I. En fait
A. Le 24 mai 2020, la RTS diffuse dans le cadre de l’émission Forum son débat hebdomadaire entre journalistes. Ce 24 mai, la question débattue est la suivante: «A-t-on censuré les voix critiques. Pourquoi dans les médias a-t-on entendu si peu de personnalités ouvertement opposées à la stratégie sanitaire de la Confédération?» Le débat réunit Virginie Matter (journaliste scientifique et rédactrice en chef adjointe à la radio RTS), Laurent Keller (rédacteur en chef de «Léman Bleu») et Stéphane Benoît-Godet (rédacteur en chef du «Temps»). Au cours du débat, la personne de Jean-Dominique Michel – une des voix très critiques à l’égard du Conseil fédéral et qui s’exprime fréquemment notamment sur les réseaux sociaux – est évoquée.
B. a) Le 6 juillet 2020, puis le 24 juillet 2020 sous forme raccourcie, Jean-Dominique Michel saisit le Conseil suisse de la presse. Il se plaint en particulier de propos dénigrants «portant atteinte à sa réputation … en dépit de la réalité de mon expérience» (articles dans des revues de santé publique, invitations comme conférencier, etc.). Il se plaint de n’avoir pas été entendu avant que des reproches à son encontre soient émis sur les ondes ainsi que des erreurs de faits concernant ses positions. Enfin, il estime que des propos mensongers ont été tenus.
b) En application de l’article 17, al 2, de son règlement, le Conseil de la presse décide de limiter sa prise de position aux aspects essentiels de la plainte, soit les passages de l’émission où les participants au débat auraient prononcé des contre-vérités.
c) Les contre-vérités suivantes sont alléguées par le plaignant:
– Laurent Keller, rédacteur en chef de «Léman Bleu», affirme que lors d’un échange contradictoire avec le professeur Didier Pittet sur son antenne, Jean-Dominique Michel a soutenu «que le coronavirus n’a atteint gravement que les obèses et les personnes très âgées», mais que le Docteur Pittet est «venu rétablir une vérité» à savoir qu’il y a aussi des jeunes qui ont été gravement malades. A ce sujet, le plaignant fait valoir les analyses plus différenciées qu’il a publiées sur son blog, concernant notamment les statistiques de mortalité en Italie.
– Dans l’émission, le rédacteur en chef du «Temps» décrit ainsi le contact qu’il a eu avec M. Michel: ayant eu beaucoup d’impact avec son blog «il nous a contacté pour dire ah j’ai eu énormément d’impact, vous ne voulez pas parler de moi? Je lui ai dit c’est quoi votre propos et puis je ne comprends pas tellement votre point de vue, de quel point de vue vous l’écrivez et là il n’était pas clair et il n’a pas demandé plus.» Le plaignant soutient que le contact ne s’est pas passé ainsi, et que notamment des messages électroniques ont été échangés.
– L’expertise du plaignant est jugée problématique dans plusieurs passages de l’émission, notamment quand Virginie Matter, journaliste à la RTS, le qualifie ainsi: «cette personne qui se déclare anthropologue de la santé avec une expertise dont on doute à l’heure actuelle». A ces déclarations, le plaignant oppose une liste d’institutions où il a été invité à présenter ses travaux, ainsi que des articles et des communications présentées dans des congrès d’anthropologie.
C. Dans sa prise de position datée du 30 octobre 2020, la Radio Télévision Suisse (RTS) prend position sous la plume de Laurent Caspary, rédacteur en chef, et Anaïs Fontaine, juriste.
En préambule, la RTS rappelle que le débat de Forum porte sur des questions d’actualité et des questions journalistiques. «Des reproches ont été faits aux différents médias, dit traditionnels, de ne pas relayer les voix critiques en ces temps de crise. Parmi ces voix figurait celle de Jean-Dominique Michel.» Il était donc normal que l’on parle, entre autres, de lui.
Concernant le passage de l’émission où le rédacteur en chef de «Léman Bleu» relate un échange entre M. Michel et le Docteur Pittet, la RTS fait remarquer que ces propos relatent strictement ce qui a été dit sur «Léman Bleu». Le rappel du rédacteur en chef de «Léman Bleu» n’est donc pas mensonger.
Pour ce qui est de la prise de contact entre le plaignant et le rédacteur en chef du «Temps», la RTS fait valoir qu’il s’agit simplement d’un résumé oral qui, pour l’essentiel, correspond à la vérité.
Concernant enfin les doutes exprimés par Mme Matter quant à l’expertise du plaignant, la RTS détaille les vérifications effectuées par la journaliste. Il en ressort «une expertise reconnue par les pairs dans le domaine de la santé mentale et plus spécifiquement dans le milieu des addictions en Suisse romande où son regard à contre-courant est apprécié». En revanche, «les informations collectées par la journaliste et les retours de nombreux interlocuteurs n’ont pas permis d’identifier chez Jean-Dominique Michel une expérience en gestion de crise sanitaire, en maladies infectieuses ou en épidémiologie».
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg (vice-président) et Max Trossmann (vice-président), puis de Susan Boos, présidente, Max Trossmann et Annik Dubied, vice-présidents, a traité la présente prise de position le 24 août 2021 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Tout d’abord, le Conseil de la presse fait remarquer qu’on est en présence d’un débat radiophonique en direct, et que ce débat ne portait pas sur le degré d’expertise du plaignant, mais bien sur la question de savoir si les médias romands avaient donné suffisamment de place aux voix qui contestaient la politique sanitaire des autorités. Dans ce cadre, il serait parfaitement illusoire et exagéré d’exiger des journalistes participants de confronter, au préalable, leurs points de vue à ceux des personnes citées. Pour cette raison, le Conseil de la presse n’a pas retenu les aspects de la plainte qui portait sur le droit d’être entendu.
2. Au vu de l’activité importante déployée par le plaignant sur les réseaux sociaux notamment dès les premières mesures édictées par le Conseil fédéral pour lutter contre la pandémie, il était tout à fait normal que son cas soit évoqué dans le débat précité, puisque la plupart des médias (et notamment deux de ceux représentés au débat) avaient choisi de ne pas lui donner la parole.
3. Concernant enfin les atteintes alléguées au devoir de vérité, le Conseil de la presse constate ce qui suit:
– le plaignant lui-même ne conteste pas la manière dont le rédacteur en chef de «Léman Bleu» a rendu compte de l’échange sur les ondes entre le Dr Pittet et le plaignant. Le devoir de vérité n’est donc pas violé, même si dans d’autre circonstances le plaignant s’est sans doute exprimé de manière plus nuancée à propos de la prévalence de la maladie chez les obèses et les personnes âgées.
– pour ce qui est de la manière dont se sont déroulés les contacts entre le plaignant et «Le Temps», le Conseil de la presse se trouve en présence d’affirmations contradictoires. Il ne peut donc constater de violation du devoir de rechercher la vérité.
– au vu des éléments fournis par la RTS, les doutes exprimés par sa journaliste lors de l’émission quant à l’expertise du plaignant en matière de crise sanitaire paraissent justifiés. Les articles et autres invitations à des séminaires cités par le plaignant ne changent pas cette impression, surtout si l’on se réfère à la spécificité de cette pandémie.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En diffusant le débat sur la question de savoir si les médias ont censuré les voix critiques quant à la stratégie sanitaire de la Confédération, la RTS n’a pas violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».