Nr. 33/2020
Recherche de la vérité

(BTEE SA c. «20 minutes»)

Drucken

I. En fait

A. 1. Le 10 juin 2019 en ligne – puis le 11 juin dans sa version papier – «20 Minutes» publie un article avec le titre suivant: «Mandaté par la boîte qu’il a chouchoutée des années». L’article, sous la plume de Maria Pineiro, nous apprend que l’ex-chef des opérations de l’aéroport de Genève a été sollicité comme consultant dans une société qui gère le péril aviaire à Cointrin depuis 25 ans. «S’agit-il d’un nouveau volet dans l’affaire de corruption qui secoue (…) Genève Aéroport?», interroge l’article, se référant à une récente publication de la «Tribune de Genève», qui affirmait que la gestion du péril aviaire avait toutes ces années été confié à la même entreprise, et que la dernière mise au concours avait fait l’objet d’un recours. «Le quotidien genevois, poursuit l’article, a surtout relevé que l’ancien directeur des opérations (…) et le directeur de la société étaient très proches. Des liens que la direction de la plateforme connaissait, mais qui ne semblent pas lui avoir posé problème.»

A. 2. Suite à l’intervention du directeur de ladite société, «20 Minutes» modifie son article en ligne le 11 juin 2019, et en publie la nouvelle version sur papier le 12 juin. Citant la responsable de la communication de l’aéroport, cette nouvelle version précise que l’appel d’offres a été retiré et sera republié prochainement. L’article précise en outre que l’ancien cadre de l’aéroport est maintenant directement rattaché au directeur général de la société en tant que conseiller aux affaires aéroportuaires. L’article mentionne en outre que le patron de l’entreprise a précisé sur «Rhône FM» que les liens d’amitié entre les deux hommes se sont noués durant leurs années de collaboration. Contacté par «20 Minutes», il indique en outre que l’ancien directeur des opérations «n’occupe pas un poste en tant que tel (…) mais une fonction de conseil».

B. Le 18 juin 2019, le directeur général de BTEE SA saisit le Conseil de la presse à propos de l’article dans sa version modifiée. Selon le plaignant, «20 Minutes» aurait violé les chiffres 1 (recherche de la vérité), 2 (distinction entre l’information et les appréciations) et 3 (traitement des sources) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» – ci-après «Déclaration».
Le plaignant n’étaye aucune des violations alléguées. Il constate de manière générale que l’article «s’inscrit non pas dans le devoir d’information (…) mais bien dans une volonté crasse de nuire». Selon le plaignant, «le titre de cette publication et ses sous-entendus pourraient être considérés (…) comme de la diffamation pure et simple».

En conclusion, le plaignant «sollicite l’intervention du Conseil suisse de la presse auprès de ‹20 Minutes› et la prise de sanctions qui s’imposent au vu de la neutralité déontologique bafouée et de la violation du devoir d’information». Il déclare enfin qu’il se déterminera ultérieurement sur le dépôt d’une plainte pénale.

C. Le 12 août 2019, le rédacteur en chef de «20 Minutes», Philippe Favre, demande au Conseil de la presse de juger la plainte irrecevable, subsidiairement de la rejeter. Pour «20 Minutes» en effet, «le plaignant a expressément mentionné qu’il entendait déposer en sus de la plainte adressée au CSP, une plainte pénale contre ‹20 Minutes›». Quant à la «volonté crasse de nuire» mentionnée par le plaignant, «20 Minutes» «conteste fermement ces accusations fantaisistes (…) qui ne sont ni étayées, mais encore moins fondées».

Concernant la violation alléguée du chiffre 1 de la Déclaration, le rédacteur en chef suppose que c’est le titre de l’article qui doit être en cause. A ce propos, il fait remarquer «que les hyperboles sont admissibles dans les titres et les manchettes pour autant qu’elles n’induisent pas le lecteur en erreur et qu’elles sont conformes aux faits décrits dans l’article». Quant à l’erreur concernant le fait que l’appel d’offre a été annulé et n’était plus en suspens, le rédacteur en chef rappelle que cette erreur a été immédiatement rectifiée.

Quant à la prétendue violation de la directive sur la distinction entre l’appréciation et l’information, le rédacteur en chef estime «que l’article en question ne contient de facto nulle part une appréciation subjective de la journaliste». Concernant enfin le traitement des sources, toutes les informations publiées ont été dûment vérifiées.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg et Max Trossmann (vice-présidents), a traité la présente prise de position le 22 mai 2020 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse doit-il ne pas entrer en matière, du fait que le plaignant déclare qu’il se déterminera ultérieurement sur le dépôt d’une plainte pénale? A son article 11 al. 1, le règlement du CSP stipule qu’il n’entre pas en matière si une procédure parallèle a été initiée ou si elle est prévue. Le plaignant ne s’étant pas encore déterminé, cet article du règlement ne s’applique pas.

2. Si donc le Conseil de la presse entre en matière, il rappelle en revanche qu’il n’est nullement en mesure «d’intervenir» auprès de «20 Minutes» et encore moins de «prendre des sanctions», comme le réclame à tort le plaignant.

3. D’une manière générale, le Conseil de la presse estime que dans le contexte des soupçons de corruption à l’aéroport de Genève, l’article disputé répond à un intérêt public. Quant aux accusations du plaignant que «20 Minutes» chercherait à lui nuire, elles ne sont aucunement étayées.

4. Les allégations des diverses violations de la «Déclaration» ne sont pas non plus étayées par le plaignant. Comme le rédacteur en chef de «20 Minutes», le CSP ne peut donc que faire des supputations et constater avec lui que le titre ne viole pas le devoir de vérité, que l’accusation de mélange d’information et de commentaire est infondée, et que celles concernant le traitement de sources est incompréhensible. Quant à l’erreur concernant le statut de l’appel d’offres, le Conseil de la presse est d’avis que cette erreur n’avait pas le poids d’une violation de la «Déclaration» et que par ailleurs elle avait été immédiatement corrigée.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Mandaté par la boîte qu’il a chouchoutée des années», «20 Minutes» n’a pas violé les chiffres 1 (recherche de la vérité), 2 (distinction entre l’information et les appréciations) et 3 (traitement des sources) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».