I. En Fait
A. Au cours de l’hiver 2004/2005, «l’Hebdo» a publié sous la signature de la journaliste Madeleine von Holzen, deux interviews de responsables du monde universitaire qui prônent des réformes de fond. Interview de Jean-Marc Rapp, président des recteurs suisses («Il est exclu de fermer une université», 7 octobre 2004) et interview de Charles Kleiber, secrétaire d’Etat à la Science et à l’Education («Nous cherchons un système ambitieux mais réalisable», 13 janvier 2005). La journaliste a aussi rédigé un article («Hautes école suisses: le big bang», 13 janvier 2005) traitant des projets de réforme et de rationalisation des universités suisses.
B. Le 24 février 2005, la conférence universitaire des associations d’étudiantES (CUAE) s’est adressée au Conseil suisse de la presse pour déposer une plainte contre «l’Hebdo». Le CUAE met en cause les liens entretenus par le groupe Ringier, le journal «l’Hebdo» qui en fait partie, la société anonyme SwissUp dont le but est de stimuler le débat sur l’éducation, et certaines autorités actives dans le domaine de la formation. Des liens qui, selon la plaignante, «sont de nature à empêcher le journal Ðl’Hebdoð de respecter plusieurs points» de la «Déclaration des devoirs et droits du / de la journaliste», notamment ceux qui concernent l’indépendance à l’égard des acteurs économiques et politiques. La CUAE souligne que SwissUp comptait parmi ses membres Jacques Pilet, membre de la direction du groupe Ringier, et qu’il était dirigé par Madeleine von Holzen. SwissUp a été financé par des fonds privés, mais aussi publics. La CUAE, souligne que le site a bénéficié d’une contribution financière publique de 1.2 millions de francs, à savoir 800.000 fr. de la Conférence universitaire suisse et 400.000 fr. de l’Office fédéral pour la formation professionnelle. Mise en liquidation le 7 juillet 2004, la société a été reprise par «l’Hebdo».
La CUAE estime que trois chiffres de la «Déclaration» ont été violés. Le chiffre 9 (indépendance des journalistes) d’abord. La plaignante parle «du rôle ambigu de Mme von Holzen (directrice de swissUp ou journaliste de «l’Hebdo» ?)», et du «ton consensuel à la limite de l’éloge» qu’elle emploie à l’égard des projets de réforme universitaire. L’indépendance de la journaliste serait mise à mal par les liens que les personnes interviewées entretiennent avec SwissUp. Le chiffre 11 ensuite (n’accepter aucune directive hors la rédaction) serait lui aussi bafoué, étant donné que les interviewés sont bailleurs de fonds de l’entreprise qui a été présidée par la journaliste. Le chiffre 10 (journaliste et publicité) serait lui aussi touché, la journaliste jouant «le rôle d’annonceur publicitaire» pour les «réformes proposées par M. Kleiber, M. Rapp ou par d’autres encore».
C. Dans sa réponse du 7 avril 2005, «l’Hebdo» demande au Conseil suisse de la presse de rejeter la plainte. Deux motifs sont avancés. Le magazine «voit mal comment l’indépendance de la rédaction pourrait être mise à mal», il n’a en effet touché aucun denier public. Au contraire, l’Hebdo a payé 15000 fr. pour pouvoir publier en primeur le classement de universités réalisé par SwissUp. L’Hebdo tient à préciser ses rapports avec le site SwissUp. Il l’a repris «pour le développer» et pour «jouir d’un droit de licence de trois ans pour l’utilisation du nom». En reprenant ce site Internet, le magazine s’est engagé à le réactualiser «en consacrant des ressources internes à cette fin (au minimum un mi-temps réparti sur deux personnes)». Dans sa réponse, «l’Hebdo» ne précise pas quel est le statut actuel de Madeleine von Holzen.
Les financements publics dont bénéficiait SwissUp ont été transférés à une «Fondation pour l’excellence de la formation en Suisse», créée le 12 mai 2003. Elle reprend la publication de l’évaluation des universités suisses. En l’absence d’éléments d’information, il est difficile de préciser si des liens existent entre Mme von Holzen et cette fondation.
D. La plainte a été confiée à la 2ème Chambre, composée de Sylvie Arsever (présidente), Nadia Braendle, Dominique von Burg, Pascal Fleury, Jean-Pierre Graber, Charles Ridoré et Michel Zendali, qui l’a traitée dans sa séance du 20 mai 2005 et sur voie de correspondance.
II. Considérants
1. Sur la base des faits établis, rien ne permet d’accuser la journaliste, ni le magazine «Hebdo» de recevoir des ordres de la part d’acteurs économiques ou politiques. De même les articles de Madeleine von Holzen ne peuvent être assimilés à de la publicité. Si, effectivement, les articles s’inscrivent dans une certaine vision de la politique universitaire à mener, en vertu de la liberté du commentaire, l’«Hebdo» est libre de suivre cette ligne. Les chiffres 10 et 11 de la «Déclaration» n’ont donc pas été violés.
2. a) Le Conseil suisse de la presse insiste sur l’importance de l’indépendance des journalistes. Par exemple, dans sa prise de position 7/1996 il a constaté que les journalistes «doivent veiller à rester crédibles. Il leur faut savoir garder leurs distances et éviter les doubles fonctions». On ne peut toutefois pas dire, dans le cas litigieux, que «l’Hebdo» tire bénéfice de deniers publics et, par conséquent, devient l’obligé de certaines institutions. Lorsque le magazine a voulu bénéficier de l’évaluation des universités chapeautée par le site SwissUp, il a payé ce service à cette société, encore en fonction à l’époque. Depuis, les financements publics ont été transférés sur la Fondation pour l’excellence de la formation en Suisse, qui fournit contre paiement à «l’Hebdo» la primeur de l’évaluation des universités.
b) Plus complexe est la question du statut de la journaliste. Madeleine von Holzen a été directrice du site SwissUp et était donc en relation avec les investisseurs privés et publics de la société. Le Conseil suisse de la presse a mis en garde contre les «liens de grande proximité entre ceux qui agissent et ceux qui rapportent» (prise de position 15/2001). Lorsqu’ils existent, le Conseil recommande deux attitudes. «Si, sur un thème précis, il existe une très grande proximité, les journalistes devraient s’abstenir d’en rendre compte, ou (…) à tout le moins user de la transparence voulue envers le public». Les articles portant sur la thématique générale dont s’occupait SwissUp, il aurait été souhaitable que les liens entre la journaliste et la société soient explicités. Ces articles ne portaient toutefois pas sur l’entreprise SwissUP elle-même ou ses activités. La transparence sur la fonction antérieure de Madeleine von Holzen n’était en conséquence pas indispensable et il n’y a pas eu violation du chiffre 9 de la «Déclaration».
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. Dans un souci de transparence, il est opportun d’indiquer les liens d’une certaine importance qu’un journaliste entretient ou a entretenus récemment avec des groupes de pressions, des associations ou des sociétés, quand il est amené à rédiger des articles qui les concernent. La transparence, voire l’abstention de rendre compte est indispensable s’il y a une coïncidence directe entre l’activité actuelle ou antérieure du journaliste et le sujet de l’article.