I. En fait
A. Le 30 décembre 2021, le site francophone du «Blick.ch» publie un article signé par Johannes Hillig, et «adapté» par Yvan Mulone, sous le titre: «Prof d’économie zurichois banni par Twitter pour diffusion de fausses infos». Il y est relaté que Martin Janssen, politologue et économiste zurichois de 73 ans, s’est illustré sur Twitter en publiant de fausses informations, raison pour laquelle son compte a été bloqué. Il aurait affirmé que le vaccin à ARNm était dangereux: de minuscules fragments d’obus (shrapnel) pénétreraient dans la circulation sanguine et détruiraient les cellules du sang. Sur quoi Twitter a bloqué son compte.
Martin Janssen s’était auparavant engagé aux côtés de Rahel Blocher, fille de Christoph Blocher, dans la campagne «Gesund und Frei», au cours de laquelle il avait reproché aux politiques de «tout faire pour que les gens ne puissent pas se soigner chez eux». À ses yeux, c’est la raison pour laquelle des produits comme l’ivermectine ne peuvent pas être achetés en Suisse. Il s’agit, selon le «Blick», d’un vermifuge destiné aux chevaux que les opposants à la vaccination présentent pourtant comme une alternative à la piqûre. Swissmedic et divers médecins ont déjà mis en garde contre ce produit. En effet, l’ingestion incontrôlée par un être humain serait dangereuse pour la santé. Ni les États-Unis, ni l’Allemagne, ni l’Autriche, ni la Suisse n’autorisent ce produit pour combattre le coronavirus. Le vermifuge a malgré tout l’aura d’un remède miracle aux yeux des antivax.
Une chose est certaine, poursuit l’article, le Prof. Janssen ne pourra plus, au moins dans un futur proche, en faire la promotion sur Twitter. Ni évoquer l’action dévastatrice de fragments de shrapnel sur les cellules sanguines des vaccinés. Le texte se conclut par la question: «Une bonne ou une mauvaise nouvelle?»
B. Le 2 mars 2022, X. a saisi le Conseil suisse de la presse pour se plaindre d’une violation des chiffres 1 (vérité) et 2 (indépendance des médias) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après: «Déclaration»).
Elle fait valoir que l’auteur du texte désigne par trois fois l’ivermectine de vermifuge destiné aux chevaux et omet de dire que l’Organisation mondiale de la santé a classé le produit en tant que médicament de base pour les humains. Elle indique que ledit médicament a été administré sept milliards de fois au cours des 40 dernières années et qu’il agit comme antiviral et antibactérien contre le cancer et les inflammations. Il a bien sûr, complète-t-elle, des effets secondaires, mais il ne s’agit pas, comme le «Blick» l’affirme, d’un simple vermifuge pour les chevaux. Du reste, poursuit-elle, le «Blick», sur son site francophone, s’est fait le porte-voix du gouvernement pendant toute l’année 2021 et il a monté une partie de la population contre l’autre. Si l’ivermectine est bel et bien un vermifuge destiné aux chevaux, reconnait-elle, elle est bien plus que ça et le dissimuler revient à ne fournir que la moitié des informations. Cette manière de faire transforme l’autre moitié en mensonge.
C’est pourquoi la plaignante demande également que le «Blick» soit tenu de publier un article de la même longueur sur l’histoire et les mécanismes d’action de l’ivermectine et la «bénédiction» accordée au produit par l’Organisation mondiale de la santé.
C. Le 23 septembre 2022, le Conseil de la presse a décidé, conformément à l’art. 17, al. 2, de son Règlement, de limiter la plainte à une violation du chiffre 3 de la «Déclaration» (omission d’éléments d’information essentiels). Il ne voit pas de violation du chiffre 2 de la «Déclaration» (indépendance des médias) telle que l’invoque la plaignante, qui justifie prioritairement sa plainte par l’omission d’informations importantes. L’omission représente une violation du chiffre 3 de la «Déclaration», qui implique aussi une violation du chiffre 1, auquel la plaignante se réfère également. La plaignante s’est déclarée d’accord avec cette manière de procéder le 27 septembre 2022.
D. Le 11 octobre 2022, l’avocat Matthias Schwaibold a répondu à la plainte, au nom de la rédaction en chef du «Blick», et demandé qu’elle soit rejetée. Il critique d’abord la longueur de la procédure menée au Conseil de la presse. Concernant la violation invoquée du chiffre 3 de la «Déclaration», il signale que le véritable sujet de l’article était le blocage du compte Twitter du Prof. Janssen. Il se permet de faire deux petites parenthèses. Premièrement au sujet de l’opinion de Martin Janssen selon laquelle la vaccination contre le Covid introduirait des shrapnels dans les veines, dommageables pour les cellules sanguines. Deuxièmement sur sa théorie expliquant pourquoi le médicament qu’est l’ivermectine n’est pas vendu en Suisse. La plaignante admet elle-même que ce produit est surtout utilisé contre les affections vermineuses des chevaux. La question de savoir si le produit peut ou ne peut pas être utilisé dans d’autres buts n’a aucune importance pour le cœur de l’histoire. L’important est qu’il n’est pas autorisé pour traiter le Covid-19. Tout ce qui est vrai n’est pas important, le journalisme a pour tâche de mettre en lumière ce qui est important parmi ce qui est vrai.
E. Le 20 décembre 2022, le Conseil de la presse a communiqué aux parties que la plainte serait traitée, conformément à l’art. 13, al. 1, de son Règlement, par la présidence, composée de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président) et d’Ursina Wey (directrice).
F. La présidence du Conseil de la presse a adopté la présente prise de position le 30 décembre 2022.
II. Considérants
1. La plaignante reproche à l’article de «Blick.ch» de violer le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Ce chiffre enjoint notamment les journalistes à «ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels; ne dénaturer aucun texte, document, image et son, ni l’opinion d’autrui».
Il faut acquiescer à la plaignante: «Blick.ch» n’a pas mentionné que l’ivermectine est un moyen qui n’est pas utilisé seulement pour lutter contre les vers dont sont affectés les chevaux, mais aussi dans la médecine humaine. La question se pose alors de savoir si un «élément d’information essentiel» a été omis, chose qui est la condition d’une violation du chiffre 3 de la «Déclaration». Compte tenu du fait que le contexte de l’article était la «lutte contre le Covid» et que l’article traitait du blocage du compte Twitter d’une personnalité, il faut répondre à cette question par la négative. L’ivermectine n’a pas été et n’est toujours pas autorisée par les autorités sanitaires pour traiter le Covid, qui avertissent expressément que le dosage élevé requis pour avoir éventuellement un effet – si tant est qu’il puisse y en avoir un – pourrait entraîner de graves dommages. Au vu de la situation, il était légitime, dans l’esprit de la concision journalistique, de ne pas aborder les différents domaines d’application, limités, du médicament dans la médecine humaine.
2. La plaignante demande en outre que le «Blick» soit tenu de publier un article de même longueur traitant de l’ivermectine, de son histoire et de ses applications dans la médecine humaine. Cette préoccupation ne relève pas de la compétence du Conseil de la presse, qui n’est pas habilité à donner des instructions aux rédactions mais dont le rôle est d’examiner si un compte rendu satisfait aux exigences de la «Déclaration».
III. Conclusions
1. Le Conseil de la presse rejette la plainte.
2. Le site francophone «Blick.ch» n’a pas violé le chiffre 3 (omission d’informations importantes) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» avec l’article «Prof d’économie zurichois banni par Twitter pour diffusion de fausses infos».