Nr. 14/2024
Vérité / Omission d’informations / Audition en cas de reproche grave

(X. c. «Le Matin Dimanche»)

Drucken

I. En fait

A. Le 28 mai 2023, «Le Matin Dimanche» publie un article de Marie Parvex, intitulé: «Après dix-sept ans de combat, il est acquitté mais ruiné». Le sous-titre précise: «Yann Décaillet a été entièrement acquitté fin 2022. Le Valaisan a dû vivre avec une procédure pénale et une accusation publique qui auraient provoqué sa faillite. En colère, l’homme réclame aujourd’hui 219 millions de dommages.» Cette histoire complexe – qui a duré dix-sept ans – est reprise en 2010 par Jean-Pierre Greter, procureur. Ce dernier s’exprime et reconnaît que la somme séquestrée par son prédécesseur pour garantir une dette (5 millions pour une dette de 300’000 CHF) était exagérée et donne des explications à ce sujet, ainsi que sur la longueur de la procédure.

B. Le 27 août 2023, X. saisit le Conseil suisse de la presse. En premier lieu, il estime que «Le Matin Dimanche» a violé l’obligation d’entendre en cas de reproche grave (directive 3.8 relative à la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste»). En effet, les questions que la journaliste lui a adressées en vue de l’article ne comprenaient pas tous les éléments abordés dans l’article. Il n’a ainsi pas pu donner son avis sur la revendication de 219 millions de dommages demandés. Puis, toujours au chiffre 3 de la «Déclaration», le plaignant déplore plusieurs omissions d’informations qui pourtant figuraient dans sa détermination. Notamment le fait que Yann Décaillet avait engagé des spécialistes dans un vide contractuel total, entraînant inévitablement des discordes. Le plaignant estime enfin que l’article viole le chiffre 1 de la «Déclaration» (rechercher la vérité), dans la mesure où il reflète pour l’essentiel la vision de Yann Décaillet, mais aussi, argue le plaignant, par son aspect tapageur, avec notamment la mise en exergue du dédommagement demandé.

C. Le 15 décembre 2023, sous la plume de Fabian Muhieddine, rédacteur en chef ad interim, «Le Matin Dimanche» prend position. En ce qui concerne les reproches graves, ceux adressés au ministère public dans cette affaire («éventuels manquements et atermoiements») ont été l’objet des questions posées au magistrat et de ses prises de position dans l’article. En particulier, la mention de la réparation demandée ne saurait être qualifiée de reproche grave. Quant à la prétendue violation du chiffre 3 en général (omission d’informations), le rédacteur en chef estime que les aspects spécialisés d’ordre juridique ne doivent pas obligatoirement être mentionnés dans l’article et que pour l’essentiel le point de vue du plaignant a été restitu. Quant à la violation du chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration», la titraille serait tout à fait factuelle. «Le Matin Dimanche» conteste enfin que l’article soit uniquement favorable à M. Décaillet, plusieurs plaintes à son encontre étant notamment mentionnées.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil de la presse, composée de Susan Boos, présidente, Annik Dubied, vice-présidente, Jan Grüebler, vice-président, et Ursina Wey, directrice, a traité la plainte le 27 mai 2024 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Le plaignant estime qu’il y a violation de l’obligation de soumettre les reproches graves parce que dans ses questions, la journaliste n’aurait pas mentionné la revendication des 219 millions de dédommagement. Le Conseil de la presse ne peut suivre ce raisonnement et ne voit pas en quoi la revendication de cette somme constituerait un reproche grave. La directive 3.8 relative à la «Déclaration» n’est donc pas violée.

2. La plainte concernant l’omission d’informations n’est pas sans fondement, dans la mesure où l’article omet plusieurs éléments fournis par le plaignant à la journaliste et qui auraient donné une image plus claire de l’affaire. Cela étant, ces éléments ne concernaient pas directement l’angle de l’article (errance du dossier entre les différents niveaux et manques de documents dus à un déménagement). Dans cette mesure, le Conseil de la presse ne peut conclure à une violation du chiffre 3 (omission d’informations) de la «Déclaration».

3. Concernant enfin la violation du chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration», le Conseil de la presse ne suit pas non plus le plaignant. En effet, l’aspect prétendument «tapageur» d’un article n’est pas contraire à l’obligation de rechercher la vérité, pas plus que le fait de refléter pour l’essentiel le point de vue de l’un des protagonistes.

 

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article intitulé «Après dix-sept ans de combat, il est acquitté mais ruiné», «Le Matin Dimanche» n’a pas violé les chiffres 1 (vérité) et 3 (omission d’informations / audition lors de reproches graves) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».