Zusammenfassung
Eine Genfer Anwältin hat Beschwerde gegen einen Artikel der «Tribune de Genève» eingereicht, veröffentlicht in der Online-Version unter dem Titel «Son siège est à Genève – Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux» («Ihr Sitz ist in Genf – Mitglieder der Interpol-Stiftung sind Verfechter von Steueroasen»). Im Artikel heisst es, mehrere der (zehn) Mitglieder der Interpol-Stiftung hätten Firmen in Steueroasen domiziliert, was ethisch und imagemässig fragwürdig sei, da die Polizeibehörde Interpol auch Finanzkriminalität bekämpfen soll.
Der Presserat kommt zum Schluss, dass sich die beiden Autoren ausreichend nach der Wahrheit gesucht haben und ihr Artikel zwischen Informationen und Meinungen unterscheidet. Sie schreiben der Anwältin jedoch die Gründung von zwei Gesellschaften in Panama zu, während nur die eine auf eigene Rechnung erfolgte, was die Autoren trotz der ihnen von der Anwältin gelieferten Angaben nicht erwähnen. Diese Unterlassung verstösst gegen Ziffer 3 des Journalistenkodex.
Zudem ist der Titel des im Internet publizierten Artikels problematisch: Dass die Beschwerdeführerin eine einzige Firma in Panama gegründet hat, reicht nicht aus, um sie als «Verfechterin» von Steueroasen zu qualifizieren. Der Rat rügt dies als Verstoss gegen die Wahrheitspflicht.
Résumé
Une avocate au barreau de Genève a porté plainte contre un article de la «Tribune de Genève», publié dans sa version en ligne sous le titre «Son siège est à Genève – Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux», dans sa version papier sous le titre «Son siège est à Genève – La Fondation Interpol et les paradis fiscaux».
L’article affirme que plusieurs des (dix) membres de la Fondation Interpol ont domicilié des sociétés dans des paradis fiscaux, ce qui à leurs yeux pose des questions éthiques et d’image sachant que l’agence policière Interpol est chargée de lutter, entre autres, contre la criminalité financière.
Les auteurs ont déployé suffisamment d’efforts pour rechercher la vérité et leur article distingue parfaitement l’information et les appréciations. Cependant, ils attribuent à l’avocate la création de deux sociétés au Panama, alors qu’une seule l’a été pour son propre compte, ce que les auteurs ne mentionnent pas malgré les précisions fournies par la plaignante. Cette omission viole le chiffre 3 de la «Déclaration».
Par ailleurs, le titre de l’article publié sur le web est problématique: le fait que la plaignante ait créé une seule société au Panama ne suffit pas à la qualifier d’adepte des paradis fiscaux. Le Conseil y voit une violation du chiffre 1 (Recherche de la vérité).
Riassunto
Il Consiglio svizzero della stampa rileva in una presa di posizione contro la «Tribune de Genève» che il giornalismo d’inchiesta merita un alto apprezzamento ma esige di essere praticato in modo rigoroso. Il reclamo era stato presentato da un avvocato del foro di Ginevra dopo un articolo postato nell’edizione online del giornale con il titolo: «Ha sede a Ginevra. Membri della Fondazione Interpol con la passione dei paradisi fiscali» e pubblicato nell’edizione cartacea sotto il titolo: «Ha sede a Ginevra – La Fondazione Interpol e i paradisi fiscali». Nell’articolo si legge che vari dei (dieci) membri della Fondazione Interpol risultano fondatori di società con sede in Paesi noti come paradisi fiscali, fatto che solleva qualche problema etico e di immagine, visto che l’agenzia Interpol si occupa anche di lottare contro la criminalità economica.
Il Consiglio della stampa constata che gli autori del servizio hanno in generale lavorato bene, per esempio rispettando la distinzione tra notizie e commenti. Al legale in questione, tuttavia, è attribuita la creazione di due società a Panama mentre di una sola egli risulta titolare: al giornale, peraltro, era stata fornita l’informazione esatta. Risulta così violata la Cifra 3 della Dichiarazione dei doveri del giornalista. Anche il titolo si presta a critica: l’aver creato una sola società a Panama giustifica la definizione di «adepto dei paradisi fiscali»? Anche questa si può ritenere una mancanza al dovere di rispetto della verità iscritto alla Cifra 1 della «Dichiarazione».
I. En fait
A. En date du 18 décembre 2020, la «Tribune de Genève» (TdG) met en ligne sur son site internet un article intitulé «Son siège est à Genève – Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux». L’article est publié à la même date dans la version papier du quotidien sous le titre «Son siège est à Genève – La Fondation Interpol et les paradis fiscaux». Les auteurs sont deux journalistes indépendants, Mathieu Martiniere et Robert Schmidt, l’un français, l’autre allemand, qui travaillent en binôme depuis plusieurs années sur Interpol. Tous deux font partie de «We Report», un collectif international de journalistes freelance tournés vers l’investigation et le reportage au long cours. Leurs sujets sont publiés dans différents médias européens (Mediapart, Arte, Libération, Die Zeit, Der Spiegel, la RTS, etc.).
Cette contribution extérieure publiée par la TdG a pour sujet d’enquête la Fondation Interpol, un organe indépendant créé en 2013 à Genève qui finance l’organisation internationale de police criminelle (OIPC), mieux connue sous l’abréviation Interpol. Pour mémoire, cette dernière a son siège à Lyon (F), compte 194 pays membres et se donne pour mission de «favoriser la collaboration entre les autorités de police pour créer un monde plus sûr».
Quant à la mission de la Fondation Interpol, peut-on lire sur le site d’Interpol, elle consiste à «amener les gouvernements et les entreprises à appuyer le travail entrepris par Interpol. A cette fin, elle mène un travail de sensibilisation, elle établit des partenariats et les développe, et elle réalise des campagnes de collecte de fonds.»
L’article affirme que plusieurs des (dix) membres de la Fondation Interpol ont domicilié des sociétés dans des paradis fiscaux, ce qui, selon les auteurs, n’a rien d’illégal mais pose des questions éthiques et d’image alors que l’agence policière est chargée de lutter, entre autres, contre la criminalité financière, «notamment le transit d’argent sale par le biais de sociétés écran».
L’enquête se focalise sur deux membres de la Fondation: 1) Son président, Elias Murr, ancien ministre libanais à la tête d’un empire familial (le groupe Murr), présenté comme «un adepte des paradis fiscaux». 2) L’avocate d’affaires Zeina Wakim, installée à Genève et d’origine libanaise. Celle-ci, nous apprend l’article, a créé au moins deux structures au Panama. L’article se conclut sur un rappel d’une ancienne controverse: plusieurs des anciens membres de la Fondation Interpol sont aujourd’hui aux prises avec la justice, soupçonnés de malversations financières.
B. Le 15 février 2021, Zeina Wakim porte plainte devant le Conseil suisse de la presse contre la «Tribune de Genève». Selon la plaignante, l’article litigieux et ses auteurs violent en particulier le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») sous l’aspect de la directive 1.1. Elle dénonce aussi une violation du chiffre 3 (omission d’éléments d’informations essentielles), ainsi que du chiffre 2 et sa directive 2.3 (distinction entre l’information et les appréciations).
a) Selon la plaignante, l’article la présente aux lecteurs comme «une adepte des paradis fiscaux», une définition à sons sens «attentatoire à l’honneur». Le fait que la version publiée sur internet est intitulée «Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux» et que les deux seuls membres de la fondation dont il est question en détail dans l’article sont M. Elias Murr et elle-même la désigne indéniablement comme une «adepte des paradis fiscaux», juge-t-elle.
b) Selon la plaignante, les trois éléments retenus par les journalistes pour la désigner comme telle reposent sur des informations à la fois inexactes, lacunaires et présentées de façon à susciter la suspicion du lecteur. Elle souligne notamment qu’il est faux d’affirmer que la société panaméenne Swiss Incorp, qu’elle a créée en 2011, «a changé plusieurs fois ses statuts» et que «l’entreprise est restée active». Elle relève aussi que l’article omet de préciser que la fondation Ozne n’appartient ni à elle-même ni à l’un de ses clients, mais a été créée il y a plus d’une quinzaine d’années pour l’un des clients de l’étude qui l’employait à l’époque.
c) La plaignante dénonce en outre un article «à thèse» visant à «soulever des doutes sur la légitimité des actions de la Fondation Interpol» en insinuant que celle-ci est «un repaire d’adeptes des paradis fiscaux», d’où, selon la plaignante, une violation du chiffre 2 de la «Déclaration» et de sa directive 2.3 (distinction entre l’information et les appréciations).
C. Dans sa prise de position datée du 9 avril 2021, le rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», Frédéric Julliard, estime que son journal n’a pas enfreint la «Déclaration» et relève au contraire le sérieux et la qualité de l’enquête incriminée, ainsi que le professionnalisme de ses auteurs. Il demande au Conseil de la presse de rejeter la plainte de Madame Zeina Wakim.
a) A propos de l’enquête, le rédacteur en chef relève que les personnalités citées dans l’article ont fait l’objet d’une confrontation, que la plaignante a pu s’exprimer «de manière tout-à-fait complète sur tous les éléments publiés à son sujet et que […] toutes ses explications figurent dans l’article». Il affirme par ailleurs que les journalistes ont présenté les faits de manière objective, «en précisant qu’ils ne sont pas constitutifs d’infractions». Enfin, que «toutes les informations ont été soigneusement vérifiées et systématiquement recoupées».
b) Selon le rédacteur en chef de la TdG, le seul élément de fait que la plaignante affirme être faux dans l’article concerne les changements de statut de la société panaméenne Swiss Incorp Ltd. Il montre, pièce à l’appui, que des modifications statutaires ont bel et bien été effectuées au sein de cette société sur plusieurs années. La même pièce lui permet d’affirmer que le nom de la plaignante n’apparaît pas dans les registres et, partant, que la phrase de l’article «sans que son nom apparaisse dans les registres et en préservant son anonymat» est non seulement factuellement exacte, mais ne permet pas d’en déduire que les journalistes «prêtent des intentions condamnables à la plaignante».
c) Enfin, le rédacteur en chef rejette l’accusation selon laquelle l’article aurait été «construit de manière à accréditer une thèse qui se révélerait en réalité infondée» et met en avant l’intérêt public de l’article, rappelant qu’Interpol est essentiellement financée par les deniers publics. Il est donc selon lui légitime de porter à la connaissance du public le fait que des membres siégeant au sein de la Fondation Interpol ont domicilié des sociétés dans des paradis fiscaux. L’article expose des faits et distingue clairement les informations du commentaire et laisse la liberté au lecteur de se forger sa propre opinion, écrit-il en substance.
D. La présidence du Conseil de la presse confie le traitement de la plainte à sa 2e chambre, composée de Dominique von Burg (président), Annik Dubied, Joëlle Fabre, Denis Masmejan, François Mauron, Mélanie Pitteloud et Anne-Frédérique Widmann.
E. La 2e chambre du Conseil traite la plainte lors de sa séance du 18 juin 2021 ainsi que par voie de correspondance.
II. Considérants
1. Le chiffre 1 de la «Déclaration» (recherche de la vérité) et sa directive 1.1 imposent au journaliste de prendre en compte les données disponibles et accessibles, de respecter l’intégrité des documents, de vérifier l’information et, le cas échéant, de rectifier l’information erronée.
Selon le Conseil de la presse, les journalistes ont déployé suffisamment d’efforts pour rechercher la vérité. Ils ont notamment croisé les données des registres notariaux du Panama avec celles de Dato Capital, une base de données en ligne d’informations commerciales sur les sociétés et les administrateurs enregistrés au Royaume-Uni, à Gibraltar, en Espagne, au Panama, aux îles Caïmans, au Luxembourg et aux îles Vierges britanniques. Ces données montrent que les informations concernant la société panaméenne Swiss Incorp, créée en 2011 par la plaignante, sont exactes. Par ailleurs, le Conseil de la presse note que la plaignante a été confrontée de façon transparente à tous les éléments d’information la concernant et que ses réponses, pour l’essentiel, figurent dans l’article.
En revanche, le Conseil de la presse a beaucoup discuté du titre de l’article incriminé, non pas celui de la version papier, qui ne pose pas problème, mais celui publié sur le site internet de la TdG. A savoir: «Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux». Le Conseil note que ce titre désigne incontestablement la plaignante comme une adepte des paradis fiscaux dans l’esprit du lecteur, étant donné que les deux seuls membres de la Fondation dont il est question en détail dans l’article sont M. Elias Murr et elle-même. Dès lors, la question qui se pose est de savoir s’il est correct et légitime de considérer la plaignante comme telle sur la base des éléments mentionnés dans l’article. Le Conseil note que la plaignante n’a créé pour elle-même qu’une seule société au Panama – Swiss Incorp, fondée en 2011 – et considère que cela ne suffit pas à la qualifier d’«adepte des paradis fiscaux», formule dont la connotation sulfureuse ne fait aucun doute dans l’opinion publique. Le Conseil juge donc ce titre problématique et conclut à une violation du chiffre 1 de la «Déclaration» (recherche de la vérité).
2. Le chiffre 3 de la «Déclaration» (omission d’informations essentielles) engage le journaliste à ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels. La plaignante dénonce l’omission très «opportune» du fait que la fondation Ozne mentionnée dans l’article n’appartient ni à elle-même, ni à l’un de ses clients, mais a été créée pour un client de l’étude pour laquelle elle travaillait. Une omission à son sens volontaire, qui permet aux auteurs de renforcer leur propos en affirmant qu’elle a créé deux sociétés panaméennes pour elle-même. Le Conseil constate que cette information, effectivement fournie par écrit par la plaignante aux auteurs de l’article – «[La fondation Ozne] avait été créée il y a plus d’une quinzaine d’années pour l’un des clients de l’Étude pour laquelle je travaillais à l’époque» – n’apparaît pas dans l’article (à noter que ni les auteurs, ni le rédacteur en chef de la TG dans sa prise de position, n’apportent la preuve que la plaignante a créé cette fondation pour son propre compte). Le Conseil considère que cette précision aurait été de nature à atténuer la portée de l’implication personnelle de la plaignante dans cette société panaméenne. Pour cette raison, le Conseil suisse de la presse voit le chiffre 3 de la «Déclaration» violé.
3. Le chiffre 2 de la «Déclaration» et sa directive 2.3 (distinction entre l’information et les appréciations) astreint le journaliste à rendre perceptible pour le public la distinction entre l’information proprement dite – soit l’énoncé des faits – et les appréciations relevant du commentaire ou de la critique. Les journalistes ont-ils violé ce principe? Le Conseil ne le pense pas. L’article litigieux distingue les faits du commentaire, explique clairement sa démarche qui consiste à porter à la connaissance du lecteur des éléments de nature à poser des questions d’intérêt public: «Ces faits posent des question éthiques et d’image, alors que l’agence policière est chargée de lutter contre la criminalité financière». Les auteurs prennent d’ailleurs la précaution, dès l’introduction de leur article, de préciser que les faits qu’ils rapportent n’ont «à priori, rien d’illégal». Le Conseil ne voit pas de violation du chiffre 2 de la «Déclaration», ni de sa directive 2.3.
III. Conclusions
1. La plainte est partiellement admise. Tout en saluant l’intérêt public d’une telle enquête, le Conseil de la presse note que ce type de démarche demande une rigueur particulière.
2. En intitulant l’article en ligne «Des membres de la Fondation Interpol sont des adeptes des paradis fiscaux», la «Tribune de Genève» a violé le chiffre 1 (recherche de la vérité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».
3. En omettant de préciser qu’une fondation domiciliée au Panama par la plaignante l’avait été pour le compte d’un client de l’étude dont elle était employée à l’époque des faits, la «Tribune de Genève» a violé le chiffre 3 (omission d’informations essentielles) de la «Déclaration».
4. La «Tribune de Genève» n’a pas violé le chiffre 2 (distinction entre l’information et les appréciations) de la «Déclaration».