I. En fait
A. Le 7 juin 2023 «lematin.ch» et «20min.ch», deux titres du groupe Tamedia, publient le même article intitulé: «Jugée pour avoir tué son enfant, une mère évoque un jeu qui a mal tourné», repris de l’Agence France Presse AFP. L’article relate le procès à propos de la mort d’un garçon de 5 ans à Brest en France en octobre 2020. Sa mère Sarah C. est accusée d’assassinat. Elle assure que son fils est mort lors d’un jeu qui a mal tourné. L’article parle ensuite de problèmes psychiques et financiers de la femme et de problèmes scolaires de l’enfant. Pendant le procès la femme raconte qu’elle fréquentait une communauté évangéliste et était membre des Témoins de Jéhovah, se disait «très pratiquante» et qu’elle avait connu elle-même une enfance «chaotique», faite de violences.
B. Le 21 juillet 2023, X. saisit le Conseil suisse de la presse. Il fait valoir que les articles susmentionnés violent le chiffre 8 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration») et la directive correspondante 8.2 (interdiction des discriminations). Selon lui, le passage sur la communauté évangéliste et l’affiliation aux Témoins de Jéhovah contribue à généraliser les jugements de valeurs négatifs et à renforcer les préjugés à l’encontre de minorités. Le plaignant estime que la proportionnalité entre la valeur informative et le danger de discrimination n’est pas respectée. En outre le plaignant est de l’avis que le chiffre 5 de la «Déclaration» et la directive correspondante 5.1 (devoir de rectification) sont également violés. En fait la «Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France» aurait formellement déclaré sur un site médiatique français, que la femme n’était pas membre. Selon le plaignant cette information aurait dû être corrigée.
C. Le 7 mars 2024, Laurent Siebenmann, rédacteur en chef de «lematin.ch» et Philippe Favre, rédacteur en chef de «20 minutes» demandent tous deux le rejet de la plainte et prennent position avec la même argumentation. Ils précisent que l’article a été repris d’une dépêche de l’AFP qui a été retravaillée. L’information sur l’appartenance de la mère aux Témoins de Jehovah ressort de cette dépêche. La source était donc fiable et selon la pratique du Conseil suisse de la presse, il n’y a pas besoin de revérifier les informations. Par ailleurs, la rédaction de «20 minutes» a plus tard corrigé la phrase en ligne en «se prétendant membre». Et ce, bien qu’il ne s’agisse pas d’une déclaration à corriger: le fait que la mère soit membre a été annoncé par l’AFP sur la base de l’audience et du dossier pénal. Par ailleurs, les deux rédacteurs en chef estiment que la directive 8.2 qui interdit toute discrimination, ne s’applique pas. A aucun moment en effet, il n’est suggéré qu’il existe un lien entre l’appartenance aux Témoins de Jéhovah et les faits reprochés à la mère : cette information complète le profil, la personnalité et le parcours de vie de la femme. Les directives 1.1 (recherche de la vérité), 5.1 (devoir de rectification) et 8.2 (interdiction des discriminations) ne seraient donc pas violées.
D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.
E. La présidence du Conseil de la presse, composé de Susan Boos (présidente), Annik Dubied (vice-présidente), Jan Grüebler (vice-président) et Ursina Wey (directrice), a traité la présente prise de position le 16 juin 2024 par voie de correspondance.
II. Considérants
1. «La désignation de l’appartenance ethnique ou nationale, de l’origine, de la religion, de l’orientation sexuelle et/ou de la couleur de peau peut avoir un effet discriminatoire, en particulier lorsqu’elle généralise des jugements de valeur négatifs et qu’elle renforce ainsi des préjugés à l’encontre de minorités», peut-on lire au point 8.2 des directives relatives à la «Déclaration». En revanche, la seule mention d’une appartenance religieuse n’implique pas de discrimination. Dans le cas présent, aucun lien n’est établi entre l’acte de la femme et son appartenance aux Témoins de Jéhovah. La mention de sa prétendue appartenance complète toutefois le portrait de la personnalité de l’auteur, comme le mentionnent à juste titre «lematin.ch» et «20minutes.ch». Pour ce qui est de la violation présumée de la directive, le Conseil de la presse rappelle que pour que l’interdiction de discriminer soit établie d’un point de vue déontologique, il faut qu’il y ait généralisation de préjugés négatifs sur un groupe. La directive 8.2 (interdiction des discriminations) n’a donc pas été violée.
2. La directive 1.1 (recherche de la vérité) n’a pas été mentionnée par le plaignant, mais n’est de toute façon pas concernée. Comme le font remarquer à juste titre «lematin.ch» et «20minutes.ch» la reproduction d’une dépêche d’une agence de presse reconnue est protégée par la «Déclaration». Cependant lorsqu’aucune erreur matérielle n’a été commise, aucune correction n’est nécessaire. La directive 5.1 (devoir de rectification) n’est donc pas violée.
III. Conclusions
1. La plainte est rejetée.
2. En publiant l’article «Jugée pour avoir tué son enfant, une mère évoque un jeu qui a mal tourné» «lematin.ch» et «20min.ch» n’ont pas violé les chiffres 5 (rectification) et 8 (discrimination) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».