I. En fait
A. a) Le 21 novembre 2019 le «Walliser Bote» revient sur une affaire qui avait défrayé la chronique. La Banque cantonale du Valais (BCVs) avait perdu 21,6 millions de francs après avoir accordé un crédit de 90 millions de francs à Alkopharma, qui par la suite avait fait faillite. Sous le titre «Falsche Visitenkarte: Papilloud gab sich als Mitarbeiter von Alkopharma aus», et sous la plume de David Biner, le quotidien détaille les accusations portées par la BCVs à l’encontre de son ancien PDG, Jean-Daniel Papilloud. En gros, l’ancien PDG aurait manœuvré de manière extrêmement discutable pour obtenir le crédit au bénéfice de l’entreprise pharmaceutique. L’article du «Walliser Bote» est accompagné d’un éditorial intitulé «Schweigen» et est accroché en «Une» par le titre suivant: «Er machte, was er wollte. Fall Papilloud: Wie die WKB wegschaute».
b) Le lendemain 22 novembre, sous la plume de son rédacteur en chef Herold Bieler, le «Walliser Bote» revient à la charge, dans un article très critique sur la gouvernance de la BCVs ainsi que de la surveillance apparemment déficiente de la part des organes de l’Etat. Dans cet article intitulé «Der Fall bekam 2017 per Zufall eine neue Dynamik –Verschmähte Liebhaberin liess die Visitenkarte liegen», le rédacteur en chef cite notamment un ancien membre du Conseil d’administration pour qui les manoeuvres de l’ancien PDG n’avaient pu frapper personne: «Alle wurden getäuscht, auf der operativen und der strategischen Ebene.» Et plus loin: Niemand habe wissen können, dass Papilloud eine derart «kriminelle Energie an den Tag legen würde»: «Wir haben unterschätzt, dass der Topbanker private und persönliche Interessen über jene der Bank stellte. Wir hatten nicht den geringsten Zweifel an der Integrität von Papilloud.»
B. Le 5 février 2020, Jean-Daniel Papilloud, représenté par un avocat, saisit le Conseil suisse de la presse. Selon le courrier de l’avocat, l’article du 21 novembre n’aurait été rédigé que sur la base d’une requête en conciliation de la BCVs dans le cadre d’un procès civil. En particulier, M. Papilloud n’aurait jamais été contacté par le «Walliser Bote» en vue de cet article. En ce qui concerne l’article du lendemain 22 novembre, le plaignant incrimine en plus des erreurs de fait. Il mentionne avant tout les deux phrases citées plus haut, dans A. a). Et à propos de l’article du 22 novembre, l’avocat annonce le dépôt d’une plainte pénale contre le quotidien.
Selon le plaignant les chiffres suivants de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste» (ci-après «Déclaration») auraient été violés: 1 (recherche de la vérité), 3 (audition en cas de reproches graves), 7 (accusations anonyme et gratuites) et 8 (respecter la dignité humaine). Conscient que le Conseil de la presse n’entre en principe pas en matière en cas de procédure parallèle, le plaignant fait remarquer d’une part que la plainte prévue ne concerne pas l’article du 21 novembre. Et que concernant l’article du 22 novembre, le Conseil de la presse devrait quand même entrer en matière – en vertu de l’article 11 al. 2 de son règlement, étant donné la gravité des accusations portées contre M. Papilloud.
C. Le 6 mai 2020, le «Walliser Bote» prend position sous la plume de son rédacteur en chef, Herold Bieler. En quelques lignes, ce dernier confirme que les articles étaient basés sur un rapport interne des avocats de la BCVs, contenant des preuves, et sur la plainte civile de la BCVs. Il confirme en outre que M. Papilloud n’avait pas été entendu, mais il affirme qu’il était prévu de lui donner la parole le 23 mars, une possibilité dont il n’avait pas voulu faire usage.
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg (vice-président) et Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 3 mars 2021 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Pour ce qui est de la plainte contre le premier article, publié le 21 novembre 2019, le Conseil de la presse n’a aucune raison de ne pas entrer en matière. En ce qui concerne l’article du lendemain, à propos duquel le plaignant a saisi la justice, le Conseil de la presse peut déroger au principe de non entrée en matière, «pour autant que des questions déontologiques fondamentales soient soulevées ou qu’un compte rendu suscite un large débat public» (art. 11 al. 2 du Règlement du CSP). En l’espèce, le Conseil de la presse estime que la question est importante de savoir si de se baser sur une source judiciaire clairement identifiée suffit à ne pas entendre une personne mise en cause avant publication, Le Conseil de la presse entre donc également en matière sur l’article du 22 novembre 2019.
2. A son chiffre 3.9, les directives relatives à la «Déclaration» stipulent que l’on peut exceptionnellement renoncer à entendre une personne qui fait l’objet d’accusations graves «si ces reproches se fondent sur des sources officielles publiques (par exemple des jugements de tribunaux)». Cependant un dossier présenté par une des parties à un litige juridique ne peut être considéré comme une source officielle publique. Le plaignant devait donc être entendu avant publication des articles, et son point de vue devait être porté à la connaissance du public en même temps que les articles le mettant en cause. L’argumentation du rédacteur en chef selon lequel il était prévu dès le lendemain de donner la parole au plaignant n’est donc pas pertinente. De plus, comme il ressort des échanges de correspondance cités par le plaignant – et que le rédacteur en chef ne conteste pas – ce n’est qu’après une réaction de l’avocat du plaignant suite aux publications que le «Walliser Bote» aurait offert à M. Papilloud la possibilité de s’exprimer. Le chiffre 3 de la «Déclaration» est donc violé.
3. En négligeant à ce point de renoncer à recueillir un autre point de vue que celui du dossier de la BCVs, le Conseil de la presse considère également que le «Walliser Bote» n’a pas satisfait à l’exigence de rechercher la vérité.
4. En revanche, les chiffres 7 (accusations anonymes et gratuites) et 8 (respect de la dignité humaine) ne sont pas violés pour le Conseil de la presse. En effet, une personne qui détient une fonction sociale aussi importante que celle détenue à l’époque par M. Papilloud doit s’attendre à pouvoir faire l’objet de critiques, même virulentes.
III. Conclusions
1. La plainte est acceptée dans ses points essentiels.
2. En publiant les articles «Falsche Visitenkarte: Papilloud gab sich als Mitarbeiter von Alkopharma aus», ainsi que «Verschmähte Liebhaberin liess die Visitenkarte liegen», le «Walliser Bote» a violé les chiffres 1 (recherche de la vérité) et 3 (audition en cas de reproches graves) de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste».
3. En revanche, le «Walliser Bote» n’a pas violé les chiffres 7 (protection de la personnalité) et 8 (dignité humaine) de la «Déclaration».