Nr. 34/2021
Recherche de la vérité / Devoir de rectification

(Motarjemi c. «Immorama»)

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Zusammenfassung

Der Presserat rügt das Westschweizer Magazin „Immorama“ für eine Verletzung der Wahrheitspflicht. Das Magazin berichtete im Rahmen einer Reportage über Whistleblower auch über die Situation in der Schweiz. Es stellte fest, dass die Schweizer Justiz Whistleblowern, „deren Motive hauptsächlich finanzieller Natur zu sein scheinen“, eher misstrauisch gegenüberstehe. Zwei konkrete Fälle werden erwähnt, darunter der einer ehemaligen Nestlé-Managerin. Die Leserinnen und Leser müssen entsprechend davon ausgehen, dass in beiden Fällen die Beweggründe finanzieller Natur waren. Das Magazin verschweigt, dass im Fall der ehemaligen Nestlé-Managerin ein Gerichtsurteil vorliegt, welches der Whistleblowerin Recht gibt und festhält, dass sie Opfer von Mobbing geworden sei.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse blâme «Immorama» pour une violation de la recherche de la vérité. Dans le cadre d’un dossier sur les lanceurs d’alerte, «Immorama» consacre un encadré a la situation en Suisse. Il constate que la justice helvétique est assez méfiante envers certains lanceurs d’alerte, «dont les motivations paraissent surtout financières». Deux cas sont mentionnés, dont celui d’une ancienne cadre de Nestlé. Deux seuls cas étant mentionnés, le lecteur en déduit logiquement qu’ils illustrent les motivations purement financières dont il est question. Mais le journal omet de mentionner qu’un jugement a bel et bien validé le point de vue de l’ex-employée, à savoir qu’elle a été victime de harcèlement.

Riassunto

Il Consiglio della stampa ammonisce „Immorama“, il magazine della Svizzera occidentale per una violazione dell’obbligo di verità. Il Magazine nell’ambito di un reportage sui Whistleblower ha riportato anche la situazione in Svizzera constatando che la giustizia ha un atteggiamento diffidente nei confronti dei Whistleblower, „i cui motivi sembrano essere principalmente di natura finanziaria”. Si citano due casi concreti tra i quali quello di una ex manager della Nestlé. Stando a questi presupposti, le lettrici e i lettori hanno dovuto dedurre che per entrambi i casi si trasttasse di moventi di natura finanziaria. Il Magazine però non dice che nel caso dell’ex manager della Nestlé c’è una decisione del tribunale che da ragione alla Whistleblower e conferma il fatto che sia stata vittima di Mobbing.

I. En fait

A. A l’automne 2020, «Immorama» publie un article titré «Justiciers sans justice». L’article fait partie d’un dossier plus conséquent que le magazine consacre ce mois-là aux lanceurs d’alerte. Signé Thierry Oppikofer, il revient sur la problématique des lanceurs d’alerte et de la protection juridique qui leur est offerte dans différents pays; dans un encadré, la situation helvétique est évoquée: «La justice suisse se montre assez méfiante envers certains lanceurs d’alerte, dont les motivations paraissent surtout financières.» Deux cas particuliers sont mentionnés. Seule l’entreprise concernée est évoquée dans le premier cas; pour le second, le nom de la personne concernée est mentionné, i.e. Yasmine Motarjemi, qui a porté plainte pour harcèlement, alors qu’elle accusait son chef d’avoir tenté de la faire accuser des dysfonctionnements qu’elle dénonçait. Le journal précise que le procès est en cours et que la plaignante réclame à son entreprise «plus de 2 millions de francs».

B. Le 11 novembre 2020, Yasmine Motarjemi dépose plainte auprès Conseil suisse de la presse (CSP) contre «Immorama». Elle invoque en premier lieu la violation du chiffre 1 (recherche de la vérité), de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-dessous la «Déclaration»). Le journaliste «amène les lecteurs à croire que mes motivations pour révéler les dysfonctionnements de Nestlé étaient financières (…) alors que ce n’était pas le cas et que la vérité est tout autres. D’ailleurs, M. Oppikofer ne mentionne nullement que le tribunal d’appel cantonal m’a donné totalement raison et a confirmé mes allégations de harcèlement (…)». De plus «le journal n’a même pas essayé de me contacter et de m’interviewer pour connaître mes motivations et comprendre un problème complexe».

La plaignante ajoute qu’elle a écrit à la rédaction du journal le 17 octobre, et que sauf erreur elle n’a pas reçu de réponse. «Alors que selon l’article 5.1 (réd.: des directives relatives à la «Déclaration») le journal a le devoir de rectification.»

Enfin, dans le cas où le journal n’a pas agi conformément à l’éthique journalistique, la plaignante souhaite savoir «quelles mesures seront prises pour corriger la situation».

C. Le 18 décembre 2020, le responsable des publications de la Société privée de Gérance et rédacteur en chef d’«Immorama», Emmanuel Grandjean, prend position. Il demande au CSP de rejeter intégralement la plainte. Concernant le chiffre 1, il considère que «les informations délivrées dans cet encadré sont des faits», qu’elles sont «descriptives et purement factuelles», et qu’il ne s’agit «en aucun cas d’opinions, de commentaires ou de jugement de valeurs»; il argumente à l’inverse que, comme l’a reconnu le CSP, «le journaliste n’a aucun devoir d’objectivité», et que par ailleurs son journal n’a pas «pour ambition de faire du journalisme d’investigation». M. Grandjean considère par ailleurs que le journaliste était «dans son bon droit» de ne pas «essayer de contacter et d’interviewer Mme Motarjemi», et qu’en matière de rectification (chiffre 5), il est «évident» que le droit de rectification n’a pas lieu d’être dans ce contexte.

D. La présidence du Conseil suisse de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2ème Chambre. Présidée par Dominique von Burg, elle est composée de Annik Dubied, Joëlle Fabre, Denis Masmejan, François Mauron, Mélanie Pitteloud et Anne-Frédérique Widmann.

E. La plainte est traitée par la 2ème chambre dans sa séance du 14 avril 2021 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le CSP constate en préambule que si «Immorama» est bien un journal orienté vers la consommation et l’information immobilière, le fait qu’il soit distribué gratuitement en tout-ménages, comme le souligne son rédacteur en chef, justifie que ses parutions soient traitées dans le cadre du Code de déontologie, en particulier lorsqu’elles traitent de sujets d’intérêt général, comme c’est le cas pour le dossier sur les lanceurs d’alerte.

2. En réponse à la demande de la plaignante quant «aux mesures correctives» qui seraient prises en cas de violation de la «Déclaration», le Conseil de la presse rappelle qu’il n’a aucun pouvoir de sanction. Son pouvoir est d’ordre moral, et il consiste dans la publication de toutes ses prises de position sur son site Internet (www.presserat.ch).

3. En ce qui concerne le chiffre 1 (recherche de la vérité), le CSP admet que, comme l’argue «Immorama» dans sa défense, les faits rapportés sont pour l’essentiel exacts. Mais le contexte dans lequel est cité le cas de la plaignante (méfiance de la justice envers certains lanceurs d’alertes dont les motivations paraissent surtout financières) laisse clairement entendre que telle était sa motivation. De plus, le fait de ne pas avoir cherché à en savoir plus auprès de la plaignante, et surtout d’avoir omis de mentionner une décision judiciaire qui lui donnait raison témoignent d’une déficience coupable du devoir de rechercher la vérité. Le fait que le journal ne se donne pas pour ambition de faire de l’investigation ne le dispense pas de respecter le devoir de rechercher la vérité, surtout quand il met nommément quelqu’un en cause. Le chiffre 1 de la «Déclaration» est donc violé.

4. Enfin, en ce qui concerne le chiffre 5, la plaignante ne précise pas la nature de sa demande du 17 octobre 2020 à «Immorama» et à son rédacteur en chef, et précise elle-même qu’elle n’est pas certaine de ne pas avoir reçu de réponse. Le CSP considère donc qu’il n’a pas lieu de penser qu’une demande de rectification au sens du chiffre 5 (directive 5.1) a effectivement été déposée, et qu’il ne peut dès lors pas être exigé d’«Immorama» qu’il l’aie prise en compte. Le chiffre 5 n’est pas violé.

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement admise.

2. En laissant entendre de manière tendancieuse et non vérifiée que la plaignante avait agi par appât du gain, et en omettant de faire état du jugement d’un tribunal qui confirme qu’elle avait bien été victime de harcèlement, «Immorama» a contrevenu au chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». En revanche, il n’est pas avéré qu’«Immorama» ait violé le chiffre 5 de la «Déclaration».