Nr. 47/2025
Recherche de la vérité / Respect de la vie privée

(X. c. «24 heures»)

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I. En fait

A. Le 17 août 2024, le quotidien «24 heures» publie dans son édition papier et sur son site un article titré «Le rêve brisé de rives 100% accessibles». Sous la plume des journalistes Olaf König et Simone Honegger, l’article livre le résultat d’une enquête sur l’accès public aux rives de plusieurs lacs en Suisse, avec un accent sur les lacs de Neuchâtel et Léman. Dans ce dernier cas, le texte donne l’exemple de Bursinel, commune du district de Nyon, «championne des plages privées vaudoises» avec 91,3% inaccessibles au public. L’article commence par relater une scène dans laquelle «une femme coiffée d’une casquette» est en grande discussion avec un employé communal sur la plage de Bursinel. Selon un baigneur «révolté» qui assiste à la scène, il s’agit de la propriétaire de la maison (qu’on devine être en dessus de la plage) qui, dit le témoin, refuse que la commune tonde l’herbe juste devant le muret qui borde sa propriété, donc sur territoire communal. «Est-ce qu’on peut comme ça s’approprier les choses?» s’indigne le quidam. «La gendarmerie vient de quitter les lieux» précise l’article. Une photo montrant une grève de lac et un ponton illustre le propos sur la version en ligne, avec la légende: «Bursinel est la championne vaudoise en ce qui concerne l’inaccessibilité de ses rives». L’article élargit ensuite son propos, pour établir l’état des lieux de l’accès aux plages de divers lacs.

B. Le 30 août 2024, plainte est déposée auprès du Conseil suisse de la presse par la personne qui s’identifie comme étant la femme qui était en discussion avec l’employé communal. Elle reproche aux journalistes, présents sur les lieux, de ne pas lui avoir demandé sa version sur le motif de la discussion. Celle-ci, dit-elle, portait «sur les risques liés à la coupe de la végétation sur cette plage» qui accroitrait un danger dû aux arbres instables de la forêt dont elle est propriétaire. Elle estime que le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») est ainsi violé. La directive 2.1 (liberté d’information) «qui stipule que le journaliste ne doit pas publier des informations fausses ou non vérifiées» aurait également été enfreinte en insinuant que la plaignante aurait «tenté de revendiquer la propriété d’un terrain». Celle-ci affirme encore que la publication de la photo de son ponton (et de sa résidence précise-t-elle dans un autre paragraphe) sans lui demander son avis facilite son identification et violerait ainsi le chiffre 3 de la Déclaration (respect de la vie privée).

C. Le 15 avril 2025, le rédacteur en chef de «24 heures», Eric Lecluyse, prend position. Il constate en préambule que les chiffres 3 de la «Déclaration» et 2.1 des directives, mentionnés par la plaignante, ne correspondent «pas totalement avec les règles déontologiques qu’elle évoque». Sa réponse se concentrera donc sur les chiffres 1 et 7. Sur le premier point (recherche de la vérité), le rédacteur en chef explique que le passage mis en cause par la plaignante «tient uniquement lieu d’illustration de la problématique de l’accès aux rives du lac». Pour lui, les journalistes se sont bornés à décrire la scène au bord du lac. «Le ressenti du baigneur est décrit comme tel» et non comme une information factuelle. «Le lectorat n’est donc pas induit en erreur.» Le rédacteur en chef note que les éléments relevés par la plaignante «correspondent factuellement à la scène décrite dans l’article, à savoir qu’elle n’a pas souhaité (…) que l’employé communal tonde l’herbe près de sa propriété» et «que la discussion portait bien sur ce sujet.» Il conclut qu’il n’y a pas violation du chiffre 1 de la «Déclaration». Pour ce qui est du chiffre 7 (respect de la vie privée), Eric Lecluyse souligne qu’aucune photo de la résidence de la plaignante n’a été publiée et que celle du ponton a été prise depuis l’espace public, conformément aux règles déontologiques. Se référant à la directive 7.2 qui traite de l’identification, il conclut qu’aucun élément ne permet «au lectorat moyen de «24 heures» d’identifier la plaignante ni de localiser où se trouve sa parcelle». En conclusion, le rédacteur en chef enjoint le Conseil suisse de la presse à ne pas entrer en matière ou subsidiairement à rejeter la plainte.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités précédemment ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil de la presse, composée de Susan Boos, présidente, Annik Dubied, vice-présidente, Jan Grüebler, vice-président, et Ursina Wey, directrice, a traité la plainte le 14 décembre 2025 par voie de correspondance.

 

 II. Considérants

1. Le Conseil de la presse constate d’emblée que le chiffre 3 de la «Déclaration» et la directive 2.1, invoqués par la plaignante, ne correspondent pas aux motifs de la plainte, comme l’a relevé «24 heures». Le chiffre 3 de la «Déclaration» ne porte pas sur le respect de la vie privée, alors que la directive 2.1 concerne la liberté d’information, qui n’est pas invoquée par la plaignante. Le Conseil se concentre donc sur les deux griefs principaux, qui touchent à la recherche de la vérité et au respect de la vie privée, soit les chiffres 1 et 7 de la «Déclaration».

2. Concernant le chiffre 1, la plaignante estime que les journalistes ont manqué à leur devoir en omettant de l’interroger sur le contenu de la discussion avec l’employé communal et en insinuant une contre-vérité. Sur ce dernier point, le Conseil de la presse constate que les journalistes n’ont fait que reprendre les propos d’un témoin. Certes, l’exaspération du baigneur pouvait sembler mal placée puisque la plaignante ne prétendait, dit-elle, en aucun cas s’approprier un espace public. Mais pour le Conseil de la presse, l’information pertinente pour illustrer l’enquête était justement cette exaspération et non le motif détaillé de la discussion, qui est un autre sujet. La description factuelle de la scène n’est pas remise en cause par la plaignante. Le chiffre 1 de la «Déclaration» n’a pas été violé.

3. Le chiffre 7, lui, enjoint les médias à «respecter la vie privée des personnes». Le Conseil ne voit pas en quoi la vie privée de la plaignante aurait été mise en cause par la photo d’un ponton. Il rejoint le rédacteur en chef de «24 heures» lorsqu’il se réfère à la directive 7.2, selon laquelle les informations publiées ne doivent pas permettre «l’identification d’une personne par des tiers n’appartenant pas à l’entourage familial, social ou professionnel et qui donc sont informés exclusivement par les médias». L’article remplit parfaitement cette exigence. Il ne viole donc pas le chiffre 7 de la «Déclaration».

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’enquête «Le rêve brisé de rives 100% accessibles», «24 heures» n’a pas violé les chiffres 1 (recherche de la vérité) et 7 (protection de la vie privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».