Nr. 41/2025
Recherche de la vérité / Nouvelles non confirmées / Discrimination

(X. et Collectif Kiboko c. «24heures»)

Drucken

Zusammenfassung

Der Schweizer Presserat hat sich nach einer Beschwerde von X. und dem Kollektiv Kiboko, vertreten durch Lucas Grandjean, mit zwei Online-Artikeln der Zeitung «24heures» befasst.
Die Artikel tragen die Titel «« Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare » und «« Drame à Lausanne : un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans ». Der erste Artikel hinterfragt in seiner Schlussfolgerung den Kontext: Welche Zusammenhänge bestehen zwischen diesen Personen nigerianischer Herkunft und ihrem Aufenthaltsstatus, dem Drogenhandel oder einem möglichen Messerangriff?

Die Beschwerdeführer, darunter der Bruder des Opfers, werfen der Zeitung vor, einen Brudermord vermeldet zu haben, obwohl die Ermittlungen schnell ergaben, dass es sich nicht um einen Mord handelte. Sie kritisieren auch diskriminierende Äußerungen, die die Nationalität der Protagonisten mit Stereotypen in Verbindung bringen.
Nach Prüfung des Falls kommt der Presserat zu dem Schluss: «24 Heures» ist mit den verwendeten Titeln der beiden Artikel ihrer Pflicht zur Wahrheitsfindung nicht nachgekommen.

Die Äußerungen zur Nationalität der Protagonisten fördern Stereotype, die die Würde der betroffenen Personen oder sogar ihrer Gemeinschaft schaden können. Auch in diesem Punkt kam der Presserat zum Schluss, dass gegen die berufsethischen Regeln verstoßen wurde.

Résumé

Le Conseil suisse de la presse a partiellement admis une plainte contre deux articles en ligne du journal «24heures». Les articles titrent «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» et «Drame à Lausanne: un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans». Le premier article, dans sa conclusion, interroge le contexte: quels liens existent entre ces personnes d’origine du Nigéria et leurs statuts de séjour, le trafic de drogue ou une éventuelle attaque au couteau?
Les plaignants, dont le frère de la victime, reprochent au journal d’avoir annoncé un fratricide alors que l’enquête a très rapidement révélé qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre. Ils dénoncent également des propos discriminatoires, qui relient la nationalité des protagonistes à des stéréotypes.
Après examen, le Conseil de la presse estime qu’en titrant qu’il y a eu meurtre, de surcroit commis par le frère de la victime, alors que ces faits se révèlent erronés, le journal a commis un manquement dans la recherche de vérité. Les propos tenus autour la nationalité des protagonistes encouragent pour leur part les stéréotypes discriminatoires, ce qui constitue également une violation des règles déontologiques par le média.

Riassunto

Il Consiglio svizzero della stampa ha parzialmente accolto un reclamo contro due articoli online del quotidiano «24heures». Gli articoli recano i titoli «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» (Un nigeriano di 45 anni ucciso dal fratello minore alla stazione) e «Drame à Lausanne: un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans» (Dramma a Losanna: un uomo muore dopo una lite alla stazione. La vittima, 45 anni, è stata uccisa dal fratello minore, di 35). Il primo articolo, nella parte conclusiva, si interroga sul contesto e su quali siano i nessi tra queste persone di origine nigeriana e il loro status di soggiorno, il traffico di droga o un’eventuale aggressione con arma da taglio.
I reclamanti, tra cui il fratello della vittima, rimproverano al giornale di aver annunciato un fratricidio, mentre le indagini hanno rivelato molto velocemente che non si trattava di un omicidio. Denunciano inoltre espressioni discriminatorie che collegano a stereotipi la nazionalità degli attori.
Dopo aver esaminato il caso, il Consiglio della stampa ritiene che, titolando che vi è stato un omicidio, per di più commesso dal fratello della vittima, mentre tali fatti si sono rivelati errati, il giornale abbia commesso una violazione del dovere di ricerca della verità.
Le affermazioni relative alla nazionalità degli attori favoriscono inoltre stereotipi discriminatori, il che costituisce anch’esso una violazione delle norme deontologiche da parte del media.

 

I. En fait

A. Le 14 janvier 2025, à 11h36, «24heures» publie, dans sa version en ligne, sous la plume de Laurent Antonoff, un article intitulé «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» (ci-après 1er article). L’article décrit une altercation nocturne entre deux hommes et relaye le propos de la police cantonale vaudoise qui «s’oriente sur un différend entre deux familiers». Des questions sont ensuite soulevées par le journaliste: y a-t-il eu des coups de couteaux, un lien avec le trafic de drogue, les statuts des deux frères étaient-ils réguliers ou illégaux? Le rédacteur cite ensuite la police qui précise que rien n’est encore établi et qu’elle poursuit ses investigations. Le titre est modifié en ligne quelques heures plus tard sous la forme suivante: «Un Nigérian de 45 ans décède après une altercation» et en sous-titre «(…) Son jeune frère a été interpellé sur place». Le texte de l’article n’est pas modifié. Le même jour, à la même heure, dans le même média, en version en ligne, le journaliste Corentin Chauvel publie un article (ci-après 2ème article) titré «Drame à Lausanne: Un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans». Sur la base d’un communiqué des autorités il donne des précisions sur le lieu, l’âge de la victime et confirme le décès ainsi que de l’interpellation du frère.

B. Le 3 février 2025, X., frère de la victime et coupable désigné dans les articles cités, dépose plainte contre «24heures» auprès du Conseil suisse de la presse avec le collectif Kiboko, association représentée par Lucas Grandjean se consacrant à l’antiracisme et à la lutte contre les violences policières. Les plaignants précisent qu’il ne leur a pas été possible de savoir dans quel ordre les articles ont été publiés, ceux-ci ayant été modifiés à plusieurs reprises.

Quoi qu’il en soit, ils affirment que les deux articles violent le devoir de «rechercher la vérité», chiffre 1 de la «Déclaration des devoirs et droits du/de la journaliste» (ci-après la «Déclaration») ainsi que le chiffre 3 «donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées». Le premier article porte également atteinte selon eux au chiffre 8 de la «Déclaration»: «Respecter la dignité humaine; le/la journaliste doit éviter toute allusion, par le texte, l’image ou le son, à l’appartenance ethnique ou nationale d’une personne (…) qui aurait un caractère discriminatoire».

 Les plaignants précisent que, concernant la recherche de vérité (chiffre 1 de la «Déclaration»), la victime est effectivement décédée, mais n’a pas été tuée, comme écrit en titre des deux articles. Affirmer en outre que la victime a été tuée par son petit frère, alors qu’il s’agit d’une information non confirmée, constitue en outre une violation du chiffre 3 de la «Déclaration» selon la plainte.

Par ailleurs, les questions du second article, qui font allusion au statut de séjour et à un éventuel trafic de drogue, sont de nature discriminatoire (chiffre 8 de la «Déclaration»), puisqu’elles assimilent potentiellement tous les ressortissants du Nigéria à des trafiquants en séjour illégal.

Les plaignants précisent que le titre «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» a été modifié par «Un Nigérian de 45 ans décède après une altercation» le jour-même, mais que la version invoquant le fratricide reste disponible sur internet et circule sur les réseaux.

C. La rédaction de «24heures», représentée par le rédacteur en chef Eric Lecluyse, prend position le 2 juin 2025. L’intégralité des griefs portant sur les chiffres 1, 3 et 8 de la «Déclaration» est contestée. Au moment de la publication des articles, argue le rédacteur en chef, l’ensemble des informations n’était pas disponible. Selon la chronologie des évènements et la présentation des faits par communiqué de presse du Ministère public, les journalistes ont logiquement déduit que la victime a été tuée par son frère. Le titre de l’article «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» a d’ailleurs été modifié suite à la demande du Ministère public.

Enfin, les journalistes ont clairement indiqué qu’une enquête était en cours afin de déterminer les tenants et aboutissants de cette affaire. Ils ont suivi le dossier et «24heures» publie le 31 janvier 2025 une version actualisée des faits.

A propos du chiffre 8 de la «Déclaration», la rédaction précise que la nationalité des personnes concernées figure dans le communiqué de presse du Ministère public. L’appartenance nationale n’est pas proscrite d’emblée mais fait l’objet d’une pesée d’intérêt entre la valeur informative et le danger de discrimination. Dans ce cas, le journaliste a jugé l’information pertinente, permettant de mieux comprendre les ressorts de l’affaire. L’allusion à la nationalité ne vise en aucun cas à porter un discrédit sur leur personne. Elle s’inscrit dans le contexte objectivable du trafic de drogue à Lausanne et dans le canton de Vaud; la rédaction joint plusieurs références confirmant le lien entre ce trafic et des individus nigérians.

D. La présidence du Conseil de la presse confie la plainte à la 2e Chambre, composée d’Annik Dubied (présidente), Madeleine Baumann, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan et Anne-Frédérique Widmann. Joëlle Fabre se récuse.

E. La plainte est traitée lors de sa séance du 21 août 2025 ainsi que par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le 1er et le 2ème article abordent la même thématique et sont issus de la même rédaction; ils sont donc examinés ensemble. La recherche de la vérité et le respect de la nature des informations évoquées sont des devoirs essentiels figurant dans les chiffres 1 et 3 de la «Déclaration».

Le Conseil de la presse constate que le titre du 1er article: «Drame à Lausanne: Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère», suivi par «son agresseur a été interpellé sur place» ainsi que le chapeau du 2ème article «la victime (…) a été tuée par son petit frère de 35 ans» ne laissent pas place au doute ou à la nuance. Si la suite du propos précise bien qu’il s’agit des premiers éléments de l’enquête, et que «rien n’est établi», elle ne remet pas en question le fratricide. Le Conseil de la presse a admis, dans sa jurisprudence, qu’un titre pouvait nécessiter des raccourcis; mais en l’occurrence l’information donnée en évidence est fausse et n’était pas vérifiée au moment de la publication.

Le titre du 1er article est certes corrigé plus tard dans la journée, à la demande du Ministère public, mais le texte reste le même. Il n’y a aucun rectificatif précisant que l’allusion au fratricide était erronée ou non confirmée. Le 31 janvier 2025, soit 2 semaines plus tard, «24heures» intitule le suivi «Nigérian mort à la gare: ce n’était pas un homicide». Le Conseil de la presse note que le délai est important, au vu du poids de la première affirmation.

Si le Conseil peut entendre que l’ensemble des informations n’était pas disponible au moment de la publication des articles du 14 janvier 2025, il n’adhère pas à l’argument que les journalistes ont «logiquement déduit» que la victime a été tuée par son frère. La gravité de l’affirmation (désigner un meurtrier) mérite précautions et nuances. Il s’agissait de préciser dès le premier texte que cette information n’était pas confirmée.

Le Conseil considère que dans les deux articles, les titres donnent pour vraie une information fausse. En l’occurrence, «24heures» faillit à son devoir de rechercher la vérité, et le chiffre 1 de la «Déclaration» est violé.

2. Concernant le chiffre 3 (nouvelles non confirmées) de la «Déclaration», les journalistes ont cité leur source, et n’ont pas supprimé d’informations essentielles puisque l’article précise que l’information donnée pour vraie demeure à confirmer. Le Conseil n’identifie pas une violation du chiffre 3 de la «Déclaration».

3. Le chiffre 8 de la «Déclaration» demande aux journalistes d’éviter toute allusion, par le texte, l’image et le son, à l’appartenance ethnique ou nationale d’une personne, à sa religion, à son sexe ou à l’orientation de ses mœurs sexuelles, ainsi qu’à toute maladie ou handicap d’ordre physique ou mental, qui aurait un caractère discriminatoire. En ce qui concerne les passages incriminés dans le 2ème article, ils sont livrés sous forme de questions soulevées par le journaliste sur les circonstances du drame concernant le statut de séjour des protagonistes, les liens de ces derniers avec le trafic de drogue, et les éventuels coups de couteau échangés. L’indication de la nationalité ne constitue pas en soi un problème au regard de la «Déclaration» (ni d’ailleurs aux yeux des plaignants). Par contre, le fait de la relier à des délits qui renforcent des préjugés est discriminatoire.

Dans la mesure où il s’agissait du premier article après les faits, reposant sur les premiers éléments de l’enquête, le Conseil considère que ces propos, même rédigés sous forme de question, encouragent des raccourcis pouvant nuire à la dignité des deux personnes impliquées dans cet évènement, voire à leur communauté, et qu’ils violent donc le chiffre 8 (discrimination) de la «Déclaration».

III. Conclusions

1. La plainte est partiellement acceptée.

2. En publiant les articles «Un Nigérian de 45 ans tué par son petit frère à la gare» et «Drame à Lausanne: Un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans», «24heures» a violé le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».

3. En publiant l’article «Drame à Lausanne: Un homme décède après une altercation à la gare. La victime, âgée de 45 ans, a été tuée par son petit frère de 35 ans», «24 heures» a violé l’article 8 (respect de la dignité humaine) de la «Déclaration».

4. Pour le reste, la plainte est rejetée.