Zusammenfassung
Der Schweizer Presserat hat die Beschwerde einer Lehrerin weitgehend gutgeheissen, die Gegenstand zweier Artikel im französischsprachigen «Blick» (auf Französisch) und der «Tribune de Genève» war. Die Titel der Artikel lauteten «Une prof genevoise avait fait un salut nazi en classe: elle est réintégrée» (Eine Genfer Lehrein die vor ihrer Klasse den Hitlergruss machte, arbeitet wieder) und «La réintégration d’une enseignante divise le Conseil d’Etat» (Die Wiedereinstellung einer Lehrerin im Regierungsrat umstritten). Die Artikel liessen hauptsächlich Stimmen zu Wort kommen, welche die Wiederaufnahme der Arbeit durch die Lehrerin nach einem Jahr Freistellung kritisieren. Die Hauptbetroffene kam jedoch nicht zu Wort. Nach Ansicht des Schweizer Presserats sind die in der Beschwerde vorgebrachten Vorwürfe in zwei Punkten gerechtfertigt: Die JournalistInnen hätten versuchen müssen, die Lehrerin mit den schweren Vorwürfen zu konfrontieren, um herauszufinden, ob sie Nazi-Sympathien hatte oder nicht. Und sie belegten die Fakten nicht ausreichend, anhand mehrerer Quellen. Hingegen ist der Presserat der Ansicht, dass «Blick» und «Tribune de Genève» die Privatsphäre der Beschwerdeführerin genügend respektierten, indem sie in ihrer Medienberichterstattung nur den Namen der betreffenden Schule und das Datum der Rückkehr in den Unterricht erwähnten.
Résumé
Le Conseil suisse de la presse a en grande partie admis la plainte d’une enseignante qui a fait l’objet de deux articles de «Blick» (en français) et de la «Tribune de Genève». Ils avaient respectivement pour titres «Une prof genevoise avait fait un salut nazi en classe: elle est réintégrée» et «La réintégration d’une enseignante divise le Conseil d’Etat». Ces textes avaient notamment répercuté de nombreuses réactions critiques à cette réintégration après un an de suspension, sans toutefois donner la parole à la principale intéressée. Pour le Conseil suisse de la presse, les griefs développés dans la plainte sont justifiés sur deux points. Les journalistes auraient dû chercher à confronter l’enseignante aux graves reproches formulés contre elle, afin de savoir si elle avait ou non des sympathies nazies et, plus largement, ils n’ont pas suffisamment établi les faits à l’aide de plusieurs sources. En revanche, le Conseil suisse de la presse est d’avis que «Blick» et la «Tribune de Genève» ont respecté la vie privée de la plaignante en ne mentionnant dans leur relation médiatique que le nom de l’école en question et la date du retour en classe, qui avait fait l’objet d’une communication interne de l’établissement scolaire au corps enseignant.
Riassunto
Il Consiglio svizzero della stampa ha in gran parte accolto la denuncia di un’insegnante che è stata oggetto di due articoli del «Blick» in lingua francese e della «Tribune de Genève». Erano stati pubblicati il 18 maggio 2022 e intitolati rispettivamente «Une prof genevoise avait fait un salut nazi en classe: elle est réintégrée» (Un’insegnante ginevrina aveva fatto il saluto nazista in classe: è stata reintegrata) e «La réintégration d’une enseignante divise le Conseil d’Etat» (La reintegrazione di un’insegnante divide il Consiglio di Stato). Gli articoli riportavano prevalentemente le numerose reazioni critiche a questa reintegrazione dopo un anno di sospensione, senza tuttavia dare la parola alla principale interessata. Il Consiglio svizzero della stampa ritiene giustificate due delle lamentele contenute nel reclamo: i giornalisti avrebbero dovuto cercare di mettere l’insegnante di fronte alle gravi accuse mosse contro di lei, per capire se avesse o meno simpatie naziste; inoltre, non hanno verificato a sufficienza i fatti, contrastandoli con più fonti. Per contro, il Consiglio della stampa ritiene che «Blick» e «Tribune de Genève» abbiano rispettato adeguatamente la privacy della denunciante, limitandosi a menzionare nei loro servizi giornalistici il nome della scuola in questione e la data del suo ritorno in classe.
I. En fait
A. En date du 18 mai 2022, «Blick» (édition francophone) publie un article intitulé «Une prof genevoise avait fait un salut nazi en classe: elle est réintégrée». Le média en ligne annonce la réintégration à son poste, dans un cycle d’orientation genevois, d’une enseignante après sa suspension d’un an pour avoir fait un salut nazi en classe et hurlé «Heil Hitler» pour que les élèves se taisent. L’intéressée conteste ces faits, qui ont toutefois été tenus pour établis par une enquête administrative et qui ont motivé la sanction disciplinaire (de nature salariale) prononcée contre elle par la cheffe du Département de l’instruction publique du canton de Genève. Le journaliste recueille de nombreux témoignages critiques par rapport à la réintégration de l’enseignante auprès du monde politique genevois et de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), qui avait révélé le cas au public dans son rapport annuel 2020.
Le même jour en ligne, la «Tribune de Genève» (TdG), citant l’article de «Blick», traite le sujet sous le titre «La réintégration d’une enseignante divise le Conseil d’Etat». Outre une réaction du secrétaire général de la CICAD, l’article thématise une divergence de vues sur le sort à réserver à l’enseignante entre la responsable de l’Instruction publique, qui aurait souhaité la révocation de l’intéressée, et la majorité du Conseil d’Etat. La journaliste cite à l’appui de son texte des éléments contenus dans le rapport de l’enquête administrative ouverte par le Conseil d’Etat.
B. Le 22 juillet 2022, par l’intermédiaire de son avocat, l’enseignante dépose une plainte contre «Blick» et la TdG auprès du Conseil suisse de la presse (CSP). Selon elle, les articles en question contreviendraient aux chiffres 1 (recherche de la vérité), 3 (omission d’informations essentielles), 7 (respect de la vie privée) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») ainsi que de la directive 3.8 (audition lors de reproches graves).
La plaignante reproche à «Blick» d’avancer des éléments contraires à la vérité et de donner d’elle une image tronquée. Malgré sa «présentation des faits plus nuancée», la TdG pèche également par omission: elle aurait elle aussi dû préciser que l’enseignante n’entretenait pas la moindre affinité avec le nazisme, ce qui ressort du rapport de l’enquête administrative.
Quand bien même ils n’ont pas mentionné son nom, il est par ailleurs imputé aux deux médias d’avoir rendu identifiable la plaignante par son entourage, ce qui a conduit à sa mise à l’écart temporaire (après la diffusion des articles) au titre de protection de sa personnalité. De plus, tant «Blick» que la TdG auraient dû tenter d’obtenir une prise de position de l’intéressée avant la publication au vu des reproches graves formulés à son encontre, car aucune des exceptions prévues par la déontologie n’était réalisée.
Au surplus, la plainte ajoute que les deux organes de presse ont refusé de donner suite à la demande de droit de réponse.
C. Dans un courrier du 22 août 2022, l’avocat de l’enseignante prie le CSP de rendre attentifs les deux organes de presse au fait que des documents fournis à l’appui de la plainte «contiennent des données personnelles sensibles qui ne doivent en aucun cas être utilisées hors le cadre strict de la présente procédure». Il s’agit en particulier des annexes reproduisant le rapport – non caviardé – de l’enquête administrative, voire de la lettre de la conseillère d’Etat prononçant la sanction disciplinaire.
Cette mise en garde a été suivie d’échanges d’écritures et de diverses requêtes à titre préjudiciel portant sur la recevabilité ou non d’une plainte s’appuyant sur des documents relevant du secret de fonction et posant question sous l’angle de la protection de la personnalité, ce qui a prolongé de plusieurs mois le traitement de la plainte. Au final, la version non caviardée du rapport d’enquête a été retirée de la procédure au profit d’une version caviardée, produite par la plaignante en date du 14 novembre 2022.
D. Le conseil juridique de «Blick» conclut au rejet de la plainte sur toute la ligne. Il insiste sur l’intérêt public à questionner la décision de l’autorité, qui plus est dans le domaine de l’éducation, à savoir la réintégration d’une enseignante après un tel geste et un tel propos en classe. Selon cette prise de position, l’article ne prétend pas que l’enseignante a des sympathies nazies. S’agissant du respect de la vie privée, si elle est reconnaissable dans l’article incriminé, c’est uniquement de la part des personnes qui connaissaient déjà les faits qui lui étaient reprochés. La rédaction de «Blick», qui ignorait son identité, ne pouvait au demeurant pas la contacter, ce d’autant plus que le devoir de réserve et le secret de fonction lui auraient interdit de prendre la parole dans ce contexte particulier.
Dans sa détermination, la «Tribune de Genève» conteste aussi tous les griefs. Les chiffres 1 et 3 sont respectés, car l’article, qui use du conditionnel, ne laisse aucunement penser que l’enseignante aurait un penchant pour l’idéologie nationale-socialiste. Le journal conteste tout manquement au chiffre 7, l’enseignante n’étant pas identifiable au-delà de son cercle familial, social et professionnel en conformité avec les règles déontologiques. Enfin, faute d’en connaître l’identité, il n’était pas possible pour la journaliste de donner suite à la directive 3.8 en interpellant la plaignante ou son avocat.
E. La présidence du CSP a confié le traitement de la plainte à la 2ème Chambre, composée d’Annik Dubied (présidente), Madeleine Baumann, Joëlle Fabre, Sébastien Julan, Fati Mansour, Denis Masmejan et Anne-Frédérique Widmann.
F. La 2ème Chambre du CSP a traité la plainte lors de sa séance du 11 septembre 2023 ainsi que par voie de correspondance.
II. Considérants
1. La plaignante reproche aux articles litigieux d’avoir contrevenu aux chiffres 1 (recherche de la vérité) et 3 (omission d’informations essentielles) de la «Déclaration» en diffusant des informations contraires à la vérité et en donnant une image tronquée de l’enseignante. En particulier, les deux médias laisseraient entendre que l’elle aurait des sympathies pronazies ou du moins ils n’auraient pas informé leur lectorat du contraire.
Traitant ces deux chiffres ensemble vu qu’ils sont étroitement liés, le CSP estime aussi que les deux médias ne se sont pas donnés les moyens en vue d’étayer leur présentation des faits. «Blick», surtout, a donné une image tronquée de la réalité des faits, en se fondant uniquement sur le rapport de la CICAD et en omettant d’informer les lecteurs sur le fait que l’enseignante n’avait pas de sympathies nazies ni de visée de propagation antisémite, tel qu’il ressort du rapport d’enquête et de la sanction disciplinaire. Même si la «Tribune de Genève» fournit davantage d’informations grâce à une note officielle qu’elle a obtenue, elle omet toutefois de clarifier les choses sur ce même point.
La teneur de l’article du «Blick», en particulier la première phrase qui décrit «les bras – cette fois – le long du corps», est chargée de sous-entendus. En revanche, son choix de qualifier («en catimini») le retour en classe de l’enseignante, s’il peut être discutable, relève de l’imprécision de peu de gravité n’ayant pas le poids, aux yeux du CSP, d’une violation du devoir de recherche de la vérité. La plainte est donc fondée sur ces deux points.
2. La plaignante estime aussi que les articles litigieux contreviennent au chiffre 3 sous l’aspect de sa directive 3.8. Elle a en substance la teneur suivante: si des reproches graves sont formulés, les journalistes doivent donner aux personnes concernées la possibilité de se positionner. Il est à relever que la gravité des reproches n’est pas contestée dans les prises de position de «Blick» et de la TdG.
Il convient à ce stade d’examiner si la directive 3.9 (exceptions), qui permet de renoncer exceptionnellement à l’audition, est applicable dans le cas d’espèce. La réponse est clairement négative. Il aurait fallu soit que les reproches graves se fondent sur des sources officielles publiques, par exemple des jugements de tribunaux (bien qu’officiel, le rapport d’enquête n’est pas public); soit qu’une prise de position antérieure soit rappelée dans l’article en même temps que le reproche (ce qui n’est pas le cas); soit enfin qu’un intérêt public prépondérant le justifie (ce n’est à l’évidence pas le cas non plus).
Au regard de ce qui précède, et conformément à une jurisprudence constante du CSP (12/2014, 64/2013, 54/2012), les journalistes auraient dû donner l’occasion à l’enseignante de réagir dans leur relation médiatique. «Blick» et la TdG plaident tous deux l’impossibilité de le faire faute de connaître son identité. Reste ouverte la question de savoir si le quotidien genevois, qui cite le rapport d’enquête contenant l’identité, s’est procuré ce document ou s’il en a eu connaissance uniquement de manière indirecte, voire s’il se fonde sur la note mentionnée dans la même phrase. Quant au média en ligne, son argument selon lequel l’enseignante n’aurait de toute façon pas pu s’exprimer (en raison du devoir de réserve et du secret de fonction) n’est pas pertinent: cela n’est en tout cas pas de nature à dispenser l’auteur de l’article de tenter de confronter la plaignante aux reproches graves formulés à son encontre.
Comme aucun des deux médias ne fait état ne serait-ce que de démarches entreprises en vue de tenter d’identifier et de joindre l’intéressée ou son avocat, le CSP conclut à une violation du chiffre 3 sous l’aspect de la directive 3.8.
3. En ce qui concerne le chiffre 7 de la «Déclaration», il prescrit aux journalistes de «respecter la vie privée des personnes, pour autant que l’intérêt public n’exige pas le contraire». La directive 7.2 précise pour sa part les conditions autorisant l’identification. Sur ce point, le CSP note que les indications publiées dans les articles incriminés (nom de l’école et de la commune, mais pas la branche d’enseignement par exemple) ne sont pas de nature à permettre «l’identification de l’enseignante par des tiers n’appartenant pas à l’entourage familial, social ou professionnel, et qui donc sont informés exclusivement par les médias», pour reprendre le dernier paragraphe de ladite directive. Du reste, la plainte le reconnaît elle-même en pointant des articles de presse «permettant à son entourage professionnel de l’identifier». Précisons encore que le corps enseignant de l’établissement a été informé du retour de l’enseignante suspendue dans un courriel de la direction de l’établissement. En cela, le chiffre 7 de la «Déclaration» et sa directive 7.2 sont pleinement respectés.
III. Conclusions
1. La plainte est partiellement admise.
2. En publiant respectivement les articles «Une prof genevoise avait fait un salut nazi en classe: elle est réintégrée» et «La réintégration d’une enseignante divise le Conseil d’Etat», mais en ne cherchant pas (suffisamment) à établir les faits par plusieurs sources, les deux médias ont transgressé le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
3. En ne cherchant pas à confronter l’enseignante aux reproches graves formulés contre elle, «Blick» et la «Tribune de Genève» n’ont pas respecté le chiffre 3 (audition lors de reproches graves) de la «Déclaration».
4. En mentionnant le nom du cycle d’orientation et en indiquant la date du retour en classe de l’enseignante, «Blick» et la «Tribune de Genève» n’ont en revanche pas violé le chiffre 7 (respect de la vie privée) de ladite «Déclaration».