I. En fait
A. Le 7 septembre 2018, «Le Temps» publie sur son site internet un article de François Musseau intitulé «En Catalogne, la guerre des rubans jaunes». «Jour après jour», écrit-il, «les partisans d’une sécession de la Catalogne posent des rubans jaunes. Ces symboles de l’incarcération des leaders indépendantistes sont systématiquement enlevés par les unionistes.» Plus loin, le journaliste précise: «Dans de rares cas, il s’agit de mouvements d’extrême droite. Mais le plus souvent, des sympathisants de Ciudadanos, une formation espagnoliste, qui a obtenu le plus de votes lors des dernières législatives régionales, quoique minoritaire.» Par ailleurs, le journaliste raconte: «L’omniprésence de ces rubans jaunes, désormais totems de la Catalogne séparatiste, est aussi la cause d’un conflit civil. Car une autre moitié de Catalans, favorables au maintien de leur région dans le giron espagnol, considère que cette occupation de l’espace public est intolérable.»
B. Le 18 septembre 2018, X. adresse une plainte au Conseil suisse de la presse à propos de cet article. «En plus d’une question d’ambiance néfaste pour la bonne compréhension de l’antagonisme catalan», le compte rendu serait tendancieux et lacunaire. Le plaignant met d’abord en cause l’usage du terme «unioniste», alors qu’il est seulement question «de citoyens comme vous et moi qui voient leur autonomie prise en otage par un fantasme séparatiste …». Le plaignant s’en prend ensuite au terme «espagnoliste» utilisé pour qualifier la formation politique Ciudadanos. Pour lui, ce terme est réducteur et dénigrant: «Ce sont bien des Catalans et des citoyens lambda qui ont plébiscité cette formation (…) une offre de proposition politique à part entière catalane et non ‹espagnoliste›.» Enfin, de parler de deux camps en Catalogne serait fallacieux et préjudiciable. En effet, «c’est passer sous silence qu’il y a des sentences de la justice catalane qui prohibent le fait d’occuper la voie publique avec des symboles politiques. (…) Ainsi il n’est pas question d’un match politique mais de justice.» Par trois fois, «Le Temps» aurait donc violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
C. «Le Temps» prend position le 1er novembre 2018, par l’entremise de son rédacteur en chef, Stéphane Benoit-Godet. Il défend son correspondant, basé à Madrid et qui s’est rendu plusieurs fois en Catalogne, contrairement à ce que laisse entendre le plaignant. A propos des reproches concrets formulés par ce dernier, le rédacteur en chef précise ce qui suit. Le terme «unioniste» ne démontre un biais pro-indépendantiste, puisqu’il «est couramment utilisé dans la presse espagnole, pourtant peu suspecte de sympathie envers les indépendantistes catalans». Quant au qualificatif «espagnoliste» il n’est pas dénigrant: A preuve, «Ciudadanos revendique cette étiquette en Catalogne, tout en étant un parti national, représenté au parlement de Madrid». Enfin, précise le rédacteur en chef, «il y a bien deux camps en Catalogne, pro-indépendantistes et anti-indépendantistes, avec certes des nuances». Par ailleurs, conclut-il, «cet article prend bien le soin de donner la parole à des personnalités des deux bords».
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 26 août 2019 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Dans la mesure où le plaignant semble déplorer que «Le Temps» consacre un article à la «guerre des rubans jaunes» et à son avis cherche ainsi à créer «une ambiance néfaste», le Conseil de la presse ne peut pas le suivre. En publiant cet article, «Le Temps» ne fait qu’exercer sa liberté rédactionnelle, en informant d’ailleurs sur un fait très illustratif du vécu des Catalans.
2. En ce qui concerne les reproches particuliers du plaignant, force est de reconnaître que l’argumentation du «Temps» est convaincante. Les termes «unionistes» et «espagnoliste» ne sont visiblement ni faux, ni dénigrants. Quant à la séparation de la Catalogne en deux camps de force sensiblement égale, elle est évidente. En conclusion, le Conseil de la presse ne voit pas en quoi le journal aurait violé le chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant sur son site l’article «En Catalogne, la guerre des rubans jaunes», «Le Temps» n’a pas violé le chiffre 1 (Rechercher la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».