «Déclaration» serait violé.

3. Pour ce qui est de la violation alléguée du chiffre 5 de la «Déclaration», le Conseil de la presse présume qu’il s’agit des dispositions touchant le courrier des lecteurs. Et à cet égard, il considère que la manière d’agir de la rédaction du «Quotidien jurassien» était tout à fait conforme aux normes déontologiques, comme le fait valoir son rédacteur en chef.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. Dans les articles et les publications de lettres de lecteurs entourant le conflit entre le Centre de Loisirs de Saignelégier et les autorités communales, le «Quotidien jurassien» n’a pas violé les chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (traitement des sources) et 5 (courrier des lecteurs) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».