I. En fait
A. En octobre 2014, Thierry Dime, directeur du magazine «Le Monde économique» place sur Linkedin une offre à l’intention des chefs d’entreprise de Suisse. Contre un paiement de 5500.– francs, il offre:
« – Votre photo en couverture du prochain numéro du magazine
– Interview de 4 pages
– ½ journée de shooting photos (ces photos accompagneront votre interview)
– Pleine page de publicité offerte dans une autre édition.»
B. Le 14 novembre 2014, Christian Campiche, rédacteur en chef du site d’information «La Méduse» et alors vice-président d’Impressum, association professionnelle de journalistes, saisit le Conseil suisse de la presse. Pour lui, cette offre postée sur Linkedin viole les directives 10.1 (séparation partie rédactionnelle/publicité) et 10.2 (couplage articles rédactionnels/publicité) relatives à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste». Le plaignant souligne qu’une telle initiative place le journaliste qui serait appelé à réaliser l’interview dans une situation contraire à sa déontologie et qu’elle met gravement en péril la crédibilité des médias.
C. Selon l’art. 13, alinéa 1 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence traite les plaintes sur lesquelles le Conseil n’entre pas en matière.
D. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Francesca Snider (vice-présidente) et de Max Trossmann (vice-président), a traité la présente prise de position le 17 août 2015 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. A en croire le site du «Monde économique», ce magazine s’adresse aux «décideurs» de l’économie et autres personnalités dirigeantes. Sur son site, il se présente moins comme un magazine à visées journalistiques que comme un conseiller en communication ou en marketing, proposant par exemple du media training ou une formation à la rédaction de communiqués de presse. Dès lors la question se pose de savoir si le Conseil de la presse est compétent pour traiter cette plainte. En effet, selon l’article 2 du règlement du Conseil de la presse, «la compétence du Conseil suisse de la presse s’étend à la partie rédactionnelle, ou aux questions d’éthique professionnelle qui s’y rattachent, de tous les médias publics, périodiques et/ou liés à l’actualité». Certes, le magazine ne se distingue pas clairement d’un organe journalistique, et il est largement accessible, en tout cas en ligne, et parfois semble-t-il en kiosque. Une certaine confusion peut donc s’installer dans le public. Mais à l’examen, il apparaît clairement que les articles se présentant comme «journalistiques» sont des articles de complaisance – ce qu’atteste d’ailleurs l’offre Linkedin à l’origine de la plainte. Le Conseil de la presse estime donc ne pas devoir entrer en matière.
2. Il y a une seconde raison pour que le Conseil de la presse n’entre pas en matière. Le plaignant ne peut pas attester que l’offre sur Linkedin ait été suivie d’effets. Le Conseil de la presse, qui en règle générale s’exprime sur des parutions, n’est donc pas en mesure d’exprimer un avis fondé. En effet, les publireportages ne sont pas proscrits en soi, dans la mesure où ils sont clairement présentés comme tels et séparés du contenu journalistique. Et en l’espèce, on ne peut exclure que le magazine aurait fait connaître les «règles du jeu» ayant conduit à la couverture et à l’interview, même si ça paraît peu vraisemblable.
3. Cela dit, le Conseil de la presse ne peut que condamner le procédé du directeur du «Monde économique», et il partage les craintes du plaignant, qui y voit un véritable danger pour la crédibilité du journalisme. Notamment si de telles offres laissent entrevoir aux dirigeants d’entreprises la possibilité de «s’acheter» des couvertures de magazine et des interviews de complaisance.
III. Conclusions
1. L’entrée en matière est refusée.
2. Mais le Conseil de la presse met en garde contre toute forme de «couplages» d’articles rédactionnels et de promotions publicitaires.