Nr. 20/2022
Identification

(X. c. RTS)

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I. En fait

A. Le 29 novembre 2020, le «Téléjournal» de la RTS diffuse une enquête de Fabbiano Citroni, qui fait état de la poursuite à l’encontre de deux propriétaires d’immeubles. Ces derniers auraient fait augmenter artificiellement des loyers en établissant des baux fictifs au nom de locataires qui n’ont occupé que très brièvement ou pas du tout les logements. L’enquête désigne Roland Zacharias (ex-député genevois, qui s’est fait une spécialité de la défense des propriétaires) et un «associé», qui possèdent ensemble une trentaine d’immeubles dans le canton de Genève. Une des locataires «fictives», ex-épouse de l’associé, a sur le papier occupé huit appartements différents en cinq ans. Interrogée par le journaliste, elle affirme n’y avoir jamais habité, alors qu’elle logeait avec son mari à Cologny. Elle relate également avoir assisté à des scènes attestant que son mari falsifiait des baux, notamment une discussion avec un ami régisseur. La femme apparaît dans le reportage à visage découvert et sous son nom de jeune fille. Quant à l’ex-député et son associé, ils ont refusé de s’exprimer.

B. Le 6 décembre 2020, le «Téléjournal» de la RTS diffuse un nouveau sujet de Fabbiano Citroni, qui donne de plus amples détails sur le nombre élevé de baux fictifs présumés et qui pose notamment la question du degré des responsabilité des régies. L’ex-épouse de l’un des prévenus s’exprime à nouveau dans le sujet, à visage découvert mais sans son nom.

C. Le 13 janvier 2021, le propriétaire «associé» de l’ancien député saisit le Conseil suisse de la presse, par l’intermédiaire d’un bureau d’avocats. Il fait état de plusieurs interventions auprès de la RTS, avant la diffusion des sujets, pour que son anonymat soit respecté, n’étant pas un personnage public contrairement à M. Zacharias. Précisant au passage que le terme d’«associé» ne correspond pas à la réalité, le plaignant estime avant tout que par l’apparition à visage découvert de son ancienne épouse, par ailleurs nommée, et par l’indication de leur lieu de résidence, il a pu être identifié par un très large cercle de personne. Pour le plaignant, la RTS a donc violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» (ci-après «Déclaration»), et plus précisément la directive 7.2 (identification).

D. Le 8 mars 2021, la RTS prend position. Tout d’abord, elle estime que la plainte devrait être déclarée irrecevable, étant dirigée contre la Société Suisse de Radiodiffusion et télévision de la Suisse Romande (RTSR), et non contre la Radio Télévision Suisse (RTS), en réalité responsable de la diffusion. Sur le fond, la RTS estime que le terme d’«associé» peut être utilisé dans le langage courant même si juridiquement il est erroné. Et surtout, elle fait valoir que c’est à sa demande que l’ex-épouse est apparue à visage découvert, pour expliquer qu’elle n’était pas au courant de l’utilisation de son identité comme locataire fictive. De plus, l’indication du lien marital avec le propriétaire expliquait pourquoi le régisseur qui avait averti le prévenu s’était exprimé en toute confiance. Enfin, l’ex-épouse ne portant pas le même nom que son mari, ce dernier ne pouvait être identifié en dehors du cercle de leurs proches, sans compter qu’il n’a été brièvement mentionné que dans le premier reportage.

E. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

F. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Susan Boos (présidente), Max Trossmann (vice-président), Annik Dubied (vice-présidente) et Ursina Wey (directrice) a traité la présente prise de position le 30 mai 2022 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Il est vrai que la plainte n’est formellement pas dirigée contre la bonne instance. Néanmoins il est parfaitement clair que ce sont bien deux reportages du «Téléjournal» de la RTS qui sont visés. Ne fonctionnant pas comme un Tribunal, le Conseil de la presse n’a donc pas de raison suffisante de la déclarer irrecevable, et il entre en matière.

2. Le terme d’«associé» pouvait-il être utilisé? La question peut certes être débattue, même si le Conseil de la presse estime qu’il était admissible vu sa signification vague en langage courant. Mais de toute façon, cette question n’est pas relevante en l’occurrence, puisqu’elle ne fait pas partie formellement de la plainte.

3. La plainte en effet se concentre sur une violation alléguée du chiffre 7 de la «Déclaration», plus précisément en ce qui concerne la directive 7.2 (identification). En montrant l’ex-épouse du propriétaire à visage découvert, en mentionnant son nom de jeune fille, et en précisant leur commune de résidence, la RTS a-t-elle violé l’obligation de respecter l’anonymat du plaignant? Pour le Conseil de la presse, ce n’est pas le cas. D’une part, c’est l’ex-épouse qui avait souhaité être identifiée, et elle avait un intérêt légitime à le faire. D’autre part, les indications données par les reportages n’étaient pas suffisantes pour permettre l’identification du plaignant au-delà de son cercle privé et professionnel.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En identifiant dans ses reportages des 29 novembre et 6 décembre 2020 l’ex-épouse d’un propriétaire d’immeuble faisant l’objet de poursuites, la RTS n’a pas exposé de manière abusive l’identité de ce dernier. Elle n’a donc pas violé le chiffre 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste».