Nr. 38/2025
Suppression d’informations / Rectification

(Ville de Bulle c. «La Liberté»)

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Zusammenfassung

Die Stadt Bulle reichte beim Schweizer Presserat Beschwerde ein, nachdem im November 2024 ein Artikel in «La Liberté» erschienen war. Die Zeitung hatte darin einen vertraulichen Untersuchungsbericht über die Entschädigung des ehemaligen Generalsekretärs der Stadt, Raoul Girard, offengelegt. Auf der Titelseite lautete die Überschrift: «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle» (Der Gemeindeschreiber muss der Stadt Bulle das Geld zurückgeben). Die Stadt Bulle wirft «La Liberté» vor, dem Publikum den Eindruck vermittelt zu haben, diese Rückzahlung sei eine offizielle Entscheidung gewesen, obwohl es sich lediglich um einen Vorschlag eines Experten handelte, und die Information nicht korrigiert zu haben, als der endgültige Entscheid bekannt wurde (die Präfektin forderte keine Rückzahlung).
Der Schweizer Presserat kommt zum Schluss, dass der Artikel klar dargelegt habe, dass es sich um einen Untersuchungsbericht und nicht um einen Entscheid handelte; das Publikum habe verstehen können, dass die Untersuchung noch nicht abgeschlossen war. Auch wenn der Titel auf der Titelseite zu kategorisch formuliert gewesen sei, habe der Untertitel die Situation korrekt erklärt. Der Presserat kommt daher zum Schluss, dass «La Liberté» die berufsethischen Regeln nicht verletzt hat, und weist die Beschwerde ab.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a été saisi par la Ville de Bulle après un article de « La Liberté » publié en novembre 2024. Le journal y révélait un rapport d’enquête confidentiel sur la rémunération de l’ancien secrétaire général de la Ville, Raoul Girard. En une, le journal titrait: « Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle ». La Ville de Bulle reproche à « La Liberté » d’avoir fait croire au public que cette restitution était une décision officielle, alors que ce n’était qu’une proposition d’un expert et de ne pas avoir corrigé cette information une fois la décision finale connue (la préfète n’a pas exigé de remboursement).
Après examen, le Conseil estime que l’article expliquait clairement qu’il s’agissait d’un rapport d’enquête, pas d’une décision; le public pouvait comprendre que l’enquête n’était pas terminée. Même si le titre de une était formulé de façon trop catégorique, le sous-titre précisait correctement la situation. Le Conseil conclut donc que « La Liberté » n’a pas enfreint les règles déontologiques et rejette la plainte.

Riassunto

La città di Bulle ha presentato un reclamo al Consiglio svizzero della stampa a seguito di un articolo pubblicato da «La Liberté» nel novembre del 2024, in cui il quotidiano rivelava un rapporto d’inchiesta confidenziale sulla retribuzione dell’ex segretario generale della città, Raoul Girard.
In prima pagina il giornale titolava: «Il segretario generale deve restituire il denaro a Bulle». La città di Bulle rimprovera a «La Liberté» di aver fatto credere al pubblico che tale restituzione costituisse una decisione ufficiale, mentre si trattava soltanto della proposta di un esperto, e di non aver corretto questa informazione una volta resa nota la decisione finale (il comune non ha richiesto alcun rimborso). Dopo aver esaminato il caso, il Consiglio della stampa ha ritenuto che l’articolo spiegasse in modo chiaro che si trattava di un rapporto d’inchiesta e non di una decisione; il pubblico poteva quindi intendere che l’inchiesta non era terminata. Sebbene il titolo di prima pagina fosse formulato in modo troppo categorico, il sottotitolo precisava correttamente la situazione. Il Consiglio della stampa conclude quindi che «La Liberté» non ha violato le norme deontologiche e respinge il reclamo.

 

I. En fait

A. Le 5 novembre 2024, «La Liberté» publie sous la plume de son rédacteur en chef François Mauron un article intitulé «Bulle clouée au pilori». Le sujet, enrichi de plusieurs encadrés, dévoile sur une double page du journal le contenu d’un rapport d’enquête confidentiel que le journaliste a pu se procurer. Cet article s’inscrit dans une série consacrée à ce que «La Liberté» a appelé «l’affaire Raoul Girard», du nom de l’ex-secrétaire général de la Ville de Bulle dont le mode de rémunération en tant que président du conseil d’administration de Gruyère Energie SA (Gesa), une société dont la Ville est propriétaire à 85 %, est contesté. L’article du 5 novembre – par ailleurs accroché en manchette du journal sous le titre «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle» – détaille les conclusions de l’enquête administrative ouverte à la demande de l’État de Fribourg et confiée à l’avocat Thierry Gachet, spécialisé en droit des affaires. Ce dernier remet son rapport final à la préfète de la Sarine Lise-Marie Graden en juin 2024. «La Liberté» parvient à se procurer une copie de ce document et en divulgue le contenu en exclusivité, sans attendre l’ordonnance de clôture de la magistrate qui tombe deux semaines plus tard, le 26 novembre 2024, et dans laquelle elle prend acte de la décision rendue par le Conseil communal de Bulle le 23 juillet 2024 de ne réclamer aucune créance à Raoul Girard.

Sur la même affaire, «La Liberté» publie le 28 novembre 2024 un édito de François Mauron («Bulle a besoin de mesures fortes»), puis une opinion de sa plume le 7 décembre 2024 («L’affaire Girard et le rôle de la presse»). Le 3 décembre, «La Gruyère» donne la parole à François Mauron pour lui permettre de réagir aux accusations de mensonges proférées à son encontre par le syndic de Bulle Jacques Morand dans une interview publiée quelques jours plus tôt dans ce même journal.

B. Le 11 décembre 2024, la Ville de Bulle, représentée par Me Pierre Mauron, dépose plainte au Conseil suisse de la presse, dénonçant une violation des chiffres 3 et 5 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après: la «Déclaration»). Le plaignant estime que l’article du 5 novembre donne «une fausse impression de vérité absolue provenant d’une autorité publique» en omettant de préciser que les conclusions du rapport ne mettaient pas un terme à la procédure et que seule la future ordonnance de la préfète le ferait. Le plaignant pointe en particulier le titre de Une («Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle») jugé explosif et faux puisqu’il donne volontairement cette décision pour acquise. Le plaignant juge en outre que le journaliste ne cite que les éléments à charge du rapport d’enquête en faisant sien l’avis juridique de l’enquêteur, sans utiliser le conditionnel et en omettant de citer d’autres avis de droit figurant au dossier; ce qui à ses yeux viole le chiffre 3 de la «Déclaration» (ne pas supprimer des informations essentielles, ne pas donner comme telles les nouvelles non confirmées). Le plaignant reproche par ailleurs au rédacteur en chef d’avoir violé le chiffre 5 de la «Déclaration» (rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte) en ne rectifiant pas les informations publiées dans l’article du 5 novembre 2024 sur la base de l’ordonnance de clôture d’enquête rendue deux semaines plus tard par la préfète de la Sarine. Celle-ci ordonne une série de mesures à la commune de Bulle, sans suivre toutes les recommandations préconisées par Thierry Gachet et notamment celle selon laquelle Raoul Girard doit restituer l’argent à Bulle. En effet, la préfète prend acte de la décision prise le 23 juillet 2024 parle Conseil communal de Bulle de renoncer à toute créance envers Raoul Girard en compensation de ses heures supplémentaires. Pire, selon le plaignant, le journaliste critique cette décision de la magistrate dans son édito du 28 novembre 2024 en soutenant que celle-ci aurait dû suivre les conclusions du rapport de l’expert, un point de vue réitéré par le journaliste dans l’interview qu’il donne à ses confrères de «La Gruyère» le 3 décembre 2024.

C. «La Liberté» prend position le 9 juillet 2025 via son rédacteur en chef François Mauron et demande que la plainte soit rejetée. Selon lui, les accusations de la Ville de Bulle ne sont absolument pas fondées: l’article du 5 novembre synthétise le contenu du rapport final de l’enquête, il expose les douze mesures préconisées par l’expert, zoome sur les problèmes de gouvernance du conseil communal de Bulle pointées par l’enquêteur ainsi que sur les principaux acteurs du dossier et livre un bref rappel de l’affaire. L’auteur de l’article insiste: nulle part il n’a écrit qu’il s’agit de l’ordonnance de clôture de la préfète de la Sarine, au contrainte, il précise que le dossier est encore entre les mains de la magistrate. Au sujet du titre de Une du 5 novembre («Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle»), le rédacteur en chef estime qu’il correspond parfaitement au contenu de l’article publié ce jour-là puisqu’il s’agit de la conclusion principale du rapport rédigé par l’avocat Thierry Gachet. De plus, estime le journaliste, en vertu de la liberté d’opinion, «La Liberté» est parfaitement en droit d’estimer et d’écrire que «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle».

D. «La Gruyère» se détermine le 15 juillet 2025. Son rédacteur en chef François Pharisa n’entre pas en matière sur la plainte, arguant que celle-ci «vise exclusivement François Mauron, rédacteur en chef de ‹La Liberté›, et non ‹La Gruyère›». François Pharisa explique néanmoins avoir agi dans un souci d’équilibre et conformément aux principes déontologiques en permettant à François Mauron de répondre aux accusations de mensonge proférées à son encontre par le syndic de Bulle Jacques Morand dans une interview donnée quelques jours plus tôt à «La Gruyère».

E. La 2ème chambre du Conseil de la presse, composée d’Annik Dubied (présidente), Madeleine Baumann, Joëlle Fabre, Fati Mansour, Denis Masmejan et Anne-Frédérique Widmann, a traité de la plainte lors de sa séance du 21 août 2025 ainsi que par voie de correspondance. Sébastien Julan se récuse.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse se concentre sur la plainte de la Ville de Bulle contre «La Liberté», jugeant «La Gruyère» hors de cause.

2. Le Conseil de la presse n’entre pas en matière les reproches hypothétiques formulés par le plaignant, et non motivés dans la plainte, qui soupçonne «La Liberté» d’avoir obtenu ce rapport d’enquête confidentiel par une méthode déloyale. Pas plus qu’il n’entre en matière sur le reproche de violation de la personnalité mentionné dans la plainte, Raoul Girard étant sans conteste une personnalité publique dans le canton de Fribourg.

3. Le chiffre 3 de la «Déclaration» impose notamment aux journalistes de ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels. Le Conseil de la presse estime que le journaliste n’a pas fauté en n’insistant pas explicitement sur le fait que le rapport final de l’expert mandaté par la préfète de la Sarine ne mettait pas un terme à la procédure. En effet, l’auteur explique: «Toutes les informations contenues dans cet article sont tirées de ce document officiel, lequel n’a pas encore été rendu public par la préfète de la Sarine Lise-Marie Graden, chargée du dossier. Pour mémoire, cette dernière avait confié l’enquête à l’avocat fribourgeois Thierry Gachet, signataire de ce rapport.» Selon le Conseil de la presse, il apparaît suffisamment clairement que la magistrate n’a pas encore statué. Si ce rapport très fouillé et les recommandations qu’il contient l’aideront à se déterminer, il n’en demeure pas moins un simple avis juridique. L’auteur le souligne par ailleurs très clairement dans un encadré intitulé «Les douze mesures préconisées par le rapport». Le lecteur, même non averti, en est certainement conscient: aussi pertinent soit-il, un avis d’expert n’a pas de valeur décisionnelle. Quant aux accusations d’omissions d’autres avis de droit qui figuraient au dossier ainsi que d’éléments à décharge prétendument contenus dans le rapport d’enquête, elles s’avèrent invérifiables, le plaignant n’ayant pas fourni ces documents pour preuve au Conseil de la presse.

4. En revanche, le Conseil de la presse juge le titre de Une discutable. En affirmant en manchette du journal «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle», ce qui correspond à une des recommandations du rapport Gachet, «La Liberté» donne ce fait pour acquis, alors qu’il ne l’est pas. La suite de l’affaire l’a d’ailleurs montré, la préfète ayant pris acte de la décision du Conseil communal de ne pas exiger la restitution de l’argent dans son ordonnance de clôture. Par le passé, le Conseil de la presse a déjà considéré ce type de raccourci comme contraire à la vérité (prise de position 44/2013). Cependant, dans un titre, une manchette ou une affichette, il admet que les exigences typographiques et de longueur peuvent amener à des raccourcis. Un raccourci est considéré comme admissible si le sous-titre le relativise immédiatement en donnant les explications nécessaires (3/2015; 60/2009; 32/2000). En l’occurrence, le sous-titre de la manchette est suffisamment explicite aux yeux du Conseil: «La Liberté a obtenu en exclusivité une copie du rapport final de l’enquête administrative relative à la rémunération touchée par Raoul Girard, secrétaire général de la ville de Bulle, comme administrateur de Gruyère Energie SA. Ses conclusions sont claires: il doit rendre cet argent à la commune. Selon le rapport, le fait que Raoul Girard avait pu garder pour lui les jetons de présence de Gesa est aussi le ‹résultat d’une gouvernance irrégulière du Conseil communal dans la préparation et le suivi de ses décisions›. Le syndic Jacques Morand est notamment visé.» Le Conseil de la presse estime que «La Liberté» aurait pu faire preuve de davantage de prudence, sans pour autant que ce titre ait le poids d’une violation du chiffre 3 de la «Déclaration».

5. Le Conseil de la presse ne suit pas un des arguments de la prise de position de «La Liberté», qui invoque la liberté d’opinion pour s’estimer en droit de titrer en Une «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle». En effet, en vertu de la distinction entre l’information et les appréciations relevant du commentaire ou de la critique (directive 2.3 de la «Déclaration»), force est de constater que ce titre de Une ne permet absolument pas au public de rendre cette distinction perceptible. En revanche, le journaliste était parfaitement en droit d’exprimer son point de vue critique dans le cadre de son édito du 28 novembre et de l’opinion du 7 décembre – tous deux clairement balisés comme tels. De même, il était légitime que ses confrères de «La Gruyère» permettent à François Mauron de répondre aux accusations de mensonges dont il avait fait l’objet de la part du syndic de Bulle.

6. Le Conseil suisse de la presse étant d’avis que «La Liberté» n’a pas violé le chiffre 3 de la «Déclaration» dans son article du 5 novembre, le reproche de violation du chiffre 5 (rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte) n’a plus lieu d’être. Ceci d’autant que le journal a dûment informé ses lecteurs de l’ordonnance de clôture rendue par la préfète de la Sarine le 26 novembre dans un article publié sur une double page de son édition du 28 novembre 2024 («Bulle sauve la face»).

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Bulle clouée au pilori» et en l’accrochant en manchette sous le titre «Le secrétaire général doit rendre l’argent à Bulle» assorti d’un sous-titre explicite, «La Liberté» n’a pas violé les chiffres 3 (suppression d’informations essentielles) et 5 (devoir de rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».