Nr. 19/2025
Recherche de la vérité / Nouvelles non confirmées / Rectification

(EPFL c. «Léman Bleu»)

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Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat hat die Beschwerde der Eidgenössischen Technischen Hochschule Lausanne (EPFL) gegen den Genfer Lokalsender «Léman Bleu» in der Hauptsache gutgeheissen. In einem Bericht wurde die Falschinformation geäussert, dass die Hochschule «in sehr genauen militärischen Fragen» («collabore aussi sur des sujets très très précis au niveau militaire») mit Israel zusammenarbeite. Diese Behauptung wurde vom Journalisten in einer Frage formuliert, die grundsätzlich die Verbindungen der Universität Genf mit Israel betraf. Diese ändert nichts an der Problematik. Die Pflicht zur Überprüfung von Informationen liegt der Wahrheitssuche zugrunde. Sie gilt auch für Informationen, die als Frage gestellt werden, wenn diese als erwiesen dargestellt werden – und zwar insbesondere dann, wenn die Frage gar nicht beantwortet wird. «Léman Bleu» hatte zudem die Pflicht, eine Richtigstellung zu veröffentlichen. In einem aktuellen Konflikt und der dazugehörenden Diskussion kann die Behauptung einer Zusammenarbeit ohne jeglichen Beleg nicht als unwichtige Information betrachtet werden.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a admis l’essentiel de la plainte de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) contre la chaîne locale genevoise Léman Bleu. Cette plainte portait sur l’information visiblement erronée selon laquelle la haute école «collabore aussi sur des sujets très très précis au niveau militaire» avec Israël. Le fait que cette affirmation ait été formulée dans une question, qui porte en plus sur le sujet différent des liens de l’Université de Genève avec celles de l’Etat hébreu, n’enlève rien à son caractère problématique. Le devoir de vérification, qui est au fondement de la recherche de la vérité, s’applique aussi à des éléments contenus dans une question et présentés comme établis, surtout lorsque celle-ci n’appelle aucune réponse de la part de l’interviewé.
Léman Bleu avait aussi le devoir de publier un rectificatif, l’affirmation d’une collaboration en cours, sans aucun élément pour l’étayer, ne pouvant être considérée comme une information sans importance dans le contexte du conflit actuel et des polémiques qui l’entourent.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa ha accolto la maggior parte del reclamo presentato dall’«Ecole polytechnique fédérale de Lausanne» (EPFL) contro l’emittente locale ginevrina «Léman Bleu». Il reclamo riguarda l’informazione palesemente errata secondo cui l’alta scuola «collabora [con Israele] anche su questioni militari estremamente specifiche» («collabore [avec Israël] aussi sur des sujets très très précis au niveau militaire»). Il fatto che questa affermazione sia stata formulata all’interno di una domanda che riguardava il diverso argomento dei legami dell’università di Ginevra con quelli dello Stato ebraico, non ne sminuisce in alcun modo la problematicità. Il dovere di verifica, su cui si basa la ricerca della verità, va applicato anche agli elementi contenuti in una domanda e presentati come accertati, soprattutto quando la domanda non prevede alcuna risposta da parte della persona intervistata. «Léman Bleu» aveva inoltre il dovere di pubblicare una rettifica, poiché l’affermazione di una collaborazione in corso senza alcuna prova a sostegno, non può essere considerata un’informazione irrilevante nel contesto del conflitto attuale e delle controversie che lo circondano.

I. En fait

A. Le 6 juin 2024, la chaîne locale «Léman Bleu» diffuse, lors de son journal télévisé, un reportage sur la mobilisation de la Coordination étudiante pour la Palestine, réunie à Genève devant le bâtiment d’Uni Mail pour dénoncer la collaboration avec les Universités israéliennes et présenter un rapport à ce sujet. A cette occasion, le journaliste Gilles Miélot interroge la porte-parole du collectif à propos de ce qui a été mis en lumière par ce document et de la nature des griefs soulevés.

Dans sa toute première question, le journaliste dit: «Vous n’avez pas découvert en tout cas un lien véritablement entre l’Université de Genève et ce qu’on en a pu voir par exemple avec certains aspects techniques dans l’armée, par exemple, comme l’EPFL, peut-être, qui collabore aussi sur des sujets très très précis au niveau militaire. Qu’est-ce qui vous dérange dans le partenariat entre l’UNIGE et ces institutions israéliennes?». Le sujet de l’ École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) n’est par la suite plus du tout abordé.

B. Le 11 juin 2024, l’EPFL, par l’intermédiaire de son porte-parole et chargé des relations avec les médias, porte plainte devant le Conseil suisse de la presse et dénonce «une affirmation mensongère dénuée de tout fondement», attentatoire à l’honneur dans le contexte très tendu du conflit à Gaza.

L’EPFL précise avoir demandé un rectificatif dès le lendemain, stipulant que «l’affirmation de ‹Léman Bleu› selon laquelle l’EPFL est active sur des projets militaires en lien avec Israël n’est pas correcte et ne repose sur aucune information fiable». Elle s’est heurtée à un refus catégorique de la part du rédacteur en chef de la chaîne, Jérémy Seydoux. Les échanges de courriels sont joints à la plainte.

S’agissant de la diffusion des propos incriminés, le plaignant reproche une violation du chiffre 1 (recherche de la vérité) et du chiffre 3 (donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»).

S’agissant du refus de rectifier, l’EPFL reproche une violation du chiffre 5 de la «Déclaration» (rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte), voire de la directive 5.1 qui stipule que le devoir de rectification, s’agissant d’aspects factuels, est mis en œuvre spontanément par le journaliste, car ce devoir participe de la recherche de la vérité.

C. «Léman Bleu» prend position le 10 février 2025. La chaîne conteste toute affirmation mensongère, précise que l’objet du reportage n’était en rien l’EPFL, qui «n’a été citée qu’à titre anecdotique dans une question posée à l’activiste», et soutient que l’adverbe «peut-être» introduit l’idée d’une simple possibilité de collaboration militaire.

Même dans l’hypothèse (non admise) où la question serait basée sur une compréhension erronée de faits contestés présentés comme établis, «Léman Bleu» estime que le chiffre 1 de la «Déclaration» (recherche de la vérité) n’est pas violé car le journaliste était de bonne foi et qu’il a posé une simple question dans un contexte tout différent. La chaîne fait référence à deux décisions du Conseil (36/2021 et 86/2020) pour soutenir sa position.

S’agissant du chiffre 3 de la «Déclaration», «Léman Bleu» estime que son journaliste n’avait pas à se faire confirmer une information ou à préciser que celle-ci n’était pas confirmée, car il n’a fait état d’aucune «information». Selon la chaîne, le journaliste se serait inspiré d’un article de «Blick», datant du 21 février 2014, pour lequel l’EPFL aurait obtenu par la suite un droit de réponse.

Quant à la rectification, «Léman Bleu» procède par un raisonnement similaire et estime n’avoir pas violé son devoir de rectifier une information inexacte puisqu’une question ne peut être assimilée à une information.

Enfin, «Léman Bleu» estime que le Conseil ne doit pas entrer en matière sur la plainte, car l’EPFL a déjà obtenu un droit de réponse du «Blick» et n’a plus d’intérêt à cette procédure. Admettre une telle plainte, sur la base d’une question posée dans une interview concernant un tout autre sujet, ouvrirait la porte à tous les abus.

D. La 2ème chambre du Conseil de la presse, composée d’Annik Dubied (présidente), Madeleine Baumann, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan, Joëlle Fabre et Anne-Frédérique Widmann, a traité de la plainte lors de sa séance du 7 mars 2025 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le Conseil décide d’entrer en matière sur la plainte. En effet, la procédure prévoit que tout un chacun peut le saisir et le CSP ne voit pas à quel «intérêt juridique minimum» fait référence «Léman Bleu», sachant que l’institution n’est précisément pas une instance judiciaire, mais bien une instance déontologique. Pour le surplus, il n’y a aucune mention de l’article du «Blick» lors du reportage querellé et «Léman Bleu» ne saurait se référer à un potentiel droit de réponse octroyé par ce média, qu’il n’a au demeurant pas cité comme sa source d’information, pour s’affranchir.

L’argument tombe d’autant plus à faux que le droit de réponse invoqué a été publié par un journal estudiantin, «Blick» ne faisant que rapporter cette polémique, tout en interpellant l’EPFL – conformément aux règles déontologiques – sur l’étendue et la nature de sa collaboration avec une entité israélienne également active dans l’armement. Dans sa réponse, contenue dans le même article du «Blick», l’EPFL évoque une collaboration scientifique échue et remontant à plus de vingt ans, souligne qu’une enquête du parquet fédéral à ce sujet a été classée et réfute tout lien avec le conflit actuel. Position qui n’est aucunement répercutée par «Léman Bleu».

2. S’agissant de la phrase incriminée, certes prononcée dans les conditions d’un direct par le journaliste de «Léman Bleu», le Conseil estime que le téléspectateur retient de ces propos que l’Université de Genève est peut-être moins compromise avec Israël que l’EPFL «qui collabore sur des sujets très très précis au niveau militaire». Force est de constater que le journaliste n’avance alors aucun élément lui permettant d’affirmer l’existence d’une collaboration en cours et le «peut-être», placé avant la mention, ne nuance pas cette partie de la phrase.

Le fait d’invoquer postérieurement l’article du «Blick» ou encore une enquête de la RTS (qui porte sur des collaborations européennes à visées potentiellement sécuritaires jusqu’en 2021) ne rendent pas ces propos plus vrais, ni plus solides.

«Léman Bleu» soutient aussi que le fait de poser une question, de surcroît dans un contexte différent, ne pourrait par définition pas conduire à une violation du devoir de rechercher la vérité ou de se faire confirmer une nouvelle. Le Conseil ne saurait suivre ce raisonnement.

En effet, la question querellée contient une affirmation, ou à tout le moins des éléments présentés comme établis. Le fait que le sujet global ne porte pas sur ce que la chaîne appelle «une simple allusion» à l’EPFL ne rend pas l’exercice moins problématique. Bien au contraire. Admettre une sorte d’immunité à cette information intégrée dans une question reviendrait à vider de sa substance le devoir de vérification, qui est au fondement de la recherche de la vérité.

La décision 36/2021, invoquée par «Léman Bleu», ne lui est d’aucun secours. Celle-ci conclut au contraire (tout comme 75/2020) que même dans un commentaire, les faits rapportés doivent correspondre à la vérité. Dans d’autres décisions relatives à la satire ou à la critique (55/2009 ou 10/2000), qui jouissent également d’une très grande liberté, le Conseil a aussi été d’avis que les règles déontologiques doivent être respectées. Il ne saurait donc en être autrement s’agissant d’une information comprise sous forme d’affirmation dans une question, surtout lorsque celle-ci n’appelle aucune réponse.

Tel est le cas en l’espèce. L’EPFL, première concernée par cette partie introductive de la question, ne participe pas à l’interview, n’a pas la parole et ne peut donc pas répondre à ce qui constitue un reproche susceptible de nuire gravement à sa réputation (au sens de la directive 3.8, audition lors de reproches graves, qui n’est toutefois pas invoquée par le plaignant).

Ce déséquilibre aurait dû pousser «Léman Bleu» à davantage de retenue, à préciser dûment la position déjà exprimée dans «Blick» par l’EPFL, voire à se passer de cette évocation qui n’était pas nécessaire à la compréhension du sujet genevois.

Dans ces circonstances, le Conseil conclut à une violation du chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration», qui suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles.

3. Le Conseil estime que le chiffre 3 de la «Déclaration» (donner comme telles des nouvelles non confirmées) n’est pas pertinent en l’espèce, étant d’avis qu’il ne s’agit pas ici d’une nouvelle non confirmée (par exemple sous l’angle de la rumeur 9/2008), mais bien plutôt d’une information déjà démentie publiquement par l’EPFL quant à un partenariat militaire toujours en cours. Le chiffre 3 n’est pas violé.

4. S’agissant de la publication d’un rectificatif, le chiffre 5 de la «Déclaration» oblige les journalistes à «rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte». Dans son prolongement, la directive 5.1 précise que «le devoir de rectification est mis en œuvre spontanément par les journalistes et qu’il participe de la recherche de la vérité».

En principe, ce devoir s’étend à tous les faits significatifs. Dans plusieurs prises de position (notamment 60/2011), le Conseil relève qu’il serait disproportionné de taxer chaque imprécision de violation d’une règle déontologique. Selon le principe de proportionnalité, une faute doit avoir une certaine importance.

S’il n’y a pas d’atteinte à la recherche de la vérité, il ne saurait y avoir un devoir de rectification et donc une violation du chiffre 5 (86/2020).

En l’espèce, toutefois, l’atteinte à la recherche de la vérité a été admise. Dans ses observations, «Léman Bleu» n’a de plus apporté aucun élément permettant d’étayer l’affirmation selon laquelle l’EPFL «collabore sur des sujets très très précis au niveau militaire». Dans le contexte du conflit actuel, une telle affirmation ne peut être considérée comme sans importance. Un rectificatif, dont on peine à comprendre pourquoi il a été refusé, s’imposait donc au regard de l’information inexacte contenue dans la question incriminée. Le chiffre 5 est donc violé.

III. Conclusions

1. La plainte est admise partiellement.

2. En diffusant le reportage télévisé du 6 juin 2024 sur la Coordination étudiante pour la Palestine et l’Université de Genève, «Léman Bleu» a violé le chiffres 1 (recherche de la vérité) et le chiffre 5 (rectification) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. Pour le reste, la plainte est rejetée.